| HABITER, verbe I. − Emploi trans. A. − [Le suj. désigne un animé] Occuper habituellement un lieu. 1. [Le suj. désigne une pers., l'obj. un endroit couvert et clos] Les hommes très-sensibles, comme le sont en général les infortunés, se complaisent à habiter de petites retraites (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. 225).C'est là qu'ils s'arrêteraient pour vivre : ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragée d'un palmier, au fond d'un golfe, au bord de la mer (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 35).Je connaissais tous les coins du vaste grenier que j'habite depuis dix ans, et chacun pour moi offre un charme singulier (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 173) : 1. La maison que j'habite, les choses que je fais, le globe où je vis, m'emprisonnent si peu que je puis me figurer sans effort transporté dans une tout autre condition d'existence et sur une autre planète.
Amiel, Journal,1866, p. 487. SYNT. Habiter un appartement, château, hôtel, immeuble, logement, logis, manoir, palais, pavillon; habiter une bâtisse, cabane, caverne, chambre, mansarde, masure, villa. 2. P. ext. a) [Le suj. désigne gén. un groupe de pers.; l'obj. un espace, une ville, un quartier] Les riches et les nobles n'habitent presque jamais les faubourgs de Vienne, et l'on est rapproché les uns des autres comme dans une petite ville (Staël, Allemagne, t. 1, 1810, p. 128).La cataracte s'étend sur un espace de six lieues. Nul peuple ne l'habite; il n'y a sur les bords ni village ni maisons; elle est déserte et muette (Du Camp, Nil,1854, p. 136). SYNT. Habiter le désert, faubourg, pays, quartier, village; habiter la campagne, province, ville; habiter les environs. b) [Le suj. désigne un animal] Pour le peu que nous en voyons, chaque animal est la petite planète, le monde qu'habitent des animaux plus petits encore, habités par d'autres plus petits (Michelet, Insecte,1857, p. 106) : 2. Les animaux, et sur-tout les oiseaux, habitent rarement ce voisinage, car ils aiment la paix de la retraite et les plaisirs de l'amour : là, ils ne verroient et n'entendroient que le mouvement et le fracas de la destruction.
Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 81. − P. plaisant. [Le suj. désigne un vers, la vermine] Se trouver dans. Elles réussissaient quelquefois à ramasser furtivement une pomme verte, ou un abricot gâté, ou une poire habitée (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 591). 3. Littér. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Se tenir habituellement dans. La vertu habite des rochers escarpés, où l'homme ne sauroit atteindre sans être entraîné dans l'abîme (Chateaubr., Essai Révol., t. 1, 1797, p. 126).Sa pensée n'habitait pas les bocages ou le bord des ruisseaux (Sandeau, Sacs,1851, p. 36).Si l'amour ne se joint pas à la douleur, celle-ci habite les sombres demeures où habite l'esprit du mal (Barrès, Cahiers, t. 6, 1908, p. 16). B. − Au fig. 1. [L'obj. désigne une pers.] Occuper quelqu'un. Synon. hanter, obséder, posséder.Toutes les vertus féminines me semblent habiter ce cœur tranquille et aimant (Amiel, Journal,1866, p. 113).Mais toutes ces préoccupations d'hier m'habitent encore (...). Je ne parviens pas à désengager mon esprit. Dès que je ne suis plus requis par quelque occupation précise, je me sens vague, errant, désœuvré (Gide, Journal,1937, p. 1262). − Rare. [Le suj. désigne une pers.] :
3. Il y a quelqu'un que l'on fuit et que l'on cherche, que l'on appelle et que l'on redoute, qui vous obsède et qui vous charme, quelqu'un qui habite votre cœur, qui remplit votre pensée, qui hante vos songes, qui vous a chassée de vous-même et s'y est installé en maître...
Pailleron, Étincelle,1879, 5, p. 27. 2. [Le suj. désigne un nom abstr., le compl. circ. une pers.] Être dans. Ah! Tout cœur où l'amour habite Recèle un pouvoir de souffrir Dont il ignore la limite, Tant qu'il souffre sans en mourir (Sully Prudh., Vaines tendr.,1875, p. 168).J'ai vu que le plaisir, qui déteste tout ce qui est retenu et gêné, n'habitera que chez les hommes de cet âge et de ce rang (Maurras, Chemin Paradis,1894, p. 150).Le trouble douloureux et constant qui habitait en lui (Proust, Swann,1913, p. 308). II. − Emploi intrans. Habiter + compl. prép.; habiter + adv.[Le suj. désigne une pers.] Avoir sa demeure dans un lieu. Synon. demeurer, s'établir, loger, résider, rester, séjourner, vivre. A. − Habiter + compl. ou adv. de lieu. 1. Habiter + compl. de lieu prép.Habiter à, au bas de, au bord de, au cœur de, au-dessous de, au-dessus de, aux environs de, chez, en, entre, parmi, près de, sur, sous. Ce n'est pas parce que les hommes sont blancs ou noirs, qu'ils vont nus ou vêtus, qu'ils se nourrissent de fruits ou des produits de leur chasse, qu'ils habitent sous terre ou qu'ils couchent à l'air, qu'il leur faut des lois (Bonald, Législ. prim., t. 1, 1802, p. 192).Notre hutte était la hutte au-dessous de laquelle j'habite aujourd'hui dans ce qui faisait autrefois l'étable (Lamart., Tailleur pierre,1851, p. 449) : 4. ... dans un renfoncement d'ombre devant lequel se croisait sur le tapis la lumière des deux fenêtres; elle se trouva bien là, et elle crut y avoir rencontré son coin, cet endroit aimé que toute femme choisit où elle habite pour en faire sa place d'adoption, y être heureusement et tranquillement en compagnie d'elle-même, y lire, y écrire, y rêver.
Goncourt, MmeGervaisais,1869, p. 13. − P. ext. [Le compl. circ. désigne le lieu où se trouve la résidence] Habiter à la campagne, à la ville; habiter dans le quartier, dans la rue. Finir là son existence et habiter comme un bourgeois sur cette place de Paimpol (Loti, Pêch. Isl.,1886, p. 29).J'habite maintenant dans cette rue, chez ma femme, ma légitime (Queneau, Pierrot,1942, p. 215). − P. anal. [Le suj. désigne un animal, un végétal] Vivre dans un espace qui offre les conditions nécessaires de vie et développement. Qu'on me dise dans quel pays une plante semblable habite naturellement, c'est-à-dire, sans y être la suite de sa culture dans quelque voisinage? (Lamarck, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 227).On ne peut trouver de silence semblable que dans ces régions désertes, où les oiseaux mêmes n'habitent pas (Loti, Mariage,1882, p. 148). 2. Habiter + adv. de lieuHabiter ici, là, là-bas, là-haut; y habiter. Ils étaient comtes de Combray, les premiers des citoyens de Combray par conséquent et pourtant les seuls qui n'y habitassent pas (Proust, Swann, 913, p. 172). B. − Habiter avec qqn.Vivre sous le même toit, partager la même demeure (que). Synon. vivre, cohabiter, coexister.Habiter ensemble : 5. Dans cette librairie, qui a l'aspect d'une table d'hôte, habitent et mangent avec les trois femmes, des peintres, des dessinateurs, des illustrateurs, auxquels l'éditeur Monnier donne la nourriture et les faveurs de son épouse pour le payement de leur travail, mais jamais, au grand jamais d'argent.
Goncourt, Journal,1885, p. 447. − Littér. et biblique. Habiter avec.Avoir des relations charnelles avec. Il y avoit des prêtres qui habitoient avec des femmes, (...) ces prêtres (...) avoient encouru l'excommunication (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p. ix). Prononc. et Orth. : [abite], (il) habite [abit]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1remoitié xiies. « occuper une demeure » (Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, IV, 10); 1er quart xiiies. part. prés. subst. « celui qui vit dans un lieu » (Reclus de Molliens, Charité, éd. van Hamel, CCXXXII, 8). Empr. au lat.habitare « habiter, résider », fréquentatif de habere, v. avoir; habitant subst. a évincé habiteur, plus usuel en a. fr. (1remoitié xiies. Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, II, 4 − av. 1615 E. Pasquier, Recherches, I, 3 ds Hug., répertorié par Ac. Compl. 1842). Fréq. abs. littér. : 5 618. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 604, b) 8 287; xxes. : a) 7 704, b) 8 329. |