| GÊNE, subst. fém. A. − Vieux 1. Torture, supplice. Cf. géhenne B. Chépar (...) ordonna d'appliquer l'esclave à la torture (...). On le retira de la gêne pour le réserver au gibet (Chateaubr., Natchez, 1826, p. 482).C'est vous [le bourreau] qui donnez la gêne, qui rouez, qui écartelez (Dumas père, Reine Margot,1847, II, 3, p. 79). − P. méton. Instrument de torture pour donner la question. Il méprise, indigné, les fers, les clous, les gênes (Hugo, Légende, t. 3, 1877, p. 98). 2. Au fig., littér. Peine morale, embarras, désagrément. Être à la gêne, mettre qqn à la gêne. Il quitta à temps cette éducation domestique où il était à la gêne, et fut mis au collège des Jésuites de Caen (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 2, 1851, p. 167).Dans sa chapelle, en même temps que je bâille un peu, ma loyauté est à la gêne (Barrès, Homme libre,1889, p. 169). B. − Usuel 1. Malaise physique, sensation désagréable ou oppression due à un trouble physiologique fonctionnel ou un manque de liberté de mouvement. Gêne physique, respiratoire; sensation de gêne; être à la gêne dans un vêtement. Elle prétendait ne pas souffrir, malgré la gêne évidente qu'elle éprouvait à avaler chaque bouchée (Zola, Joie de vivre,1884, p. 911).Une sensation vague de gêne à la poitrine, comme il arrive dans les vives contrariétés (Bourget, Disciple,1889, p. 170) : 1. Gilbert porta les mains à son foie; mais non, la douleur ne se réveillait pas; tout au plus éprouvait-il, au côté droit, une sensation de gêne, et parfois, jusque dans l'épaule, quelques tiraillements.
Arland, Ordre,1929, p. 478. 2. Situation embarrassante, désagréable, imposant une contrainte à quelqu'un; obstacle empêchant le développement de quelque chose. Synon. charge, ennui, dérangement.Causer de la gêne à qqn; être une gêne pour la circulation. Les prohibitions, les gênes de toute espèce mises sur le commerce (Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 346).Le parapluie, accroché çà et là, devient une gêne, Lady Falkland, brusque, le ferme (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 285) : 2. Un être peu sensible aux gênes apportées à la liberté de l'esprit, aux contraintes que lui imposeront les pouvoirs publics, par exemple, ou les circonstances extérieures quelles qu'elles soient, ne réagira que peu, contre ces contraintes.
Valéry, Regards sur monde act.,1931, p. 248. − Loc. proverbiale. (Là) où (il) y a de la gêne, (il n')y a pas de plaisir (pour excuser ou p. iron. pour dénoncer les trop grandes libertés, les aises que prend une personne). Victoire : Où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir! Madame Charlot : Et où il y a du plaisir, il n'y a pas de gêne! (Augier, Lionnes,1858, p. 38).Ouais, goddam, à la gêne point de plaisir; soulage-toi! (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 328). − En partic. Situation matérielle ou financière précaire, embarras d'argent. Synon. besoin.Grande gêne; être, se trouver dans la gêne. Il paraît que tout l'argent que gagne Faguet passait en dons, en secours à des étudiants ou professeurs dans la gêne (Léautaud, Journal littér.,1908, p. 221).J'ai connu la gêne, je sais ce que c'est que la pauvreté; j'ai eu froid et j'ai eu faim (Green, Journal,1931, p. 55) : 3. Ayant deviné sans effort la gêne excessive du pauvre ménage, il déploya, étant un pauvre lui-même, des ruses de Pied-noir pour faire accepter, sous diverses formes, des secours faibles et opportuns.
Bloy, Femme pauvre,1897, p. 260. 3. Au sing. uniquement. Malaise moral, impression désagréable, embarras dû à la timidité, la pudeur ou un sentiment tel que la honte, le remords, etc. Synon. trouble, confusion.Gêne croissante, momentanée; instant, moment, silence, sensation, sentiment de gêne; cacher sa gêne; sans la moindre gêne. Son regard seul me causait une gêne insupportable. Il était excessivement brillant et fixe (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1235).Je me sens tellement éberlué dans un salon et si visiblement mal à mon aise, que ma gêne finit par donner à celui qui me parle l'impression qu'il m'ennuie (Green, Journal,1937, p. 114) : 4. ... peut-être ces filles (...) s'étaient-elles naturellement trouvées, parmi les camarades de leur âge, éprouver de la répulsion pour toutes celles chez qui des dispositions pensives ou sensibles se trahissaient par de la timidité, de la gêne, de la gaucherie, par ce qu'elles devaient appeler « un genre antipathique », et les avaient-elles tenues à l'écart...
Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 790. − Loc. adj. Sans-gêne*. Prononc. et Orth. : [ʒ
εn]. [ε:] encore ds Passy 1914 et Barbeau-Rodhe 1930. La durée peut se maintenir sous l'infl. de l'accent circonflexe. Ds Ac. dep. 1694. Homon. gène. Étymol. et Hist. A. Ca 1200 gehine « torture pour obtenir un aveu » (Doon de La Roche, éd. P. Meyer et G. Huet, 201); ca 1390 gehenne (Recueil des anc. coutumes de la Belgique, 5, 1, 290 ds FEW t. 16, p. 282b, s.v. *jehhjan). B. 1. 1541 gehenne « douleur morale, tourment » (Calvin, Institution chrétienne, III, IV, 17, éd. J. D. Benoit, t. 3, p. 115); 1550 genne (Ronsard, Odes III, 9, 19 ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 2, p. 22); 2. a) 1580 geine « douleur physique, sensation physique désagréable » (Montaigne, Essais, I, 14, éd. A. Thibaudet, p. 81); b) 1800 gêne dans la respiration (Geoffroy, Méd. prat., p. 899). C. 1. 1606 gesne « contrainte, incommodité, sujétion » (Régnier, Satyres VIII, 168, éd. G. Raibaud, p. 87); 2. 1770 « embarras, confusion, timidité » (Rousseau, Confessions II ds
Œuvres complètes, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, t. 1, p. 52); 3. 1790 « embarras financier » (Marat, Pamphlets, Nouv. dénonc. Necker, p. 190). Dér. de l'a. et m. fr. gehir « avouer, confesser, reconnaître » (début xiies., Psautier d'Oxford, VI, 5, éd. F. Michel, p. 5), qui remonte à l'a. b. frq. *jehhjan « dire, avouer » (FEW t. 16, pp. 282-284); suff. -ine* (comme dans haine*, saisine*, v. Nyrop t. 3, § 264 rem.). La forme gehenne du m. fr. est due à l'attraction phonét. et sém. de géhenne*. Fréq. abs. littér. : 1 708. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 440, b) 2 008; xxes. : a) 3 046, b) 3 126. Bbg. Dumonceaux (P.). Lang. et sensibilité au 17es. Genève, 1975, p. 34; pp. 57-59, 64-65. - Quem. DDL t. 4. |