| GUINDER, verbe trans. A. − Soulever (un fardeau) au moyen d'un instrument, d'une machine appropriée. Synon. élever, hisser.Guinder des pierres avec une poulie, avec une grue (Ac.). Les treuils, les moufles et les grues Guindent les lourds matériaux (Pommier, Paris,1866, p. 130). − MAR. Dresser (un mât) au moyen d'une drisse ou d'un palan. Les deux corvettes s'occupaient à guinder leurs mâts de hune et à remettre toutes choses en place (Dumont d'Urville, Voy. Pôle Sud, t. 9, 1846, p. 329). B. − P. anal. 1. Hisser quelqu'un (sur quelque chose). Avec l'aide de ses femmes, elle [Cléopâtre] le guinda [Antoine] jusqu'à une fenêtre, d'où elles le redescendirent dans le mausolée (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 326).Les matelots ont pris le prince sur leurs épaules et l'ont guindé sur le rocher (Mérimée, Lettres Duchesse de Castiglione,1870, p. 36). − Emploi pronom. réfl. Une petite grotte où nous autres hommes nous nous sommes guindés, non sans quelques écorchures (Stendhal, Mém. touriste, t. 2, 1838, p. 229).Le lieutenant offrit la main à miss Lydia, puis aida le colonel à se guinder sur le pont (Mérimée, Colomba,1840, p. 13).Il était indispensable de déplacer le pupitre pour avancer l'escabeau où je me guindais (Fabre, Xavière,1890, p. 163). 2. Dresser quelque chose (sur quelque chose). Si la colonne peut très bien se passer de base, à plus forte raison ne faut-il pas la guinder sur un piédestal (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p. 130).Avec une force surhumaine, elle parvint à guinder la grande échelle de toit (La Varende, Amours,1944, p. 39). − Emploi pronom. réfl. Je sentais tous mes muscles qui se guindaient (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 14).Chaque muscle de son corps travaille, s'étire, se hausse, se guinde (Levinson, Visages danse,1933, p. 288). C. − Au fig. 1. Rare. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Élever (quelqu'un) moralement, intellectuellement. Songez à nos amours! Songez à la hauteur où, parmi les amants, notre gloire nous guinde! (Rostand, Princesse loint.,1895, p. 188).Une espèce d'ordination m'avait sacré et guindé au-dessus de la multitude et du quotidien (Arnoux, Algorithme,1948, p. 17). − Emploi pronom. Une âme active comme celle de X, quand elle veut s'élever à la contemplation poétique ou philosophique, ne s'y peut guinder (Vigny, Journ. poète,1834, p. 996).Ce bon sens, qui ne manquait ni de subtilité ni de dialectique, devait faire mille efforts, surtout s'il y était provoqué, pour se guinder jusqu'à ce génie (Sainte-Beuve, Portr. littér., t. 1, 1844-64, p. 41). 2. [Le suj. désigne une pers. ou un inanimé concr.] a) Rendre moins sensible (un caractère), plier (un sentiment, un comportement...) à une discipline morale ou intellectuelle. Synon. discipliner, durcir, endurcir.Cet excès de force où l'on prétend toujours guinder son caractère. On s'exerce à durcir son cœur, on se cache de la pitié (Vigny, Serv. grand. milit.,1835, p. 121).L'architecte contient et guinde sa fantaisie pour élever au centre de la ville la maison symbolique de l'autocratie (Faure, Hist. art,1914, p. 495). − Emploi pronom. réfl. Il faut toujours se guinder, toujours se renier. On ne doit ni rire ni pleurer quand on en a envie ni faire ce qui vous tente ni penser ce qu'on pense (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 348) : Je vois que tu souffres plus que tu ne l'avoues; tu t'es guindée pour écrire cette lettre. N'est-ce pas que tu as bien pleuré avant? Elle est brisée...
Flaub., Corresp.,1846, p. 214. b) Péj. Donner un tour affecté (à une pensée, un sentiment), conférer (à une physionomie) un aspect apprêté, une raideur compassée. Guinder son style (Ac. 1835-1932). Et c'est cette malice (...) qui lui faisait, j'en suis sûr, donner la pose même du portrait et qui le guindait prétentieux et campé, le poing sur la hanche (Lorrain, Phocas,1901, p. 382).Avec tout cela, encore l'accent de la province dans l'habillement, les revers pas comme tout le monde, et le col un peu trop haut, le guindant (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 277). − Emploi pronom. réfl. Sa gaieté même alors est forcée; il se guinde et se gourme jusqu'aux dents (Sainte-Beuve, Chateaubr., t. 2, 1860, p. 114).Gustave cessa de feindre et de se guinder; d'une minute à l'autre, il était devenu naturel (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 229). Prononc. et Orth. : [gε
̃de], (il) guinde [gε
̃:d]. Att. ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1160-74 winder « hisser (un mât, etc.) au moyen d'un treuil » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 9854); 2. 1580 guindé « serré (dans des vêtements) » (Montaigne, Essais, I, 14, éd. A. Thibaudet, p. 81); 3. 1643 guindé « qui manque de naturel en s'efforçant de paraître digne, grave » (Corneille, Examen de Cinna ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 3, p. 381). De l'a. nord. vinda « enrouler, tresser; agiter, brandir », d'où « hisser au moyen d'un treuil » en français. Fréq. abs. littér. : 44. DÉR. 1. Guindage, subst. masc.a) Action de guinder (un fardeau). (Ds Ac., DG, Rob.). b) Au fig. Action de guinder (une pensée, une physionomie), de se guinder; résultat de cette action. Nul ne jouissait mieux de gai caquetage Effleurant vingt sujets sans gêne et sans guindage (Pommier, Qq. vers pour elle,1877, p. 67).J'avance dans le Memorandum, et m'amuse plus que je ne veux me l'avouer au guindage perpétuel de ce style (Gide, Journal,1906, p. 214).− [gε
̃da:ʒ]. Att. ds Ac. 1762-1932. − 1resattest. a) Fin du xives. [ms.] vindage « ensemble des cordages, des poulies qui servent à élever des fardeaux » (Droit maritime d'Oléron, ms. de Troyes, éd. H. Zeller, p. 17), b) 1611 « action d'élever des fardeaux » (Cotgr.); de guinder, suff. -age*. 2. Guinderesse, subst. fém.,mar. Gros cordage servant à guinder un mât. Gilliatt courut aux guinderesses et fila du câble (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 316).− [gε
̃dʀ
εs]. − 1reattest. 1525 (Doc. ap. Jal1); de guinder, suff. -(er)esse* (Thomas (A.) Nouv. Essais, p. 108), cf. encore polie guinderesse (1573, Dupuys). BBG. − Baist1903, pp. 257-258. - La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 78, 132, 416. - Sjögren (A.). Le Traitement du W germ. en norm. Z. fr. Spr. Lit. 1930/31, t. 54, p. 320. |