| GROSSIR, verbe I. − Emploi trans. A. − [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Rendre plus gros. Je grossissais mes dossiers port-royalistes : de là deux volumes, au lieu d'un seul que j'avais promis (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 11) : 1. ... de grandes rivières qui tombent des monts, le Tésin, l'Adda, etc., contribuent toutes pour grossir le Pô, et lui donnent un caractère d'inconstance et de fougue momentanée qu'on n'attendrait pas d'un fleuve qui arrose des plaines si unies.
Michelet, Hist. romaine, t. 1, 1831, p. 7. − Emploi pronom. Le nuage s'épaissit, se grossit (Ac. 1798-1932). − En partic. Accroître temporairement le volume. Les pluies ont grossi la rivière (Ac. 1798-1932). Les premiers rayons qui fondent les neiges et précipitent les avalanches, qui grossissent du matin au soir les torrents en coupant les chemins (Pesquidoux, Chez nous,1921, p. 34). ♦ Le vent grossit la mer encore... Elle gicle en gerbes haut sur le phare... Elle s'emporte au ciel (Céline, Mort à crédit,1936, p. 141). B. − [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose ou une pers.] Faire paraître plus gros. Il avait des guêtres en drap noir qui lui montaient jusqu'aux genoux et rembourrées de manière à lui grossir les jambes (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 270).Oui, elle avait beau porter des jupes à volants (...) et se grossir le derrière avec des serviettes, le par-dessous n'en était pas meilleur, au contraire (Zola, Terre,1887, p. 136) : 2. Elle portait un petit tailleur sombre, une écharpe verte, elle avait relevé ses cheveux : elle était ravissante. − Tu ne trouves pas qu'il me grossit ce tailleur? − Non.
Beauvoir, Mandarins,1954, p. 278. − Emploi abs. Les jupes plissées grossissent (Rob.). − OPT. Verre qui grossit les objets. Le télescope d'Herschell grossit quatre mille fois un objet (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 344). C. − P. ext. Augmenter, rendre plus considérable. 1. En nombre. Trois Paturot, les seuls qui fussent électeurs, grossirent la liste des votes sur lesquels on pouvait compter avec certitude (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 327).Les observateurs en ballon ne cessent pas de signaler des colonnes ennemies gravissant les pentes et venant grossir le nombre des assaillants (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 236) : 3. Après avoir fait à Paris d'excellentes études médicales, il s'était retiré à Plassans par goût, malgré les offres de ses professeurs. (...) il ne s'inquiéta nullement de grossir sa clientèle. Très sobre, ayant un beau mépris pour la fortune, il sut se contenter des quelques malades que le hasard seul lui envoya.
Zola, Fortune Rougon,1871, p. 67. ♦ Emploi pronom. à sens passif. On compte que ces trois corps d'armée se grossiraient infiniment par tous les gens du parti antipatriotique (Marat, Pamphlets, C'en est fait de nous, 1790, p. 202). 2. En importance. Grossir une fortune. C'était une partie du revenu des particuliers qui allait grossir les capitaux productifs du royaume (Say, Écon. pol.,1832, p. 189) : 4. Les créanciers de Birotteau trouvèrent les moindres choses que l'infortuné possédât. Ils ont trouvé, messieurs, ses vêtements, ses bijoux, enfin les choses d'un usage purement personnel, non seulement à lui, mais à sa femme qui abandonna tous ses droits pour grossir l'actif.
Balzac, C. Birotteau,1837, p. 409. − Emploi pronom. Comme elle dépensait à peine huit cents francs par an pour elle, ses rentes se grossissaient d'année en année (Champfl., Bourgeois Molinch.,1855, p. 66). 3. En intensité. L'écho grossit les bruits. Les anciens (...) grandissaient l'acteur par le cothurne, grossissaient sa voix par le masque (Vigny, Journ. poète,1840, p. 1130) : 5. Il feignait que ce doigt continuât de disposer de la note (...) et se donnait ainsi l'illusion d'en grossir ou d'en diminuer le son et de le modeler à son gré, suivant qu'il enfonçait ce doigt plus avant sur la touche ou au contraire le ramenait à lui.
Gide, Si le grain,1924, p. 459. D. − Au fig. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Donner une ampleur démesurée. Grossir une affaire, une nouvelle; grossir des faits. La nuit qui grossit tous les périls et multiplie toutes les terreurs (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 55).Il est évident que les gens d'imagination se grossissent trop les obstacles (Amiel, Journal,1866, p. 92).Les enfants, qui grossissent naturellement ce qui est humeur, voient presque toujours mal leurs parents et leurs maîtres (Alain, Beaux-arts,1920, p. 294). ♦ Emploi pronom. Les objets se grossissent au sein des ténèbres. Tout paraît dans l'ombre hostile et gigantesque (Constant, Princ. pol.,1815, p. 77). II. − Emploi intrans. A. − Devenir (plus) gros. 1. [Le suj. désigne une chose dont on considère le volume] Arbre qui grossit. Après cette pluie, les raisins vont grossir à vue d'œil (Ac.1798-1932).Anna l'écoutait, bouche ouverte, pendant que des larmes grossissaient encore dans les coins de ses yeux. Mais, au bout d'un instant, le chagrin était dissipé (Reider, MlleVallantin,1862, p. 41).J'emprunte un chalumeau, de l'eau savonneuse, et je souffle. La bulle grossit, s'irise. Je n'ai rien ajouté, qu'un peu d'air, mais je m'émerveille (Estaunié, Empreinte,1896, p. 312) : 6. L'écriture, assez appliquée et fine au commencement, s'altérait et grossissait par un progrès rapide, jusqu'à devenir informe aux dernières lignes.
A. France, Pt Pierre,1918, p. 272. 2. [Le suj. désigne un animal ou une pers.] Poulet qui grossit; régime qui empêche de grossir; grossir du visage. À mesure que saint Antoine regarde les animaux, ils grossissent, grandissent, s'accroissent, et il en vient de plus formidables et de plus monstrueux encore (Flaub., Tentation,1849, p. 407) : 7. Lantier (...) se trouvait très bien, il ne voulait ni grossir ni mincir, par coquetterie. Cela le rendait difficile sur la nourriture, car il calculait tous les plats de façon à ne pas changer sa taille.
Zola, Assommoir,1877, p. 647. − [Le suj. désigne une partie du corps humain] :
8. ... mais comme tu n'es pas assez fort pour manier le poignard, fais-toi voleur, en attendant que tes membres aient grossi. Et, pour qu'ils grossissent plus vite, je te conseille de faire de la gymnastique deux fois par jour...
Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 176. ♦ Devenir plus grossier, perdre de sa finesse, de sa grâce : 9. Sous les brouillards incessants, les traits grossissent et se déforment. Alors, ce ne sont plus que de gros poupards bouffis, remarquables pourtant par l'acuité du regard, et, sous la lourde paupière, par je ne sais quelle discrète et minutieuse observation.
Michelet, Chemins Europe,1874, p. 46. B. − Dépasser son volume habituel. 1. [Le suj. désigne une chose] Les rivières grossissent à la fonte des neiges (DG). − En partic. La mer grossit. Elle devient houleuse. La mer qui grossissait, et le vent qui forçait, pouvaient nous contraindre à appareiller pour sauver nos vaisseaux (Voy. La Pérouse,t. 3, 1797, p. 54). 2. [Le suj. désigne une partie du corps humain] Devenir temporairement plus gros, enfler. La glande mammaire multiplie ses cellules, grossit, et commence à fonctionner avant l'accouchement (Carrel, L'Homme,1935, p. 236).Il eut tout à coup l'impression que ses aines grossissaient et que ses bras se mouvaient difficilement autour de l'aisselle. Il pensa que c'était la peste (Camus, Peste,1947, p. 1382) : 10. Une formidable colère passa sur son front et sur son visage en signes évidents; toutes les veines grossirent, les yeux s'injectèrent de sang, le teint se marbra.
Balzac, Cous. Bette,1846, p. 249. − En partic. [Le suj. désigne une grosseur pathologique] Se développer. Abcès qui grossit. Une tumeur venimeuse qui grossissait dans sa poitrine, lui emplissait la bouche d'une âcre et fielleuse amertume (Genevoix, Raboliot,1925, p. 272). C. − Paraître de plus en plus gros. Le rapace s'avançait (...). Il grossissait à l'horizon de minute en minute (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 224) : 11. En examinant avec attention cette raie jaune de la route, j'y remarquai, à un quart de lieue environ, un petit point noir qui marchait. Cela me fit plaisir, c'était quelqu'un (...). Je hâtai le pas et je gagnai du terrain sur cet objet, qui s'allongea un peu et grossit à ma vue.
Vigny, Serv. et grand. milit.,1835, p. 32. − Au fig. Prendre une ampleur exagérée. Les nouvelles grossissent. Comme les rumeurs sur son compte continuaient, grossissaient, devenaient générales, je résolus d'essayer de voir moi-même cet étranger (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Main, 1883, p. 890). D. − Augmenter, devenir plus considérable. 1. En nombre. Foule qui grossit. Saccard, à son pilier, voyait grossir autour de lui la cohue de ses flatteurs et de ses clients (Zola, Argent,1891, p. 322).À une heure et demie, nous commencerons la vente! dit le notaire (...) le public n'était pas encore nombreux, mais il grossissait peu à peu (R. Bazin, Blé,1907, p. 254). 2. En importance. Fortune, somme d'argent qui grossit : 12. Ces petites actions-là, c'est plus maniable, mon ami, ça peut grossir d'une façon plus naturelle.
− Et ça grossit? fit Laurent en frappant le tapis de la voiture à coups de talon.
− Mais oui, mon petit frère, ça grossit. Ça repart à 329 et voilà déjà 422. Et... ça retombe à 402.
Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 36. 3. En intensité. Bruit qui grossit. L'orgie seule déploya sa grande voix, sa voix composée de cent clameurs confuses qui grossissent comme les crescendo de Rossini (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 52).Un vent d'orage, Un vent sonore et lourd qui grossit par degrés, Emplit l'espace au loin de nuages et d'ombres (Hugo, Feuilles automne,1831, p. 805). REM. Grossisseur, -euse, adj.Qui exagère l'importance d'une chose. La renommée qui n'est que grossisseuse et pas toujours menteuse, vous a dit trop vrai sur mon peu de relations actuelles avec Hugo (Sainte-Beuve, Corresp., t. 2, 1818-69, p. 171). Prononc. et Orth. : [gʀosi:ʀ], (il) grossit [gʀosi]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Intrans. 1. 1317 [date ms.] « devenir gros, s'enfler » (ici en parlant d'un cours d'eau) (Fierabras, var. ms. Vatican Chr. 1616, fo64b ds Gdf. Compl.); 2. 1644-45 au fig. ici en parlant de la colère comparée à un torrent (Corneille, Rodogune, IV, 3); 1662 « s'amplifier » (Id., Sertorius, I, 1). B. Trans. 1. 1368 réfl. « devenir plus considérable » (Lett. de Ch. V, G. 4063, A. Seine-Inférieure ds Gdf. Compl.); 2. a) mil. xvies. « rendre plus intense, plus fort (concrètement) » grossir sa voix (Amyot, César, 46 ds Littré); b) mil. xvies. « rendre plus intense, amplifier » ici, le courage de quelqu'un (Du Bellay,
Œuvres poétiques, éd. H. Chamard, VI, 344 ds IGLF); 3. a) 1580 « faire paraître plus important, amplifier, exagérer » (Montaigne, Essais, I, XX, éd. A. Thibaudet, p. 115); b) 1671 « faire apparaître plus gros par un procédé optique » (Pomey d'apr. FEW t. 4, p. 275a); 4. 1595 « rendre plus gros, plus volumineux » (Montaigne, Essais, I, XXVI, éd. A. Thibaudet, p. 190); 5. 1647 « apporter du renfort à, rendre plus puissant en se joignant à » (Corneille, Heraclius, I, 3). Dér. de gros1*, grosse adj.; dés. -ir. Fréq. abs. littér. : 1 178. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 723, b) 1 698; xxes. : a) 1 440, b) 1 761. |