| GRONDER, verbe A. − Emploi intrans. 1. [Le suj. désigne un animal comme le chien, l'ours, etc.] Émettre du fond de la gorge un cri sourd, prolongé et menaçant. Synon. grogner.Quand mes sens ont parlé, tout en moi fait silence, Comme au désert la nuit quand gronde le lion (Samain, Chariot,1900, p. 160).Ses babines, froncées, découvraient ses crocs éclatants, et elle [la chienne] grondait tout bas, avec des spasmes d'abois retenus (Genevoix, Raboliot,1925, p. 38) : 1. ... le lion eut tout à coup un mouvement de colère. D'abord il renifla, gronda sourdement, écarta ses griffes, étira ses pattes; puis il se leva, dressa la tête, secoua sa crinière, ouvrit une gueule immense et poussa vers Tartarin un formidable rugissement.
A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 31. 2. [Le suj. désigne une pers.] Vx ou littér. Exprimer son mécontentement ou sa douleur à voix basse, entre ses dents, indistinctement; p. ext. se plaindre vivement. Synon. bougonner, grogner, grommeler, ronchonner (fam.), râler (pop.).Il se met rarement en colère. Il gronde, il grommelle, il bavote et se lamente (Duhamel, Maîtres,1937, p. 112).Samazelle a parlé le dernier. Tout de suite, il s'est mis à gronder, à tonner : un aboyeur de foire (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 205). − Gronder contre qqn ou qqc.Se fâcher contre. Synon. pester contre, rouspéter contre (fam.).Et Rose, la cuisinière, se fâchait, grondait contre tout le monde (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 919).Il grondait contre ces mazettes qui ne savent pas conduire (Duhamel, Passion Pasquier,1945, p. 30). 3. [Le suj. désigne un inanimé concr., notamment un élément de la nature ou une chose en mouvement, en activité] Produire un bruit sourd et prolongé, plus ou moins impressionnant. L'orage, le tonnerre gronde; la mer, le flot gronde; le canon gronde; les orgues grondent; gronder fort, sourdement, dans le lointain. La montagne couverte de cascades grondait comme un tambour (Giono, Chant monde,1934, p. 295).Tout autour grondait Anvers, vibrante d'activité (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 81) : 2. Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
Cendrars, Du monde entier,1957, p. 34. − Au fig. Être menaçant, près d'éclater. La foule, l'émeute, la guerre gronde; passions qui grondent. Quand la révolution commença à gronder, ma grand'mère, comme les aristocrates éclairés de son temps, la vit approcher sans terreur (Sand, Hist. vie, t. 1, 1855, p. 62).Et d'un effort de volonté il étouffa les révoltes qui grondaient en lui (Huysmans, En route, t. 2, 1895, p. 116). B. − Emploi trans. 1. [Correspond à A 2; en emploi énonciatif, souvent en incise] Dire en bougonnant, en récriminant, avec protestation, colère. Jacques, tais-toi! gronda la mère à son tour. Laisse ton père manger tranquille! (Zola,
Œuvre,1886, p. 235).« Allons, fais donc attention », gronda l'oncle Dane (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 831). 2. [L'obj. désigne une pers., très souvent un enfant] Réprimander, reprendre sur un ton sévère. Gronder vivement, sévèrement, vertement qqn; avoir peur d'être grondé; se faire gronder. Il était en retard. Un sous-maître le gronda sévèrement (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 175).Elle n'élevait jamais la voix, jamais elle ne me grondait sans raison (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 10) : 3. On était inquiet dans sa chaumière, et on veillait pour l'attendre. Sa mère le gronda, de son air dur, en prenant une grosse voix, comme on fait pour gronder les petits enfants, et lui s'en alla tout penaud s'asseoir dans un coin.
Loti, Mon frère Yves,1883, p. 104. − En emploi abs. Et je ne pouvais bouger, ma tante grondait quand je faisais du bruit (Zola, T. Raquin,1867, p. 38).Je n'avalais quelques bouchées qu'au prix de grands efforts; ma mère suppliait, grondait, menaçait et presque chaque repas s'achevait dans les larmes (Gide, Si le grain,1924, p. 431). 3. Faire un reproche amical à (quelqu'un). MmeVerdurin montrant des roses qu'il avait envoyées le matin lui disait : « Je vous gronde » (Proust, Swann,1913, p. 218) : 4. − « Voilà une heureuse surprise, Jacques, n'est-ce pas? s'écria le directeur. « Mais je vais vous gronder : il faut mettre votre pardessus et le boutonner, quand vous êtes à la chapelle; la tribune est froide, vous attraperiez du mal! »
Martin du G., Thib., Pénitenc., 1922, p. 689. REM. 1. Grondeler, verbe intrans.,rare. Gronder légèrement. La pauvre cloche grondelait sourdement et un fourmillement d'angélus agitait sa robe (Arnoux, Abisag,1919, p. 155). 2. Grondouiller, verbe intrans.,rare. Même sens. V'là el' tounnerr' d'orage qui grondouille (Martin du G., Gonfle,1928, III, 2, p. 1228). Prononc. et Orth. : [gʀ
ɔ
̃de], (il) gronde [gʀ
ɔ
̃:d]. Ds Ac. dép. 1694. Étymol. et Hist. A. Intrans. [grondir 1. ca 1170 gront (ind. prés. 3epers.) « grogner (en parlant de chien) » (Beroul, Tristan, éd. E. Muret, 1496); 2. ca 1230 grundir « en parlant de choses » (Ste Modvenne, éd. A.T. Baker et A. Bell 8301 ds T.-L.)]; 1230 gront (subj. prés. 3epers. de gronder) « murmurer, grommeler » (Gaidon, 135 ds T.-L.). B. Trans. av. 1679 « réprimander quelqu'un » (Retz,
Œuvres, éd. A. Feillet et J. Gourdault, III, 321). Du lat. class. grundire, var. de grunnire (v. grogner) par changement de conjug. à côté de l'a. fr. grondir et grondre. Fréq. abs. littér. : 2 250. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 098, b) 4 667; xxes. : a) 3 377, b) 2 390. |