| GRANDEUR, subst. fém. I. − [Correspond à grand I] A. − Caractère de ce qui est grand par ses dimensions, de ce qui dépasse la norme ou la mesure ordinaire. La grandeur de Goliath (DG). Ce sobriquet de Carlone était caractéristique (...). On sait que la terminaison en one exprime la grandeur et la grosseur (Sand, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 194) : 1. ... la solidité et on dirait presque la sincérité des monuments éclate encore mieux par leur grandeur et par leur masse; c'est pourquoi on peut aller jusqu'à dire que la beauté architecturale dépend beaucoup de la masse dressée. C'est presque la seule beauté des pyramides, et l'on dit que ce n'est pas peu...
Alain, Beaux-arts,1920, p. 175. − Loc. adv. Du haut de sa grandeur. D'une façon hautaine, avec un air de supériorité. Regarder qqn du haut de sa grandeur. Le beau Mistral, fier comme le roi David, lui disait [à la vieille] du haut de sa grandeur : « Laissez, laissez, la mère... les poètes, tout leur est permis... » (A. Daudet, Trente ans Paris,1888, p. 175). B. − 1. Caractère de ce qui est susceptible de varier en taille ou en importance et qui, de ce fait, se prête aux mesures. Synon. taille, proportions, importance.La grandeur d'un logis, d'un bois, d'un étang, d'un parc (Ac.). La distance diminue la grandeur des objets : les esprits inférieurs n'ont jamais été frappés par les hommes de génie (Staël, Lettres jeun.,1786, p. 94).Des expériences de Köhler ont montré que dans la perception des grandeurs, l'interprétation de la distance est une fonction très primitive (Ruyer, Conscience,1937, p. 76). ♦ Ordre de grandeur. La vie est microscopique, et tous les processus qui la caractérisent se déroulent dans un monde dont l'ordre de grandeur est le millième de millimètre (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 17). − Loc. Grandeur nature. ,,Se dit en art de toute imitation, d'un être ou d'un objet reproduit dans ses dimensions réelles`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). Il ne lui restait pour toute fortune que le portrait en pied, grandeur nature, de la belle Esther, grand'mère d'Alexis, peint par son mari (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 100).Grandeur naturelle. Même sens. La statue est en bois, de grandeur naturelle (Verlaine,
Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 25).Grandeur d'exécution. ,,Se dit des modèles de sculpture, plans et dessins d'architecture ou de mécanique représentant des objets dans la vraie dimension où ils doivent être exécutés`` (Adeline, Lex. termes art, 1884). Le dessinateur chromiste travaille toujours d'après une maquette grandeur d'exécution du modèle à reproduire (Chelet, Lithogr.,1933, p. 67). 2. En partic. a) Aspect mesurable de quelque chose. La longueur, le volume sont des grandeurs; grandeur variable; grandeur scalaire*, vectorielle*. Les grandeurs géométriques (Taine, Intellig., t. 2, 1870, p. 344).On peut faire tourner une droite jusqu'à ce qu'elle revienne à sa première position; ce demi-tour est une grandeur de rotation toujours égale à elle-même (Alain, Propos,1922, p. 355) : 2. ... une grandeur continue quelconque comporte une expression numérique aussi approchée qu'on le veut, puisqu'elle tombe nécessairement entre deux grandeurs susceptibles d'une expression numérique exacte, et dont la différence peut être rendue aussi petite qu'on le veut.
Cournot, Fond. connais.,1851, p. 287. b) Quantité qui mesure (l'intensité d'un phénomène). MM. Renaux et Bonpain ont imaginé un appareil (...) qui transmet en vraie grandeur les variations du niveau [d'eau de la chaudière] (Ser, Phys. industr.,1890, p. 154).La vitesse avec laquelle il [le papier filtre] rosit, fournit une indication de la grandeur d'émission d'eau (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 1, 1931, p. 233). − ASTRON. Éclat relatif des étoiles. Synon. magnitude.Étoile de première, de deuxième grandeur; échelle des grandeurs. Les plus faibles étoiles visibles à l'œil nu sont de sixième grandeur (Muller1966). ♦ P. métaph., loc. adj. De première grandeur. De première, de haute importance. C'est assez dire que je ne considère pas tes démêlés avec ta femme comme des événements de première grandeur et que tes variations d'humeur ne dérangeront pas le cours de ma vie (Aymé, Quatre vérités,1954, p. 130). C. − P. ext. Caractère de ce qui est important par la quantité, le nombre, la portée. Le roi [Louis XVI] entrait alors dans la royauté comme dans un temple, avec tremblement, avec une sorte d'horreur sacrée devant la grandeur de ses devoirs (Goncourt, Journal,1864, p. 63).C'est dans la grandeur croissante des armements que je me flatte de découvrir un lointain présage de paix universelle (A. France, Opinions J. Coignard,1893, p. 180) : 3. ... il demeure bien constant que les sommes absorbées par les dépenses de l'État sont une cause continuelle d'appauvrissement, et que par conséquent la grandeur des revenus nécessaires pour faire face à ces dépenses, est un mal sous le rapport économique. Mais s'il est visible que la grandeur de ces revenus est nuisible à la richesse nationale, il n'est pas moins manifeste qu'elle est encore plus funeste à la liberté politique, parce qu'elle met dans les mains des gouvernants de grands moyens de corruption et d'oppression.
Destutt de Tr., Comment. sur Espr. des lois,1807, p. 244. II. − [Correspond à grand II] A. − 1. Éclat prestigieux qui résulte de la puissance, l'autorité, la gloire. Grandeur d'un État, d'un règne, d'un roi; la grandeur de Dieu. Il me paraissait beau (...) d'être l'officier d'Alfred de Vigny (...). J'avais lu passionnément Servitude et Grandeur militaires (A. France, Vie fleur,1922, p. 436).Assurer la pleine et entière restauration de l'indépendance et de la grandeur de la France (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 194) : 4. ... la Philosophie de l'Histoire est peut-être le livre allemand écrit avec le plus de charme. On n'y trouve pas la même profondeur d'observations politiques que dans l'ouvrage de Montesquieu, sur les causes de la grandeur et de la décadence des Romains; mais comme Herder s'attachoit à pénétrer le génie des temps les plus reculés, peut-être que la qualité qu'il possédoit au suprême degré, l'imagination, servoit mieux que toute autre à les faire connoître.
Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 311. 2. Le plus souvent au plur. Pouvoir, dignités, honneurs qui appartiennent à ceux qui occupent un rang éminent dans la société. Méraut lui donnait des nouvelles de sa nièce, de sa vie à Saint-Mandé, lui apportait le reflet de ses grandeurs (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 202) : 5. La princesse de Silistrie jeta partout les hauts cris, se répandit sur les grandeurs de Saint-Loup, et clama que si Saint-Loup épousait la fille d'Odette et d'un juif, il n'y avait plus de faubourg Saint-Germain.
Proust, Albertine disparue,1922, p. 164. ♦ P. méton. M. Viennet n'est pas de ceux qui se plaisent à attaquer les faibles et les grandeurs qui semblent en péril (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 12, 1866, p. 441). − PATHOL. Délire de grandeur. ,,Conviction délirante qu'un sujet se fait de sa propre importance, en croyant par exemple qu'il est extrêmement riche, puissant, d'origine royale, etc.`` (Méd. Biol. t. 2 1971) : 6. ... il [Nerval] écrit à MmeAlexandre Dumas qu'il s'est flatté d'être l'un des prophètes et voyants prédits par l'Apocalypse! Mais peut-être devrait-on rattacher le délire de grandeur à la déformation du précoce et tout normal désir de gloire.
Durry, Nerval,1956, p. 48. ♦ Folie des grandeurs. ,,Synon. de mégalomanie`` (Méd. Biol. t. 2 1971). Une même folie des grandeurs déchaîne d'énormes caravansérails et des maisons bourgeoises, encombrées de sculptures économiques et tapageuses (Barrès, C. Baudoche,1909, p. 8). 3. Titre honorifique donné autrefois à certains hauts personnages, en particulier aux évêques. Vous voilà monsignor, et de la Grandeur à l'Éminence il n'y a qu'un pas, et entre l'Éminence et la Sainteté il n'y a que la fumée d'un scrutin (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 67).La lettre de Sa Grandeur Monseigneur l'évêque de Tourcoing avait été rendue publique le 14 janvier (A. France, Anneau améth.,1899, p. 419). B. − Domaine moral et intellectuel.Haut degré d'élévation, de noblesse. Grandeur morale, spirituelle; grandeur d'une idée, d'un idéal, d'une cause; caractère plein de grandeur. Ce qui fait la grandeur de l'homme, c'est qu'il préfère la vérité à lui-même (Cousin, Hist. philos. mod., t. 2, 1847, p. 10).Il avait rendu sa grandeur à l'amour (Guéhenno, Jean-Jacques,1952, p. 275). ♦ Grandeur d'âme. Magnanimité. Il surmonta par grandeur d'âme sa propre douleur pour soulager celle de ses amis (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 11). C. − Domaine de l'art.Caractère noble, élevé, puissant (du style, de l'inspiration, etc.). Le beau et mâle tableau, cette Justice divine poursuivant le crime! quelle grandeur simple de composition! quelle sérénité pathétique (Goncourt, Art xviiies., t. 2, 1880, p. 416).À peine Michel-Ange et Raphaël sont-ils morts que déjà (...) la grandeur se mue en emphase, la tendresse en mièvrerie, (...) l'abondance en redondance (Mauclair, De Watteau à Whistler,1905, p. 120) : 7. Sa messe en si mineur [de J.S. Bach], ses oratorios de la passion selon Saint Mathieu et celle selon Saint Jean (...) sont des monuments musicaux d'une solidité inébranlable dans lesquels la grandeur du style, l'abondance de l'invention (...) seront toujours des modèles de pure beauté...
Rougnon1935, p. 312. Prononc. et orth. : [gʀ
ɑ
̃dœ:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. a) 1155 « caractère de ce qui a des dimensions supérieures à la moyenne » (Wace, Brut, 1071 ds T.-L.); b) 1remoitié xiies. « puissance, splendeur (ici de Dieu) » (Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, 144, 5). B. ca 1165 « étendue, dimensions » (B. de Ste-Maure, Troie, 2997 ds T.-L.). C. a) 1559 plur. « actions d'éclat » (Amyot, Vies, Alex. le grand ds Gdf. Compl.); b) 1640 « honneurs » (Corneille, Cinna, IV, 3, v. 1261). Dér. de grand*; suff. -eur1*. Fréq. abs. littér. : 5 463. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 478, b) 6 787; xxes. : a) 6 375, b) 7 674. |