| GRAISSE, subst. fém. A. − Substance semi-solide à la température ordinaire, généralement très inflammable, insoluble dans l'eau mais soluble dans l'éther, visqueuse au toucher et qui laisse sur le papier une tache persistante le rendant translucide. 1. Cette substance, d'origine animale ou végétale, définie chimiquement comme un corps gras (cf. gras I A 1 a) et physiologiquement comme un lipide, et qui fond entre 20oC et 50oC. a) Cette substance répandue dans le tissu cellulaire des êtres animés et de certains végétaux. Graisse abondante, blanchâtre; bouffi de graisse; plis de graisse. Si! si! la graisse précoce est un mauvais symptôme (Labiche, Ptes mains,1859, I, 1, p. 5).Et il [un cheval] « brûla toutes ses graisses », élimina toute chair inutile jusqu'à ne plus présenter que les muscles nécessaires à la propulsion (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 59).Deux méthodes sont employées pour extraire des fruits oléagineux l'huile ou la graisse qu'ils contiennent (Brunerie, Indust. alim.1949, p. 45) : 1. ... le problème de la régulation des graisses dans l'organisme. En effet, tout le problème est là : pourquoi devient-on obèse? Pourquoi les graisses s'accumulent-elles dans un organisme et non dans un autre? Pourquoi certains sont-ils gros et d'autres maigres?
R. Schwartz, Nouv. remèdes mal. act.,1965, p. 36. − Expressions Boule (paquet, pelote,...) de graisse. [En parlant d'un petit animal ou d'un enfant] Une douzaine de rossignols à la petite croupe, qui est une vraie pelote de graisse (Goncourt, Journal,1889, p. 1033).Le plus jeune [enfant], une petite boule de graisse (...) est tombé en arrêt devant les trois galons d'or (Genevoix, Nuits de guerre,1917, p. 38).Prendre de la graisse. Devenir gras. Il a pris de cette vilaine graisse qui vient aux vieux journalistes et aux maquerelles (Goncourt, Journal,1882, p. 170).Vivre de/sur sa graisse. [En parlant d'animaux qui hibernent et dont l'organisme consomme la graisse accumulée] Les Blaireaux somnolent, vivant sur leur graisse, attendant un rayon de soleil pour risquer une sortie (S. Duflos, R. Brandicourt, Ce que dit la nature dans le bois, Paris, Hatier, 1976, p. 87).P. anal. [En parlant d'une pers.] Mme de Castellane, qui aurait bien pu vivre un hiver entier sur sa propre graisse, comme font les oies (Mérimée, Lettres ctesse de Montijo,1870, p. 93).Fam. [En parlant d'une pers. maigre] La graisse ne l'empêche pas de courir (Ac. 1798-1932); (cf. Hamp, Marée, 1908, p. 83).La graisse ne l'étouffe pas (Ac.1835-1932).De haute graisse (vieilli). Bien engraissé. S'ils tuent un becfigue de haute graisse (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 258).Au fig., littér. Truculent. C'est pendant ce temps-là que s'écrivent (...) sur les murs (...) des farces contre les professeurs (...) avec des vers de haute graisse au fusain (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 248).Les nôtres [des injures] étaient de plus moelleuse graisse (Rolland, C. Breugnon,1919, p. 46). Rem. Cf. Rab. moutons de haulte gresse, c'est-à-dire bien en chair, bien engraissés, d'où, au fig. beaulx livres de haulte gresse, livres de grande valeur ou de grande qualité (voir Hug.). La docum. atteste l'expr. (sous la forme haulte-graisse) appliquée, au fig., à des personnes. Des farceurs de haulte-graisse (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 188); ce dernier emploi est déjà signalé ds Hug. − P. méton. ♦ Au sing. Embonpoint. Personne ne s'est plus que Rowlandson réjoui devant les déformations de la graisse et de la maigreur (Huysmans, Art mod.,1883, p. 226).Un menton, dont la pointe énergique repose sur un début d'empâtement qui en est encore au degré où la graisse est entièrement convertible en majesté (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 234). ♦ Au plur. Amas, masses de graisse. L'abbé Turlot, dont un frisson parcourut toutes les graisses (Fabre, Abbé Tigrane,1873, p. 302).Elle s'éveillait et tâchait de relever ses graisses (Renard, Journal,1901, p. 675). − P. métaph. Le style sec traverse le temps comme une momie incorruptible, cependant que les autres, gonflés de graisse et subornés d'imageries, pourrissent dans leurs bijoux (Valéry, Suite,1934, p. 107). b) Cette substance extraite du corps des animaux ou de végétaux et utilisée à diverses fins. Tache de graisse. Je crois déjà avoir dit que, sous le rapport officinal, huile ou graisse sont à peu près synonymes, la graisse n'étant qu'une huile concrète, ou l'huile une graisse liquide (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 124). ♦ Graisse de pendu. Graisse prélevée sur le corps d'un pendu, à laquelle la superstition attachait certaines vertus. Le folklore du Moyen Âge utilisait ces doigts [de nouveau-né], enduits de graisse de pendu, afin de plonger les habitants des maisons dans un profond sommeil et de permettre aux cambrioleurs, rendus par le même moyen invisibles, d'opérer en toute tranquillité (Hist. sc.,1957, p. 1541).
α) Cette substance, d'origine animale ou végétale, utilisée en cuisine. − [Avec déterminant spécifiant l'orig. ou la destination] Graisse alimentaire, comestible; graisse animale, végétale; graisse de caille, de bœuf, de porc, de coco. Les pâtisseries en farine crue pétrie dans la graisse de mouton et saupoudrées de sucre (Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 134).Gâteau savoureux, pesant à la fois et feuilleté, imbibé de fine graisse d'oie (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 20).Expr. fig. Boniment (ou var.) à la graisse (d'oie ou var.). Sans valeur. Synon. à la noix.Y a qu'un gradé pour vous servir d'ces boniments à la graisse d'oie! (Benjamin, Gaspard,1915, p. 24).Tu vas pas déjà abrutir ces mecs-là avec tes boniments à la graisse (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 9). Rem. Les var. sont multiples. Des boniments comme ça à la graisse d' ch'vaux d'bois! (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 85). Illusoires aussi [comme la graisse de chevaux de bois] la graisse de parapluie et d'ombrelle! « des phrases à la graisse de parapluie » (Esn., Poilu 1919). − [Sans ce déterminant spécifiant l'orig. ou la destination] Graisse hydrogénée, raffinée, rance; graisse chaude, fondante, figée, indigeste; faire fondre de la graisse; odeur de graisse. Un coup de pied dans la poêle, dont toute la graisse se renversa dans le feu (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 104).(De la noix de coco) on extrait une graisse que les estomacs délicats tolèrent beaucoup mieux que la graisse animale (Macaigne, Précis hyg.,1911, p. 255).Écoute l'élocution de la foule, pareille au crépitement de la graisse qui frit (Claudel, Ville,1901, II, p. 466). Rem. Dans cet emploi, le terme se trouve souvent en association avec huile, beurre, saindoux, margarine.
β) Cette substance, d'origine animale, utilisée pour les soins corporels. Ah! le bon pays! sans être obligées de s'oindre de graisse d'ours, les femmes y sont toujours belles et luisantes (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 120).[Une femme] avait des cheveux si outrageusement enduits de graisse de chèvre, qu'on les prenait pour un bonnet en laine tressée (Du Camp, Nil,1854, p. 127).
γ) Cette substance, d'origine animale, utilisée pour protéger, entretenir (un objet), lubrifier (un mécanisme), souvent remplacée de nos jours par de la graisse ou de l'huile d'origine minérale (cf. infra A 2), surtout en mécanique. On ne peut mieux le comparer [le tissu muqueux du dauphin] pour la consistance et la couleur qu'au noir que produit la graisse des essieux (Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 550).Les câbles d'acier, enduits de graisse, filaient comme des rubans trempés d'encre (Zola, Germinal,1885, p. 1185).Dans une odeur de graisse à brodequins, de fer battu, d'huile solaire, de corde neuve (Peyré, Matterhorn,1939, p. 111).
δ) Cette substance, d'origine animale, utilisée comme combustible. Pour s'éclairer et se chauffer, ils ont une lampe de stéatite, en forme de croissant et avec une mèche de mousse dans laquelle ils brûlent de la graisse de phoque (Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 118).
ε) Cette substance, surtout d'origine animale, entrant dans la fabrication de certains produits. Pour le préparer [l'onguent de linaire] on fait chauffer de la linaire fraîche en fleurs dans de la graisse de porc (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821, p. 561).Il préféra saponifier la graisse au moyen de la chaux (Verne, Île myst.,1874, p. 182).P. ext. Pommade à base de graisse. Les graisses médicamenteuses ou pommades (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 2, 1821p. 488). c) P. ext. Synon. de corps gras, matière grasse (cf. gras I A 1 a et 2).Abus des graisses. Les graisses animales (...) panne de porc (...) graisse de rognon de veau (...); graisses végétales (...) telle l'huile d'olive bien pure (Ali-Bab, Gastr. prat.,1907, p. 84).Le palmier à huile fournit (...) par écrasement de son amande, l'huile de palmiste, incolore, parfois employée comme graisse alimentaire (Plantefol, Bot. et biol. végét., t. 2, 1931, p. 300) : 2. Les graisses (ou graisses neutres ou corps gras) sont des mélanges d'esters d'un trialcool, le glycérol, avec certains acides organiques connus sous le nom d'acides gras (...). Parmi les divers corps gras on distingue ceux qui, concrets à la température ambiante, constituent les graisses proprement dites...
Encyclop. Sc. Techn.1971, p. 439. Rem. Cette ext. de sens, que la docum. n'atteste pas très fréquemment, est évidente dans les ex. cités et semble constituer une tendance mod. (cf. ex. 2 où l'accept. première et l'accept. p. ext. apparaissent concurremment). d) P. anal. Graisse de la terre. − Partie du sol onctueuse et la plus fertile. Les grandes ravines emportent la graisse de la terre (Ac.1798-1878).Un de ces éclats de roches qui sont cachés dans la graisse de la terre (Giono, Colline,1929, p. 30). − [P. réf. aux Écritures] Fertilité de la terre. Vous, pour qui la terre donne sa graisse et le ciel répand sa rosée (Chateaubr., Fragm. Génie,1800, p. 212).Plaise à Dieu d'accorder à mon fils Charles la rosée du ciel, la graisse de la terre, l'abondance du froment, du vin et de l'huile (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 1, 1821-24, p. 189).P. méton. Richesses, biens matériels. [Les] heureux du siècle, qui ont toute la graisse de la terre (Marat, Pamphlets, Dénonc. Necker, 1790, p. 93) : 3. D'un côté, je contemplais, à l'infini, les lignes parallèles des vignes; de l'autre, le clos des mûriers, le bois d'oliviers. Et à considérer cette graisse de la terre dont Dieu m'avait pourvu, j'étais exalté par un sentiment de reconnaissance.
Lacretelle, Silbermann,1922, p. 104. 2. Substance possédant les mêmes caractéristiques générales (cf. supra A), obtenue par dispersion d'un agent gélifiant dans un lubrifiant liquide dérivé du pétrole (d'apr. Encyclop. univ. 1972), et employée principalement en mécanique. Les articulations extérieures de la suspension et de la direction [d'une automobile] sont lubrifiées avec une graisse spéciale visqueuse dite extrême pression (Guerber1967).V. graissage ex. B. − [Caractéristique de qqc.; en rapport étroit avec des emplois particuliers de gras ou de graisser] .
1.
ŒNOLOGIE. Maladie anaérobie du vin (surtout blanc) qui lui donne une consistance huileuse, filante (cf. graisser II). On a tout lieu de penser, maintenant, que la graisse n'est qu'une manifestation secondaire et qu'il ne faut rien faire qui puisse gêner le déroulement de cette dernière si son rôle s'avère bénéfique (vins acides) (R. Engel, Vade-mecum de l'Œnologue et du Buveur « Très Prétieux », Paris, Ponsot, 1959, p. 87). Rem. Le terme s'emploie aussi pour désigner une altération analogue du cidre (cf. Lar. mén. 1926, s.v. cidre). 2. [Correspond à des emplois anal. de gras] .
a) Rare. [Cf. gras II A 2 b β] Il reconnut à la vaseline de son débit, à la graisse de son accent, un prêtre, solidement nourri (Huysmans, En route, t. 1, 1895, p. 4). b) [Cf. gras II A 2 b α]. IMPR. (typogr.). ,,Épaisseur du trait dans la gravure d'une lettre ou d'un filet`` (Voyenne 1967). On trouve généralement, dans l'ordre croissant, trois graisses par caractère : un maigre, un demi-gras, un gras (Impr.1977). REM. 1. Graisserons et graissillons, région.,subst. masc. plur. Rillettes. Vous enduisez d'une couche de graisserons ces tartines (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 115).Et surtout des « graissillons », sortes de rillettes (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 9). 2. Graissin, subst. masc.a) Pêche.
α
) Écume apparaissant à la surface de l'eau, là où les poissons frayent. Zoophytes phosphorescents, imprégnés du graissin des matières organiques décomposées par la mer (Verne, Vingt mille lieues, t. 1, 1870, p. 240).
β
) ,,Amorce à base de têtes de sardines hâchées menu, très huileuse et formant tache au-dessus de l'eau`` (Pollet 1970). b) Région. (Anjou). Fumier, compost, terreau très décomposé (d'apr. Plais.-Caill. 1958, Fén. 1970). Prononc. et Orth. : [gʀ
εs]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. craisse « substance onctueuse contenue dans le tissu cellulaire du corps de l'homme et des animaux » (Psautier Oxford, éd. Fr. Michel, LXII, 6); ca 1150 de prime gresse « gras, bien en chair » (Charroi de Nîmes, éd. D. Mac Millan, 19); ca 1170 graisse (Rois, éd. E. R. Curtius, I, XIV, 33); ca 1393 chappons de haulte gresse (Ménagier, II, 271 ds T.-L.); 2. a) ca 1245 « partie riche des sols, engrais » (H. D'Andeli, Bataille des sept arts, 42, ibid.); b) 1768 « cambouis » graisse noire des essieux (Desgrouais, Les Gasconismes corrigés, p. 239); c) 1771 technol. graisse de verre (Trév.); d) 1798 Du vin tourne à la graisse (Ac.); e) 1866 (Littré, s.v. : Terme d'exploitation. Bitume purifié). D'un type b. lat. *crassia, subst. abstr. formé sur l'adj. crassus (v. gras), cf. FEW t. 2, p. 1277a. Fréq. abs. littér. : 788. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 692, b) 1 643; xxes. : a) 1 321, b) 1 084. Bbg. Quem. DDL t. 6, 8, 15. - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 84, 124, 129. - Tilander (G.). Notes lexicogr. et étymol. Romania. 1937, t. 63, pp. 293-295. |