| * Dans l'article "GORGE,, subst. fém." GORGE, subst. fém. I. A. − 1. Partie antérieure du cou de l'homme. Le juge d'instruction voulut bien nous confier que la blessure à la gorge était telle que l'on pouvait affirmer, de l'avis même des médecins, que, si l'assassin avait serré cette gorge quelques secondes de plus, MlleStangerson mourait étranglée (G. Leroux, Myst. ch. jaune,1907, p. 15).Jusserand se prit à tousser et sortit un lourd foulard dont il s'enveloppa la gorge (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 56) : 1. ... ils s'arrêtèrent épuisés, chancelèrent et roulèrent ensemble sur le sol; mais l'un d'eux se releva parvint à se dégager de l'étreinte de son adversaire et le frappa d'un dernier coup qui l'atteignit dans la gorge.
Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 55. − P. anal. [Chez l'animal] Gorge d'un oiseau, d'un pigeon. Il [un serpent] faisait bruire ses anneaux sur les dalles, gonflait sa gorge, dardait sa langue fourchue (Gautier, Rom. momie,1858, p. 323).La substitution du collier d'épaules au collier de gorge entraînait une modification complète du harnais (P. Rousseau, Hist. transp.,1961, p. 88). 2. Loc. verb. a) Couper la gorge de (qqn), à (qqn). Synon. de égorger.Le second bourreau, armé d'un couteau, coupe la gorge du malheureux renversé et foule au pied sa poitrine pour faire sortir le sang avec plus d'abondance (Delécluze, Journal,1826, p. 315). − P. ext. ♦ Emploi pronom. réciproque. S'entretuer. Les combats où Français et Anglais se coupaient la gorge avec « des hurlements de joie » (Morand, Londres,1933, p. 324). ♦ Vieilli. Se couper la gorge avec (qqn). Se battre en duel avec (quelqu'un). Mon cher monsieur, je consens à me couper la gorge avec vous, (...) je sors les épées du fourreau, ou les pistolets de la boîte, à votre choix (Dumas père, Comte Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 294). Rem. La docum. atteste un emploi réciproque avec le même sens. Là là, faites la paix, messieurs. Vous vous couperez galamment la gorge demain matin (Hugo, L. Borgia, 1833, III, 1, p. 155). ♦ Emploi pronom. réfl. Déclarer sa fortune à sa fille, inventorier l'universalité de ses biens meubles et immeubles pour les liciter?... − Ce serait se couper la gorge (Balzac, E. Grandet,1834, p. 213). b) Sauter à la gorge de (qqn). Saisir violemment (quelqu'un) en le prenant à la partie antérieure du cou. M. Litois sauta à la gorge d'Eugène, et, le prenant au collet, s'écria : − Vous n'irez pas, vous n'irez pas! (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 68). − P. ext. Synon. de en venir aux mains avec (qqn).C'était à peine si la présence du chef de l'État le contenait dans les bornes des bienséances, et, comme il n'osait pas sauter à la gorge de son rival, il accablait d'invectives (...) le chef respecté de l'armée (A. France, Île ping.,1908, p. 371). ♦ Emploi pronom. réciproque. Les deux hommes, cessant la comédie, livides et le visage crevant de haine, s'étaient sauté à la gorge. Ils se roulaient par terre, derrière un portant, en se traitant de maquereau (Zola, Nana,1880, p. 1216). c) Prendre (qqn) à la gorge. Saisir (quelqu'un) en le prenant au cou. Le fou le prit à la gorge, l'entoura de ses jambes, et tous deux se débattirent avec d'épouvantables convulsions (Karr, Sous tilleuls,1832, p. 29). − Au fig. Exercer sur (quelqu'un) une grande violence ou une pression impitoyable. L'Empereur ému, dicta : « Ces calomnies contre un homme qu'on opprime avec une telle barbarie, et qu'on prend à la gorge pour l'empêcher de parler, seront repoussées par toutes personnes bien nées et capables de sentir... » (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p. 141) : 2. Ainsi, cet homme [Louis Bonaparte] a pris à la gorge la Constitution, la République, la loi, la France; il a donné à l'avenir un coup de poignard par derrière : il a foulé aux pieds le droit, le bon sens, la justice...
Hugo, Nap. le Pt,1852, p. 131. Rem. On trouve avec le même sens et les mêmes emplois : saisir, serrer, tenir (qqn) à la gorge. d) Mettre le couteau, le poignard, le pistolet sur (plus rarement sous) la gorge à (qqn). Menacer (quelqu'un de cette arme). Il s'approcha tout à coup de l'amoureux, lui tira par surprise l'épée du baudrier, et, lui mettant le pistolet sur la gorge, dit au laquais : « Ôtez les éperons à ce traître (...) » (Nerval, Fille feu, Angélique, 1854, p. 531). − Au fig. Placer (quelqu'un) dans une situation de contrainte. Un nouveau caprice de Nathalie vint mettre le couteau sur la gorge à son père (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 248).Vous nous mettez le pistolet sous la gorge avec votre faillite (Zola, Curée,1872, p. 526) : 3. Vous êtes peut-être gênées en ce moment, dites-le-moi, je ne viens pas vous mettre le couteau sur la gorge. Que MmeVigneron me fasse un effet de deux mille francs, à trois mois; sa signature, pour moi, c'est de l'argent comptant.
Becque, Corbeaux,1882, IV, 10, p. 243. ♦ Tenir le pied sur la gorge à (qqn). La triste nécessité qui m'a toujours tenu le pied sur la gorge, m'a forcé de vendre mes mémoires (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 7). e) Avoir le couteau sur la gorge (au fig.). Subir une contrainte, une pression impitoyable. J'ai été forcé moi-même, j'avais le couteau sur la gorge (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 137).Il n'y a que lui pour dire qu'il ne faut jamais se rendre, jamais accepter de conditions, même honorables, eût-on sur la gorge mille couteaux (Bloy, Journal,1900, p. 219). f) Tendre la gorge à (qqn) (au fig.). Se laisser tuer, accabler par (quelqu'un) sans lui opposer de résistance. Quatre mille vétérans (...) pleins de force, et ayant à la main la pique et l'épée, tendirent, comme des agneaux paisibles, la gorge aux bourreaux (Chateaubr., Martyrs, t. 2, 1810, p. 10).Tolstoï (...) veut que nous tendions au fer des massacreurs une gorge innocente (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 396). B. − 1. Cavité intérieure du cou à partir de l'arrière-bouche. Synon. gosier.Il [le son] résulte de l'émission d'une certaine quantité d'air qui sort de la gorge, pendant que le système entier de l'organe vocal est disposé d'une certaine manière (Destutt de Tr., Idéol. 2,1803, p. 322).Ces bonnes petites faînes huileuses qui grattent la gorge et font tousser (Colette, Cl. école,1900, p. 10).La chaleur du thé me descendit dans la gorge sans me soulager le cœur (Duhamel, Terre promise,1934, p. 63) : 4. Le premier tintement de gong, qui annonçait l'approche du déjeuner, le fit se lever. Il alluma l'applique du lavabo pour éclairer le fond de sa gorge. Avant de se mettre à table il prenait généralement la précaution de se faire quelques instillations, afin d'atténuer la difficulté de la déglutition...
Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 771. − Mal de gorge. Inflammation des muqueuses du pharynx et/ou du larynx. C'est un état assez pénible que la suite d'une fièvre inflammatoire. Les maux de gorge, les évanouissements durent, je crois, toute la vie (Staël, Lettres L. de Narbonne,1793, p. 127). ♦ Expr. Avoir mal à la gorge, avoir la gorge prise, irritée. J'avais un petit accès de fièvre, mal à la gorge et une sensation générale de grippe (Du Bos, Journal,1928, p. 104). 2. En partic. a) Siège de diverses sensations, correspondant à la région du cou. Synon. gosier.
α) [Sensation de soif] Avoir la gorge sèche, en feu, altérée. Éprouver une forte sensation de soif. Sa gorge sèche et qui avait soif. Son gosier sec. Son gosier qui avait soif (Péguy, Myst. charité,1910, p. 78).Henri a commandé du champagne; j'avais la gorge sèche de soif, de fatigue, d'émotion et je vidai d'un trait deux coupes (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 188). ♦ Loc. (fam.). Se rincer la gorge. Boire (en général une boisson alcoolisée). J'avais hâte de filer pour aller me rincer la gorge au bistro du coin (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 319). ♦ Loc. adv. (Boire) à pleine gorge. (Boire) d'un trait, goulûment. Synon. à plein gosier.Saisissant sur la table une haute bouteille en terre poreuse où l'eau se conservait glacée, il la souleva des deux mains et but à pleine gorge, un long moment (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 235).
β) [Sensation d'ordre respiratoire] Prendre à la gorge. Faire suffoquer. La limaille prenait à la gorge. Il y avait du fer dans la température, les hommes étaient couverts de fer, tout puait le fer (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 242).La soupe des chiens exhale une vapeur fétide qui vous prend à la gorge et vous fait tousser... c'est à vomir!... (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 34). ♦ Au fig. Synon. de couper le souffle.Comment! s'écria Luizzi, pris à la gorge par l'outrecuidance de la position (Soulié, Mém. diable, t. 2, 1837, p. 297).L' In Paradisum de Fauré, musique admirable (...). Les voix d'enfants prenaient à la gorge (Green, Journal,1949, p. 297).
γ) [Sensation d'ordre psychosomatique, gén. l'angoisse] Gorge angoissée, contractée, crispée, nouée; avoir le cœur dans la gorge. Ma gorge sèche de désir quand je prononce les noms d'Asie... (Barrès, Cahiers, t. 1, 1897, p. 202).Raboliot, de nouveau, sent comme une boule se gonfler dans sa gorge (Genevoix, Raboliot,1925, p. 233). − Serrer (qqn) à la gorge, serrer la gorge de (qqn), à (qqn). Angoisser, oppresser (quelqu'un). Ces souvenirs serrèrent Madeleine à la gorge (Zola, M. Férat,1868, p. 281).L'humiliation et la peine lui serraient la gorge. Il lui semblait que le bonheur de sa vie dépendait de cet instant (Arland, Ordre,1929, p. 86) : 5. ... une grande émotion, une attente anxieuse, les approches de l'ineffable mystère, étreignaient le cœur des enfants, serraient la gorge de leurs mères. Le prêtre (...) remonta vers l'autel, et, tête nue, couvert de ses cheveux d'argent, avec des gestes tremblants, il approchait de l'acte surnaturel.
Maupass., Contes et nouv., t. 1, Mais. Tellier, 1881, p. 1194. ♦ La gorge (de qqn) se serre. Quand je la vois, ma gorge se serre et j'étouffe, comme si mon cœur se soulevait jusqu'à mes lèvres (Musset, Caprices Mar.,1834, I, 1, p. 130). b) Siège, organe de la voix. Avoir un chat* dans la gorge. Elle ouvrit la bouche comme pour parler, un râle sortit du fond de sa gorge (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 354).La voix de Morhange s'était étranglée dans sa gorge (Benoit, Atlant., 191, p. 126). ♦ Vieilli, VÉN. [En parlant d'un chien] Avoir une bonne, belle gorge. Avoir une forte voix. Si vous êtes chasseur et que vous vouliez faire une surprise à grand orchestre, mettez de l'autre côté du rez de chaussée trois ou quatre chiens ouvrants ayant une belle gorge (Gressent, Créat. parcs et jardins,1891, p. 437). − Loc. verb.
α) [Le suj. désigne une production langagière] Rester dans la gorge. Ne pouvoir être exprimé. Il leva la tête, et s'apprêta à redire son bon mot. Son regard rencontra le visage de Gottfried (...). Sa phrase lui resta dans la gorge (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p. 90).Une interrogation inquiète restait au fond de sa gorge : avais-je le droit de plaquer les copains? ai-je le droit de mourir pour rien? (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 174). Rem. La docum. atteste la constr. vieillie : rester à la gorge. J'entonne encore bien quelquefois un petit cantique, dit Luther, et Le remercie un peu. Pour moi, je ne puis. Cela me reste à la gorge. Cette année surtout, je suis sec (Michelet, Journal, 1840, p. 353). ♦ Monter, venir à la gorge. Être sur le point d'être exprimé; venir à l'expression. Le cri de la douleur et de la colère montait à sa gorge, et, ne pouvant éclater, l'étouffait, car son visage s'empourpra et ses lèvres devinrent bleues (Dumas père, Comte Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 5).Il trembla doucement, et des sanglots lui vinrent à la gorge. Il les ravala (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 214) : 6. Le mot mort remonta du fond de son cœur dans sa gorge. Mort, mort, tué... voilà : tué. Pourquoi? les gens... quelles gens? qui pouvait vouloir tuer Justin?
Aragon, Beaux quart.,1936, p. 158.
β) [Le suj. désigne une pers.] ♦ Se racler la gorge. Éclaircir sa voix. Le typo jette un regard anxieux à Dewrouckère, se racle la gorge et dit à Brunet : « On voudrait te causer » (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 251). ♦ (Faire) rentrer des paroles dans la gorge à (qqn), de (qqn). Obliger (quelqu'un) à se taire, à désavouer ses propos. Tu vas te taire, à la fin, ou je ferai rentrer les mots dans ta gorge (Sartre, Mouches,1943, II, 1ertabl., 3, p. 51) : 7. − (...) peut-être que madame sera contente de savoir où va monsieur, de quatre à six, deux et trois fois par semaine, quand il est sûr de trouver la personne seule... Elle était devenue brusquement très pâle, tout son sang refluait à son cœur. D'un geste violent, elle tenta de lui rentrer dans la gorge ce renseignement qu'elle évitait d'apprendre depuis deux mois.
Zola, Argent,1891, p. 223. ♦ Renfoncer dans sa gorge. Taire, retenir. Il (...) renfonçait dans sa gorge une colère près de jaillir. Et, ne pouvant se contenir davantage, il renvoya la jeune fille d'un mot. − Va jouer un instant, ma chérie (Zola, Terre,1887, p. 186).Comment ai-je pu dire tout cela, sans pouffer?... Comment ai-je pu renfoncer dans ma gorge le rire qui y sonnait, à pleins grelots?... En vérité, je n'en sais rien... (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 84). − Vieilli. (En) mentir par la gorge. Mentir de façon éhontée. Vous mentez par la gorge! comme disent les nobles (Sand, Mauprat,1837, p. 171). − Loc. adv. ♦ (Chanter, parler, rire, etc.) de la gorge. En contractant la gorge, en étranglant le son. Entendre sa jolie voix, qui ne connaissait pas les roueries du métier et chantait un peu de la gorge, à la façon d'une petite fille, mais qui avait un je ne sais quoi de fragile et de touchant (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 470). ♦ (Chanter, parler, rire, etc.) à gorge déployée, à pleine gorge. Bruyamment, sans retenue. Son barde (...) se prit à improviser à l'ordre du prince, et chanta, en récitatif et à gorge déployée, des vers arabes (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 70).Je cours après elle et la rattrape dans le corridor, pendant que les élèves rient à pleine gorge, crient de joie et grimpent debout sur leurs bancs (Colette, Cl. école,1900, p. 123). Rem. La docum. atteste avec le même sens : à toute gorge (Du Camp, Nil, 1854, p. 30); à plaisir de gorge (Pourrat, Gaspard, 1925, p. 243). − Loc. adj. (Voix, rire, bruit, etc.) de gorge. Guttural. Il fit, en mangeant la première bouchée de l'entremets, un bruit de gorge comique et glouton, et un mouvement du cou pareil à celui des canards qui avalent un morceau trop gros (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Fam., 1886, p. 563).Le plus souvent le mauvais chanteur n'atteint pas le maximum de fermeture [de l'isthme du gosier] alors il produit un son sourd, écrasé, guttural : c'est la voix de gorge (Arger, Init. art chant,1924, p 55). C. − P. méton. 1. Vieilli. Gorge chaude. Animal vivant ou cadavre encore chaud donné en pâture à un oiseau de proie. La gorge chaude est la proie encore pantelante, encore tiède, qu'on donne au faucon, pour le récompenser de sa chasse (A. France, Gén. lat.,1909, p. 86). ♦ Rendre gorge. Vomir. Notre vie (...) s'empiffre, jusqu'à ce que, comme un chien qui vomit des vers et des morceaux de viande, le ventre bourré se révolte et qu'on rende gorge sur la table! (Claudel, Tête d'Or,1901, 1repart., p. 180). 2. Loc. verb. − Faire gorge chaude de (qqn, qqc.) (vieilli); faire des gorges chaudes de (qqn, qqc.), sur (qqn, qqc.). Se moquer de (quelqu'un, quelque chose) par des plaisanteries plus ou moins malveillantes. Il y avait à Paris (...) deux procureurs au Châtelet, appelés, l'un Gorbeau, l'autre Renard (...). L'occasion était trop belle pour que la basoche n'en fît point gorge chaude (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 518).Les gens de Villotte faisaient des gorges-chaudes sur les habitudes parcimonieuses des deux frères (Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 11) : 8. Le malheur voulut que Labounoff me surprît un soir, à Sainte-Marie du-Salut, baisant humblement la poussière de la dalle. Mon tendre secret fut divulgué; toute la ville en fit des gorges chaudes. Je regardai les rieurs et me pris à rire plus fort qu'eux. Quoi de plus divertissant, en effet, que le spectacle d'une pierre pénétrée d'amour, et d'un sot moqué par le polisson d'Arouët!
Milosz, Amour. initiation,1910, p. 76. Rem. La docum. atteste l'emploi de gorges-chaudes au sens de « moquerie ». Après avoir recueilli les gorges-chaudes du Tout-Paris de l'Exposition, en étalant ses fastueuses pauvretés au Salon de Mars, le voici [Signol] qui exhibe, cette fois, une Psyché et un Abel (Huysmans, Art. mod., 1883, p. 90). − Faire rendre gorge à qqn. Obliger (quelqu'un) à restituer ce qu'il a acquis par des moyens illicites. Le peuple (...) fera rendre gorge à ses spoliateurs (Marat, Pamphlets, Infernal projet des ennemis de la Révol., 1790, p. 200).Les peuples sont charmés de voir leurs gouverneurs rendre gorge : les gouverneurs passent leur vie à s'enrichir, et, finalement, ils meurent pauvres (Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 154). D. − Vieilli. Poitrine, seins de la femme. Je (...) fus complètement fasciné par une gorge chastement couverte d'une gaze, mais dont les globes azurés et d'une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle (Balzac, Lys,1836, p. 25).Elles [les femmes en Égypte] (...) se découvrent ce qu'on est convenu d'appeler la gorge, c'est-à-dire l'espace compris depuis le menton jusqu'au nombril. Ah! j'en ai t'y vu de ces tetons! (Flaub., Corresp.,1849, p. 136) : 9. Je ne sacrifiais que mon épaule nue
À la lumière; et sur cette gorge de miel,
Dont la tendre naissance accomplissait le ciel,
Se venait assoupir la figure du monde.
Valéry, J. Parque,1917, p. 16. − En partic., emploi partitif. Avoir de la gorge. Mon Dieu, que j'ai peu de gorge! (à l'école, ça s'appelle des nichons et Mélie dit des tétés) (Colette, Cl. Paris,1901, p. 53).Madame de La Vallée-Chourie (...) qui était petite, avait la peau brune et n'avait presque pas plus de gorge qu'un garçon (Boylesve, Leçon d'amour,1902, p. 21). SYNT. Gorge bien faite, blanche, délicate, ferme, opulente, plantureuse, plate, ronde, épanouie, naissante, frémissante. II. A. − Au sing. ou plur. Vallée étroite et encaissée. Gorge profonde, étroite, sauvage; les gorges du Tarn. Les rivières (...) se précipitent par une série alternante de gorges et de bassins (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr.,1908, p. 358) : 10. Au quitter de Masyaf, on gravit une petite croupe, on longe un ravin, on le traverse (...). On suit la vallée à droite pendant un certain temps et on arrive sur un petit plateau boisé de broussailles, on descend à l'ouest et on traverse un petit ruisseau qui coule du sud au nord. Après, on pénètre dans une petite gorge, et on la gravit pendant deux heures, dans les rochers et les broussailles...
Barrès, Cahiers Orient,1914, p. 6. B. − Entrée d'un ouvrage fortifié. Allons, monsieur, me dit-il, vous commandez en chef; faites promptement fortifier la gorge de la redoute avec ces chariots (Mérimée, Mosaïque,1833, p. 44). III. Emplois spéciaux A. − ANAT. Sillon d'une trochlée. Gorge de la trochlée humérale. La trochlée fémorale présente une gorge et deux joues (Gérard, Anat. hum.,1912, p. 181). B. − ARCHITECTURE 1. Moulure creuse à profil curviligne (généralement dans un encadrement). Les tapisseries encadrées dans des cadres de chênes à gorges et à moulures (Balzac, Rabouilleuse,1842, p. 443).Une large moulure à la gorge profondément évidée, et d'un profil saillant, terminait la muraille (Gautier, Rom. momie,1858, p. 193). 2. Synon. de gueule.Un égout (...) tombait d'une gorge de pierre, usée et souillée, à gros bruit (Zola, Rome,1896, p. 244). C. − BOT. ,,Entrée du tube du calice dans les fleurs monosépales ou de la corolle dans les fleurs monopétales`` (R. Blais, Flore pratique, Paris, P.U.F., 1945, p. 25). J'avais emporté un rameau de glaïeul dont les gorges étaient d'un rose d'abricot (Jammes, Rom. du lièvre,1903, p. 321). D. − TECHNOLOGIE 1. Partie évidée, étroite et allongée dans une pièce métallique. Synon. cannelure, rainure.Gorge d'écoulement. On peut cataloguer les jantes, d'après leur profil, en deux séries bien distinctes. Les jantes creuses, demi creuses, ou à gorge excentrée et les jantes plates (Chapelain, Techn. automob.,1956, p. 208).On imagina des rails avec une gorge où s'encastraient les roues, puis des rails à bourrelets sur lesquels adhéraient les roues (Lesourd, Gérard, Hist. écon.,1968, p. 206). − En partic. Gorge d'une poulie. Partie évidée placée à la circonférence d'une poulie où passe la corde (cf. Nosban, Manuel menuisier, 1857, p. 237). 2. Partie évidée ou entaillée dans une pièce. L'outillage lithique comprend (...) la hache éclatée, la hache marteau percée, la massue à gorge ou percée (S. Blanc, Init. préhist.,1932, p. 69).La gorge [des doigts de la faucheuse] est un évidement ménagé pour laisser passer la tringle et les têtes de rivet fixant les sections sur cette dernière (Ballu, Mach. agric.,1933, p. 295). − En partic. Gorge d'une serrure. Pièce mobile qui immobilise ou libère le pêne dans une serrure. La serrure à gorges a le panneton de ses clefs découpé, chaque cran correspondant à l'épaisseur d'une gorge (Robinot, Vérif. métré et prat. trav. bât., t. 3, 1928, p. 95). − MUS. ,,Partie de la table et du fond du violon se trouvant près des bords et présentant un léger creux`` (Lar. encyclop. 1962). Cf. Grillet, Ancêtres violon, t. 2, 1901, p. 203. 3. CÉRAM. Gorge d'un vase. Partie du vase comprise entre l'extrémité supérieure et le corps. Un vase à large et haute gorge circulaire au-dessus de l'orifice de laquelle viennent s'enrouler les fortes volutes de deux anses qui descendent presque droites se planter au bord de l'épaulement (P. Rouaix, Dict. des arts décoratifs, Paris, Montgredien et Cie, t. 1, [1885, 1886], p. 944). REM. 1. Gorgette, subst. fém.a) Dimin. de gorge (supra I D). Que vous êtes bien gentille, ravissante, avec une gorgette à faire pâmer toute une classe d'écoliers (Flaub., Smarh,1839, p. 13).b) Région. (Canada). Synon. de gorgerette (cf. ce mot B).Cf. Dunn 1880). 2. Gorget, subst. masc.a) Rabot servant à faire les moulures appelées « gorge » (supra III B). (Dict. xixeet xxes.). b) Moulure concave plus petite que la gorge. (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth. : [gɔ
ʀ
ʒ]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. a) Début xiies. « partie intérieure du cou » (St Brendan, 1145 ds T.-L.); 1585 (chanter) à gorge déployée (N. du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 1, p. 297); b) 1228 « seins d'une femme » (J. Renart, G. de Dole, éd. F. Lecoy, 4373); 2. a) ca 1200 « repas d'un oiseau de chasse » (Mort Gorin, 124 ds T.-L. : faire gorje à « donner à manger à »; b) 1376 « jabot (d'un oiseau) » (Modus et Ratio, 92, 44, ibid.); c) α) 1535 rendre sa gorge « vomir » (Cl. Marot, « Épigrammes, éd. C.A. Mayer, 78, 42);
β) 1598 rendre gorge « restituer par force » (Lettres missives de Henri IV, t. IV, p. 914 ds Gdf. Compl.); 3. 1690 en faire une gorge chaude « railler, moquer » (Fur.). II. 1. 1269-78 « ouverture rétrécie de certains objets » (J. de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 13950); 2. 1675 « passage étroit entre deux montagnes » (Widerhold d'apr. FEW, t. 4, p. 332 b). Empr. au lat. pop.gurga, lat. class. gurges « tourbillon d'eau, gouffre, abîme ». Fréq. abs. littér. : 3 896. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 019, b) 7 120; xxes. : a) 8 099, b) 5 305. Bbg. Archit. 1972, p. 128, 212. - Esnault (G.). Lois de l'arg. R. Philol. fr. 1925, t. 37, pp. 19-20. - Hasselrot 20es. 1972, p. 8 (s.v. gorgette). - La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 359. - Rey (A.). Struct. sém. des loc. fr. In : Congrès Internat. de Ling. et Philol. Rom., 13. 1971. Québec. Québec, 1976, t. 1, p. 834. |