| GIBIER, subst. masc. A. − Tout animal que l'on chasse, le plus souvent pour sa chair. 1. Terme générique, subst. coll., gén. au sing. Ensemble des animaux sauvages à chair comestible estimée, en particulier oiseaux et mammifères à sang chaud. Les chasseurs ne tuent guère de gibier au vol, ils tirent les perdrix au posé et les lièvres au gîte (About, Grèce,1854, p. 62).Le gibier abondait cette année. Lapins, lièvres, faisans, se succédèrent (Gide, Immor.,1902, p. 450) : 1. Cerfs, daims, faisans, perdreaux, jamais on ne pourrait nombrer toutes les espèces de gibier qui fourmillent en Corse. Si vous aimez à tirer, allez en Corse, colonel; là, comme disait un de mes hôtes, vous pourrez tirer sur tous les gibiers possibles, depuis la grive jusqu'à l'homme.
Mérimée, Colomba,1840, p. 5. SYNT. Gibier à poil, à plume(s); gros gibier (comme le cerf, le chevreuil, le sanglier); petit gibier (comme le lièvre, la perdrix, la bécasse); gibier d'eau, de plaine, de passage; traces de gibier; rabattre, tirer le gibier. 2. P. méton. a) Bête(s) que l'on chasse. Pièce de gibier; flairer le gibier. Attaquer une superbe et terrible bête, un gibier de roi s'il en fut, le plus vieux solitaire de mes bois (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 577).Ses narines dilatées ainsi que celles des épagneuls ou des braques suivant au galop le gibier à la piste (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 377) : 2. Comme à l'ordinaire, M. Lepic vide sur la table sa carnassière. Elle contient deux perdrix (...). Sœur Ernestine dépouille et plume le gibier. Quant à Poil de Carotte, il est spécialement chargé d'achever les pièces blessées.
Renard, Poil Carotte,1894, p. 5. b) Chair comestible, viande du gibier. Gibier faisandé; pâté, rôti de gibier; manger du gibier. S'il t'arrive jamais du fond de la province Quelque faisan doré, gibier digne d'un prince, Ou quelque gros pâté de fine venaison (Barbier, Satires,1865, p. 23).Une charcuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 151) : 3. Le gibier qu'on mange en Grèce est excellent : les lièvres, les bécassines, les grives ont un fumet délicieux. La perdrix rouge, la seule qu'on ait occasion de tuer, est à peine mangeable. Sa chair est dure, cotonneuse et insipide.
About, Grèce,1854, p. 153. 3. Animal poursuivi, chassé par un autre, pour devenir sa pâture, sa nourriture. Quelques chats efflanqués rôdaient (...) à la recherche sans doute d'un nourrissant gibier qui les consolerait de ces éternels repas de soupe maigre que leur servait la Trappe (Huysmans, En route, t. 2, 1895, p. 300). B. − Au fig., fam. 1. Personne que l'on cherche à tromper; victime, proie d'un escroc. Gibier facile; gibier de choix; gibier rare. Dupe au fond, gibier des emprunteurs de divans, carotté des uns, des autres et de Murger qui ne rend jamais l'absinthe, ni un louis (Goncourt, Journal,1857, p. 423).L'hôtelier vous examine de la tête aux pieds, (...) juge d'un coup d'œil le gibier maigre et méprisable, et vous déclare qu'il n'a plus de chambre (Hugo, Fr. et Belg.,1885, p. 170) : 4. ... la classe morale du paysan des anciennes souches, tout cela est la crème de la France, mais tout cela s'en va dupe des chefs et des organes et des meneurs, et des imbéciles et des intrigants, vrai gibier de courtisans et de journalistes, pâture de toutes les déceptions les plus grossières, hélas! hélas!
Lamart., Corresp.,1831, p. 206. 2. En partic. Personne qu'une force policière recherche ou qui est entre les mains de la justice. Gibier de bagne, de prison, de correctionnelle, de cour d'assises. La Gestapo consent, fait-elle dire, à libérer Dani, si on lui fournit en échange un gibier de qualité (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 217).La baraque disciplinaire où le gibier des tribunaux, après sentence, attendait de partir pour le lieu de son châtiment (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 346). ♦ Emploi adj., rare. Et l'air gibier que prend aussitôt le prévenu. L'art de lui donner l'air coupable (Gide, Souv. Cours d'ass.,1913, p. 643). ♦ Gibier de potence. Individu malhonnête, qui mérite d'être pendu ou de subir une peine sévère; p. ext., mauvais sujet. Il y a cent à parier contre un que ce gibier de potence, à moins que la peine de mort ne soit abolie, escaladera tôt ou tard la guillotine (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 260) : 5. − (...) Je m'étonne que l'on ne m'ait pas fusillé. On persécute de puérils réactionnaires pleins de bons sentiments et on me laisse courir? Cela ne se voit pas que je suis un hérétique, un gibier de potence?
Chardonne, Femmes,1961, p. 61. 3. Personne que l'on cherche à séduire, dont on désire faire la conquête amoureuse. Chasser le gibier. Courtiser des femmes. Anne était un gibier facile, marqué d'avance. Depuis l'apparition de François, il avait dissimulé un peu sa nature frivole (Radiguet, Bal,1923, p. 144).Il n'avait jamais fait attention à Yvonne : il savait bien que ce n'était pas du gibier pour lui. Conscient de son infériorité sociale, il n'osait lever les yeux sur elle (Queneau, Pierrot,1942, p. 103). C. − Au fig. Objet de recherche passionnée, pour alimenter un appétit intellectuel, un goût prononcé. Les romans ne sont point gibier de dévotes (Ac.1932).Devant l'expression d'idées morales l'intérêt de Julius s'éveillait brusquement; c'était gibier pour lui (Gide, Caves,1914, p. 717).Je suis dans un de ces moments où je vois si nette la piste de ce gibier qui s'appelle le bonheur (Giraudoux, Électre,1937, II, 3, p. 138) : 6. C'est dans l'amour heureux que notre âme respire. Elle s'y vient recharger d'allégresse et de chant. Préférer quelque autre à soi-même, s'élancer avec respect derrière un gibier divin pour lui faire son bonheur, lancer au ciel des louanges et des remerciements...
Barrès, Jard. Oronte,1922, p. 145. − Loc. vieillie. Cela n'est pas de son gibier. Cela n'est pas de son ressort, ou cela n'est pas son centre d'intérêt. Je lui passe donc les convictions, les principes et la science qui ne sont pas de son gibier (Amiel, Journal,1866, p. 537).Loc. mod. Ce n'est point du gibier pour lui, ce n'est pas son gibier. Il [Francis Jammes] reste devant un tableau, une symphonie, une idée, comme son chien devant les fleurs; ce n'est point du gibier pour lui (Gide, Feuillets,1921, p. 721). Prononc. et Orth. : [ʒibje]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1176 aler an gibiers « aller à la chasse » (Chr. de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 6349); 2. a) 1377 gibier « viande d'oiseaux » (Gace de La Buigne, Roman des Deduis, éd. A. Blomqvist, 11000); b) 1539 « animaux bons à manger qu'on prend à la chasse » (Est); 3. a) ca 1460 « personne que l'on poursuit » (Myst. Siège d'Orleans, éd. F. Guessard et E. de Certain, 764); b) 1528 gibier du prevost « malfaiteur » (Reg. cons. de Limoges, I, 169 ds Gdf. Compl.); c) 1668 gibier de potence (Molière, L'Avare, I, 3). Mot issu par substitution de suff. de l'a. fr. gibiez « chasse aux oiseaux » (xiies. ds T.-L., s.v. gibier), lui-même issu de l'a. b. frq. *gabaiti « chasse au faucon », cf. m. h. all. gebeize « id. », all. Beize « chasse aux oiseaux de proie ». Fréq. abs. littér. : 699. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 837, b) 1 341; xxes. : a) 996, b) 940. Bbg. Bugge (S.). Étymol. rom. Romania. 1875, t. 4, p. 358. - Lenoble-Pinson (M.). Le Lang. de la chasse. Bruxelles, 1977, pp. 19-21. |