| GELER, verbe I. − Emploi trans. A. − [Le suj. désigne un agent météor.] 1. Solidifier un liquide; le transformer en glace. Froid qui gèle un étang, une mare : 1. Trois mois s'écoulèrent ainsi, on était en décembre, des froids terribles gelaient l'eau de sa cruche, au pied de son lit; mais il ne se plaignait pas...
Zola, Terre,1887, p. 304. − P. ext. Durcir une matière, une substance solide. Geler le sol, la terre, les pierres. Ah bien! ce qu'il fait froid, chez nous! dit Berthe en grelottant. Ça vous gèle les morceaux dans la bouche... Ici, au moins, il y a eu du feu, ce soir (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 32). 2. [En parlant de tissus vivants, animaux ou végétaux] Abîmer, endommager par le froid. Geler les arbres, les bourgeons : 2. Monsieur balbutia, ânonna : − C'est des églantiers... Tu sais bien, mignonne... Des églantiers... Le père Pantois m'apportait des églantiers... Tous les rosiers ont été gelés, cet hiver...
Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 81. − P. exagér. [Le compl. désigne une pers.] Faire souffrir cruellement du froid. Geler les doigts, les membres, les os; geler les oreilles. Vent très froid d'octobre qui gelait les dents (Michelet, Journal,1844, p. 580) : 3. Elle marchait penchée en avant, la tête baissée, comme une vieille; le poids du seau tendait et roidissait ses bras maigres; l'anse de fer achevait d'engourdir et de geler ses petites mains mouillées...
Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 470. B. − Au fig. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] 1. [Le compl. désigne une/des pers.] Mettre mal à l'aise. Geler l'auditoire. Ce qui suffoquait surtout Tartarin, ce qui le navrait, le gelait encore plus que la pluie froide (...) c'était de ne pouvoir parler (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 72).Le médecin-auxiliaire pérore, avec une assurance qui nous gèle (Genevoix, Boue,1921, p. 223) : 4. ... il partit et s'en fut raconter, par tout le village, les excentricités de cette maison dont l'ameublement l'avait positivement frappé de stupeur et gelé sur place.
Huysmans, À rebours,1884, p. 165. 2. [Le compl. désigne une chose] Contracter, priver d'expression, de vie, de cordialité. Toutes les trois minutes, on croirait à un de ces silences qui gêlent les contenances (Péladan, Vice supr.,1884, p. 101).La stupeur gèle les visages, les mains tombent au bout des bras (Druon, Louve Fr.,1959, p. 951) : 5. ... il n'est pas de poésie plus plastique que celle de Maurras, non de cette plasticité du faux marbre, qui gèle l'œuvre de Leconte de Lisle... mais de cette plasticité que les Gallo-romains avaient héritée des Grecs...
L. Daudet, Maurras,1928, p. 31. 3. Dans les domaines de l'administration, de l'économie, des finances.Interdire momentanément une activité, la circulation ou l'emploi de capitaux. Geler les crédits, les postes, les transactions : 6. ... la décision du président Carter de « geler » [it. ds le texte] les avoirs publics iraniens aux États-Unis a obtenu le soutien de l'opinion publique américaine qui souhaiterait même voir les mesures de rétorsion américaines s'étendre au « gel » des avoirs privés...
Figaro,16 nov. 1979, p. 3. II. − Emploi intrans. A. − 1. [En parlant de liquides] (Se) prendre, se solidifier sous l'action du froid. J'étanchai sur son front le sang qui s'y gelait (Lamart., Jocelyn,1836, p. 656).Cette nuit-là l'eau gela dans les citernes de Phalsbourg et le vin dans les caves (Erckm.-Chatr., Conscrit 1813,1864, p. 24) : 7. À partir de février, le froid devint terrible (...). Et les rues, d'abord inondées, s'étaient transformées en banquises. Des gamins patinaient sur le pavé, descendaient en traîneaux les pentes de l'Alouette et du boulevard Montesquieu. L'encre, le vin, la bière gelaient. Les seuils des maisons éclataient. Bientôt les arbres se fendirent et craquèrent et l'on trouva des gens morts dans leur lit.
Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 333. Rem. Dans le même sens, l'emploi de la forme pronom. est fréq. L'eau du canal se gerce et se gèle (Rodenbach, Règne silence, 1891, p. 81). L'eau douce avait, en se gelant, fait éclater le baril qui la contenait (A. France, Île ping., 1908, p. 35). 2. [En parlant de substances solides] a) Durcir. Je vous dis que l'année sera pauvre, fit un vieux, la terre avait gelé avant les dernières neiges (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 8). b) Se bloquer. Aujourd'hui encore les commandes gèlent; le volant est dur; quant au palonnier, il est entièrement coincé! (Saint-Exup., Pilote guerre,1942, p. 283). 3. P. exagér. [En parlant de pers.] Souffrir du froid; être transi de froid. Tu gèleras dans la diligence de Paris à Marseille, c'est certain. Munis-toi bien de vêtements chauds, manchon, manteau, etc. (Flaub., Corresp.,1851, p. 288).MmeSwann trouvait qu'on gelait chez elle (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 634). Rem. Emploi plus fam. et très usuel à la forme pronom. Je te l'ai dit, tu te gèles là sur le palier (Giono, Gd troupeau, 1931, p. 58). B. − Au fig. 1. Se contracter, ne pas réussir à s'exprimer. La parole gèle au fond du gosier (Gracq, Beau tén.,1945, p. 121).Le visage de mon père et celui de ma mère gelèrent en une seconde (H. Bazin, Huile sur feu,1954, p. 270) : 8. J'aurais voulu lui dire [à Paule] quelque chose d'affectueux (...) mais les mots gelaient sur mes lèvres.
Beauvoir, Mandarins,1954, p. 495. 2. Emploi pronom. [En parlant d'un mouvement] S'immobiliser. Un calendrier de l'an défunt dont l'éphéméride demeurait fixée au 12 décembre, comme si la course des jours se fût gelée ce matin-là (Arnoux, Gentilsh. ceinture,1928, p. 57). III. − Emploi impers. Il gèle. Il faisait assez froid, mais il ne gelait pas, c'était simplement un temps humide et éventé (Nizan, Conspir.,1938, p. 207) : 9. L'eau d'un baquet était prise, il gelait dans l'atelier aussi fort que dehors; car, depuis huit jours, sans un sou, il économisait un petit reste de charbon, en n'allumant le poêle qu'une heure ou deux le matin.
Zola,
Œuvre,1886, p. 241. − Loc. Geler dru, fort. ♦ Geler à glace. Un hiver où il gèle à glace est mémorable, et la neige fait événement (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 55). ♦ Geler à pierre fendre; geler à fendre les pierres. Nous sortîmes de chez nous à trois heures du matin, quoiqu'il gelât à pierre fendre (Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 107).Je me rappelle cela comme d'hier. Il gelait à fendre les pierres (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Folle, 1882, p. 173). − JEUX. Être éloigné du but, s'en écarter. Je brûle? Madeleine. − Tu gèles (Cocteau, Par. terr.,1938, II, 1, p. 232). REM. 1. Gelant, -ante, part. prés. et adj.Qui saisit d'un froid vif et excessif. Un temps gelant. Un salon si froid, si gelant (Goncourt, Journal,1880, p. 58). 2. Gélation, subst. fém.Processus de transformation d'un sol en gel (Lar. Lang. fr.). Prononc. et Orth. : [ʒ(ə)le], (il) gèle [ʒ
εl]. [ə] instable noté ds Pt Rob., Warn. 1968 et Lar. Lang. fr. Le mot est admis ds Ac. 1694-1932. Conjug. : change [ə] du rad. en [ε] en syll. finale. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1140 impers. « descendre à une température qui provoque le gel » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 1957 : E si gelot e feseit freit); ca 1174-80 trans. « transformer en glace; recouvrir de glace » praerie ... gelee et annegie (Chr. de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 4150); b) ca 1393 intrans. « être endommagé par l'effet de la gelée » ici en parlant de semences (Ménagier, II, 43 ds T.-L.); c) 1567 id. « éprouver une très grande sensation de froid » (Amyot, Arat., 53 ds Littré); d'où 2. a) 1552 « repousser par un accueil glacial » (Est.); b) 1805, 17 déc. trans. « paralyser, rendre insensible » ici en parlant des facultés intellectuelles (Stendhal, Corresp., t. 1, p. 219); c) 1953 écon. pol. (P. Reboud, H. Guitton, Pr. écon. polit., t. II, p. 712 ds Rob.). Du lat. gelare « geler, congeler » au sens propre et fig.; pour le sens 2 c, cf. l'angl. credits ... frozen, Ann. Reg., 1921, II, 71 ds NED Suppl. Fréq. abs. littér. : 350. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 343, b) 516; xxes. : a) 918, b) 365. |