| FÉROCE, adj. A.− [En parlant des animaux, notamment des animaux sauvages] Qui a l'instinct de tuer ou d'attaquer l'homme ou d'autres animaux; qui est réputé naturellement cruel. Un féroce carnassier; un lynx, une panthère, un alligator féroce. On trouve sur ses côtes une multitude prodigieuse d'oiseaux de marine de toute espèce, des chevaux et des veaux marins, des ours blancs très féroces (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 211).La mante est un des insectes les plus féroces de nos champs (Coupin, Animaux de nos pays,1909, p. 330).Les lapins ne sont pas, comme on le croit souvent, de doux et timides rongeurs; ce sont des bêtes féroces, comme tous les êtres vivants (Duhamel, Maîtres,1937, p. 12): 1. Déjà les sombres taillis retentissaient du rugissement des bêtes féroces... c'est-à-dire, non! il n'y a pas de bêtes féroces, et je le regrette! − Comment! dit Glenarvan, vous regrettez les bêtes féroces? − Oui! Certes. − Cependant, quand on a tout à craindre de leur férocité... − La férocité n'existe pas... scientifiquement parlant, répondit le savant. − Ah! pour le coup, Paganel, dit le major, vous ne me ferez jamais admettre l'utilité des bêtes féroces!
Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 232. ♦ Emploi subst. masc., vieilli. [En parlant notamment des félins] À la grille des féroces, on découvre la voiture de la toile cirée qui la recouvre, et les employés déballent, comme un fromage, le colis qui est une cage contenant deux tigres (Goncourt, Journal,t. 3, Paris, Charpentier, 1888 [1868], p. 203). − P. métaph. ou p. compar. ♦ [En parlant d'une pers.] Il resta toujours le même homme, ou pour mieux dire une véritable bête féroce, et on l'abandonna à son sort (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 462). ♦ [En parlant d'une chose] Il faudra lui construire des voies en rapport avec ses allures, des chaussées qu'elle ne puisse plus déchirer de ses pneus féroces et dont elle n'envoie plus la poussière empoisonnée dans les poitrines humaines (France, Île ping.,1908, p. 341). ♦ [En parlant d'un comportement animal] Les petits chats exécutaient des courses folles, des galops féroces, entre les jambes des messieurs (Zola, Nana,1880, p. 1219). B.− P. ext. 1. [En parlant des humains] a) Qui est sanguinaire, cruel, brutal. Entendez-vous dans les campagnes Mugir ces féroces soldats (R. de Lisle, La Marseillaise,1792).Un homme se console d'être doux en affirmant qu'il est féroce quand il s'y met (Renard, Journal,1891, p. 98): 2. Il est curieux de voir dans les chroniques l'impression que produisirent les croisés sur les Musulmans; ceux-ci les regardèrent au premier abord comme des barbares, comme les hommes les plus grossiers, les plus féroces, les plus stupides qu'ils eussent jamais vus.
Guizot, Hist. civilisation,leçon 8, 1828, p. 22. b) P. ext., fam. Qui est dur, intraitable, sévère. Un exploiteur, un antisémite féroce. Et vous croyez, s'écria ce féroce logicien, qu'un jeune homme à la mode peut demeurer rue Neuve-Sainte-Geneviève, dans la Maison-Vauquer? (Balzac, Goriot,1835, p. 171).Pour résister aux Russes les guerriers américains seront obligés de devenir les antidémocrates les plus féroces qu'on ait jamais vus (Abellio, Pacifiques,1946, p. 264). − Emploi subst. Personne cruelle, dure ou intraitable. Ses garçons furent élevés dans le Vivarais, chez un frère de La Godivelle, un féroce, qui entendait être maître de jouir de tout (Pourrat, Gaspard,1925, p. 133). c) Qui dénote la fureur, la dureté, l'intransigeance. − [En parlant du caractère, des sentiments] Des instincts féroces. N'était-elle ensevelie dans ce cachot que pour y enfermer avec elle les féroces lubricités d'une nature effrénée? (Soulié, Mém. diable,t. 1, 1837, p. 223).Je ne sors que lorsqu'elles me le permettent et elles veillent sur mon labeur poétique avec une jalousie féroce (G. Leroux, Parfum,1908, p. 75): 3. ... dans l'obscurité profonde de la voiture, il continua, avec une obstination féroce, son sifflement vengeur et monotone, contraignant les esprits las et exaspérés à suivre le chant d'un bout à l'autre, à se rappeler chaque parole qu'ils appliquaient sur chaque mesure.
Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Boule de suif, 1880, p. 153. − [En parlant de l'apparence, des attitudes, du comportement] Un air féroce; un regard, un rire féroce; un combat féroce. Par deux fois déjà, les farces féroces du jeune comte avaient manqué coûter la vie au précepteur (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 79).Les boucles rejetées en arrière par la tourmente dénudaient le petit front têtu et féroce (Cocteau, Enf. terr.,1929, p. 184).Son Excellence avait des emportements féroces (Guéhenno, Jean-Jacques,1948, p. 196). − [En parlant d'une œuvre, d'une doctrine] Je lui dis aussi ce que je pensais des dogmes féroces que Dante a colorés d'une si terrible poésie (Michelet, Journal,1849, p. 56).Conscrits du bon vouloir, nous aurons la philosophie féroce; ignorants pour la science, roués pour le confort (Rimbaud, Illumin.,1873, p. 307): 4. Sommes-nous pour eux autre chose que des fonctionnaires qui perçoivent l'impôt, des gendarmes qui leur appliquent des règlements féroces, des instituteurs qui leur enseignent des choses dont ils n'ont que faire, des intrus qui empêchent leurs troupeaux d'aller jusqu'à la côte, et qui les gênent sur leurs parcours? Pauvres Arabes, généreux, imprévoyants, poétiques!
Tharaud, Fête arabe,1912, p. 56. ♦ En partic., dans le domaine artistique.Qui développe une ironie méchante, cruelle. En exagérant (...) les conséquences du comique significatif, on obtient le comique féroce (Baudel., Curios. esthét.,1867, p. 177): 5. Excellente occasion pour lui de faire un portrait en pied de Charlie [Du Bos]; portrait trop appuyé, à la fois véridique et caricatural, un peu féroce, un peu grinçant, assez amusant par endroits, mais qui n'a vraiment pas sa place dans ce livre.
Martin du G., Notes Gide,1951, p. 1403. Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Par parti pris, je travaille pour les pensionnaires, je me fais plat et gris. Ensuite avec Nana, je rentrerai dans le féroce (Zola, Corresp.,t. 2, 1877, p. 477).2. Rare. [En parlant d'un inanimé] Qui est implacable, inhumain. Elle [la charogne] s'agitait, frappée par le soleil, sous le bourdonnement des mouches, dans cette intolérable odeur, − odeur féroce et comme dévorante (Flaub., Bouvard,t. 2, 1880, p. 107).Le vent devient féroce. Deux fois je me relève, croyant une trombe (Gide, Retour Tchad,1928, p. 946).Long jour sans âge où le fétiche régnait comme ce soleil féroce sur ma maison de rochers (Camus, Exil et Roy.,1957, p. 1586). C.− Emploi intensif, fam. Très grand. Synon. terrible (fam.).Une faim de chasseur, la plus féroce des faims, égale en âpreté à celle que les Grégeois nomment boulimie (Gautier, Fracasse,1863, p. 67).La tirade qu'il déclama à ce propos cachait simplement une féroce envie de reprendre son ancienne vie (Zola, T. Raquin,1867, p. 166).Il se mit aussitôt à manger avec un appétit féroce; et c'est au bout d'un instant seulement qu'il leva la tête pour regarder les convives et les écouter (Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p. 88). REM. Férociser, verbe trans.a) Emploi trans. Rendre féroce. Ces instruments de torture, avec lesquels l'homme, pendant des siècles, perfectionna et férocisa la mort (Goncourt, Journal,1872, p. 918).b) Emploi pronom. Devenir féroce. C'est étonnant comme cet homme se férocise et prend une muflerie cruelle dans la faveur et les grâces officielles (Goncourt, Journal,1869, p. 508). Prononc. et Orth. : [feʀ
ɔs]. Enq. : /feʀos/. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1460 « orgueilleux, hautain » (G. Chastellain, Exposition sur vérité mal prise ds
Œuvres, éd. J. Kervyn de Lettenhove, t. 6, p. 305); 2. 1611 « cruel » (Cotgr.); 3. 1694 « exagéré, violent » (E. Boursault d'apr. Lar. Lang. fr.). Empr. au lat. class. ferox « impétueux, hardi; fier, hautain » lat. chrét. « féroce, sauvage ». Le superl. ferocissime est attesté en a. fr. dès le début du xives. (Aimé de Mont Cassin, Histoire des Normands, VIII, 2, éd. V. de Bartholomaeis, p. 339). Fréq. abs. littér. : 1 969. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 676, b) 3 889; xxes. : a) 3 611, b) 1 833. Bbg. Arickx (I.). Les Orthoépistes sur la sellette. Trav. Ling. Gand. 1972, no3, p. 129. |