| FUMER1, verbe. I.− Emploi intrans. A.− Qqc. fume 1. Dégager de la fumée. a) [Le suj. désigne un corps en combustion] Le bois mouillé fume, les cendres fument dans le foyer. Après avoir ranimé mon feu dont les tisons fumaient encore, je m'établis à rêver (Toepffer, Nouv. genev.,1839, p. 291).L'encens fume dans le temple, la lumière brille sur l'autel (Lacord., Conf. N.-D.,1848, p. 244). b) [Le suj. désigne le réceptable où a lieu la combustion, ou le conduit destiné à l'évacuation de la fumée] Cheminée, cassolette, bouche d'un canon, (cratère d'un) volcan qui fume. Des toits rouges luisaient, les hautes cheminées de la manutention fumaient avec lenteur (Zola, Page amour,1878, p. 851).Nuit et jour on voyait fumer légèrement le Vésuve, et la mer réfléchir ses flammes et son ombre (Maurois, Ariel,1923, p. 257). − [P. méton. du suj.] Toit, maison qui fume. Je devinais un hameau, des chaumières qui fumaient (France, Pt Pierre,1918, p. 269): 1. De Micolombe, on aperçoit Théotime au milieu des blés, comme un îlot entouré de grands arbres, où rien ne bouge, mais qui, le soir, fume doucement. Le mas Théotime fumait.
Bosco, Mas Théot.,1945, p. 40. 2. En partic. a) [Le suj. désigne une cheminée ou un appareil de chauffage] Renvoyer la fumée à l'intérieur d'une pièce en raison d'un mauvais tirage. Je n'avais pas de feu parce que ma cheminée fumait (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Verrou, 1882, p. 817): 2. ... le poêle n'est pas extrêmement brillant. Quand le vent souffle du sud, ce maudit poêle fume toujours. Il faudra que je fasse poser un chapeau de zinc au-dessus de la cheminée.
Arland, Ordre,1929, p. 533. b) [Le suj. désigne un moyen d'éclairage] Dégager exagérément de la fumée. Synon. filer.Le rat de cave, qui fumait plus qu'il n'éclairait (Hugo, Misér.,t. 2, 1842, p. 162).Le vent chaud, arrivant par la porte, faisait fumer le quinquet (Flaub., Éduc. sent.,t. 2, 1869, p. 145). 3. P. anal. [Le suj. désigne un corps humide plus chaud que l'air ambiant] Exhaler de la vapeur. a) [Le suj. désigne un animé] Tout haletant, il descendit de cheval (...) Trilby (...) était couvert d'écume et (...) fumait comme une étuve (Feuillet, Camors,1867, p. 159). ♦ Fumer de.Heureux l'homme des champs qui fume de sueur : Il est beau comme Adam à son premier labeur (Ch. Guérin, Cœur solit.,1904, p. 172). b) [Le suj. désigne un inanimé] La mécanique, bourrée de coke, entretenait là une chaleur de baignoire; les linges fumaient, on se serait cru en plein été (Zola, Assommoir,1877, p. 453).La terre, gorgée d'eau, fume, et les ornières, pleines de pluie, reflètent un azur trouble (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 261). − Poét. Le sang fume encore. Le souvenir du meurtre reste vivace. Sache que le sang répandu de ta main fume encore dans cette ville. Sur la demeure de la victime planent des esprits vengeurs, qui guettent le retour du meurtrier (Nerval, Faust,1840, 2epart., p. 179). − Spécialement ♦ [Le suj. désigne un liquide ou un aliment chaud ou p. méton. son contenant] Le dîner de midi était servi. La soupière fumait entre le rosbeef et le gigot de mouton (Verne, Enf. cap. Grant,t. 2, 1868p. 68).La soupe aux pois fumait déjà dans les assiettes (Hémon, M. Chapdelaine,1916, p. 61). ♦ [Le suj. désigne une substance volatile] Émettre des vapeurs au contact de l'air. Neige carbonique qui fume. De la chaux qui fumait dans un trou carré (Hugo, Misér.,t. 1, 1842, p. 366). 4. Littéraire a) S'élever comme la fumée. Les tourbillons de poussière qu'on voit fumer au loin, sur les grandes routes blanches, et qui annoncent que la bourrasque vient (Rolland, J.-Chr.,Buisson ard., 1911, p. 1272). b) Fumer de poussière. Dégager de la poussière. Les maisons fumaient de poussière comme si elles s'écroulaient dans leurs gravats (Giono, Gd troupeau,1931, p. 14). B.− Au fig. Qqc./qqn fume 1. Être le siège d'une excitation (provoquée par l'ivresse la colère, etc.). Le vin qu'ils avaient bu leur chauffait le sang et faisait fumer leur cerveau (France, Contes Tournebroche,1908, p. 5). ♦ Fumer de.À cet égard du moins, il [Jean-Jacques] pouvait sans scrupule et sans crainte se montrer tel qu'il était. Sa tête fumait de projets, et ni la fièvre ni la curiosité ne lui manquaient pour devenir l'un de ces nouveaux polygraphes philosophes qui en cinquante ans allaient changer la vie (Guéhenno, Jean-Jacques,1948, p. 157). 2. Pop. Éprouver une grande colère, un violent dépit. Synon. pester, rager.Il fait les villes que nous avons déjà faites et y laisse des plumes. C'est ce qui a dû le faire fumer et l'inciter à nous tirer dans les pattes (Vialar, Zingari,1959, p. 178). ♦ Fumer de.Oui, les voisins en fumaient! criait Coupeau. Pourquoi donc se serait-on caché? La société, lancée, n'avait plus honte de se montrer à table; au contraire, ça la flattait et l'échauffait, ce monde attroupé, béant de gourmandise (Zola, Assommoir,1877, p. 581). 3. Pop. Ça va fumer. [Pour exprimer une menace ou une appréhension] Synon. ça va barder.Mais j'attends ma revanche. Je dirai aux juges ma façon de penser. Nom de Dieu, ça va fumer (Aymé, Uranus,1948, p. 155). II.− Emploi trans. A.− Exposer à la fumée. 1. Exposer (un aliment) à l'action de la fumée pour le faire sécher et le conserver. Synon. boucaner, saurer.Nab employait presque tout son temps à saler ou à fumer des viandes, ce qui lui assurait des conserves excellentes (Verne, Île myst.,1874, p. 180).Ils tâchèrent, par économie, de fumer des jambons (Flaub., Bouvard,t. 1, 1880, p. 53). − Emploi pronom. à valeur passive. Toute viande grillée est de haut goût, parce qu'elle se fume en partie (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 259).Contre le mur d'argile, sous le toit de branchage, le porc se fumait lentement au feu clair des feuilles sèches, ramassées quand arrivent les grues (Flaub., Tentation,1856, p. 625). − P. métaph. J'ai le cœur racorni et fumé par les noces, je ne suis bon à rien (Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 30). 2. Fumer de l'argent. Lui donner une teinte d'or en le soumettant à l'action de fumées spéciales. (Ds Ac. 1932). 3. Fumer un renard. L'enfumer dans son terrier pour l'obliger à en sortir. (Ds Ac. 1932, Rob.). B.− [L'obj. désigne du tabac ou une autre substance] 1. [L'action est ponctuelle] Faire brûler en aspirant la fumée par la bouche. Fumer du haschisch, une cigarette, un cigare; fumer cigarette sur cigarette; fumer un paquet par jour. Synon. vx ou plais. pétuner.Elle, au-dessus de cette ménagerie, étendue langoureusement sur un divan sale, se dépite et fume des cigarettes (Taine, Notes Paris,1867, p. 244).Dieu! qu'elle avait été mauvaise cette pipe, la première fois qu'il l'avait fumée (Peisson, Parti Liverpool,1932, p. 101). − Emploi abs. Allumant leurs longues pipes, ils fumaient en silence et regardaient la fumée de leurs chibouks monter en légères colonnes bleues (Lamart., Destinées poés.,1834, p. 391).Le voilà qui tire de quoi fumer et qui commence à rouler une cigarette (Gide, Journal,1914, p. 503). − Emploi pronom. à sens passif : 3. ... un cigare qui se fume mal, vous êtes là à le travailler, à tout moment il faut porter le bras à la bouche, ça vous tracasse la main : au lieu qu'un bon cigare (...) c'est apaisant, ça vous met les nerfs en bon état...
Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 268. 2. [L'action est habituelle] a) [Suivi d'un compl. d'obj.] Consommer habituellement (du tabac ou une autre substance, sous forme de). Fumer des blondes; fumer la cigarette, la pipe. − Tu ne fumes plus le kief? lui demandai-je sûr de sa réponse. − Non, me dit-il. À présent, je bois de l'absinthe (Gide, Si le grain,1924, p. 595). b) Emploi abs. Fumer beaucoup, comme un pompier. Le docteur Lambrou, le médecin d'ici, m'a conseillé de moins fumer, afin de diminuer mon irritabilité nerveuse (Flaub., Corresp.,1872, p. 396).Elle n'a pas nos principes, malheureusement; par exemple, elle fume comme un sapeur (Mauriac, T. Desqueyroux,1927, p. 191). REM. 1. Fumailler, verbe.a) Emploi intrans. Dégager un peu de fumée. Le notaire était assis au coin d'un feu où fumaillait un restant de tison (Sue, Myst. Paris,t. 7, 1843, p. 144).b) Emploi trans. Fumer (du tabac) machinalement ou négligemment. Les vieillards désengourdis cessèrent un moment de fumailler leurs petites pipes (Richepin, Miarka,1883, p. 9).Emploi abs. Au milieu de ma toilette, je me prenais à fumailler, à ouvrir un livre. Je m'enfonçais dans un angle du canapé et je rêvassais indéfiniment (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 83). 2. Fumaillon, subst. masc.rare. Fumeur d'occasion, petit fumeur. Vous n'êtes qu'un fumaillon, l'abbé! (Bruant, 1901, p. 235). 3. Fumasser, verbe,hapax. Synon. de fumailler b, en emploi abs.Nous étions là, cinq ou six devant la porte à fumasser (Genevoix, Seuil guitounes,1918, p. 188). 4. Fumeler, verbe intrans.,hapax. Synon. de fumailler a.Vers le plat d'argent où fumèlent les tasses transparentes (Adam ds Plowert1888). 5. Fumot(t)er,(Fumoter, Fumotter) verbe intrans.,rare. Synon. de fumailler.a) Emploi intrans. Quelques remorqueurs (...) sommeillent et fumotent, attendant leur heure (Arnoux, Rhône,1944, p. 183).b) Emploi abs. [L'éleveur] avait allumé sa petite pipe (...) et il fumottait en somnolant (Richepin, Miarka,1883, p. 260). 6. Fumable, adj.Qui peut être fumé. (Dict. xixeet xxes.). Prononc. et Orth. : [fyme], (il) fume [fym]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Début xiies. « dégager de la fumée, de la vapeur » (S. Brendan, 1109 ds T.-L.); 2. 1178 « laisser passer la fumée » (Renart, éd. M. Roques, 13119 : Et vit la cuisine fumer Ou il ot fait feu alumer); 3. fin xives. « s'exciter, s'irriter » [jeu de mot avec Fumée, nom d'un royaume imaginaire] (E. Deschamps,
Œuvres complètes, éd. Queux de St Hilaire et G. Raynaud, t. 7, p. 333); 1456-67 se fumer « se mettre en colère » (Cent Nouvelles nouvelles, éd. F. P. Sweetser, XLI, 116, p. 281); 4. 1565 « enfumer » (Béreau, Eglogue, 2 ds Hug.); 1611 « exposer à la fumée (une denrée) » (Cotgr.); 1724 p. anal. verres fumés [pour observer l'éclipse de soleil] (Mém. de Trévoux, août ds Trév. 1752); 5. 1664 « faire brûler du tabac (ou autre matière) en aspirant la fumée » (J. de Thevenot, Relation d'un voyage au Levant ds Z. Vergl. Sprachforsch. t. 55, p. 148). Du lat. class. fumare « exhaler de la fumée, de la vapeur ». Fréq. abs. littér. : 2 888. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 277, b) 6 104; xxes. : a) 4 834, b) 4 160. Bbg. Mat. Louis-Philippe 1951, p. 97 (s.v. fumaillon). |