| FROIDEUR, subst. fém. A.− Littér. [Emplois en rapport avec une perception] 1. [Emplois en rapport avec une perception thermique] Fait d'être à une température sensiblement inférieure à celle du corps humain. La froideur de l'eau. La froideur du marbre (Ac.). Un vieux tapis d'Aubusson bien raccommodé, bien passé (...) ne couvrait pas tout le carreau dont la froideur se faisait sentir aux pieds (Balzac, Bourse,1832, p. 402).Tout ce que la rosée du ciel a pénétré, tout ce que la froideur du sol condense (Claudel, Cantate,1913, p. 358). − En partic. a) [Le compl. du n. désigne le corps hum. ou l'une de ses parties] Température anormalement basse, due en particulier à l'agonie, à la mort. La froideur d'un cadavre. La froideur de la vieillesse (Ac.).Il étendit la main et prit celle de Mmede Rênal (...). Quoique bien ému lui-même, il fut frappé de la froideur glaciale de la main qu'il prenait (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 53). b) Température très basse de l'air ambiant, de l'atmosphère. Elle n'a point prévu la froideur matinale, Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale (Rimbaud, Poés.,1871, p. 36). 2. [Emplois en rapport avec d'autres perceptions] Impression désagréable due à un manque de vie, d'éclat. Ses traits avaient la pureté du style grec, mais non sa froideur et sa symétrie (Nodier, Fée Miette,1831, p. 65).Sa voix avait la froideur de son teint (A. Daudet, Évangéliste,1883, p. 69). − Spéc. [Le compl. du n. désigne une lumière, une couleur (comme p. ex. le vert, le bleu, le violet, le gris)] Manque de chaleur (v. ce mot B 1 spéc.). L'une tient une torche dont la lueur jette un reflet rougeâtre dans la froideur du clair de lune (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 18).Une salle de casino, savamment « mal éclairée » d'ampoules jaunes qui dorent la froideur des gris (Martin du G., Devenir,1909, p. 72): 1. ... Rubens, − quoiqu'il soit reconnu que la chaleur est dans les ombres (...) reflétées, et la froideur dans les lumières, − employait le jaune de Naples, qui est une couleur chaude, dans ses lumières...
Goncourt, Journal,1894, p. 591. B.− Au fig. [Emplois en rapport avec la psychol.] 1. Calme, contrôle des sentiments, des passions; manque d'ardeur, de passion. Froideur d'une analyse. La froideur de l'imagination (Ac.).Elle les avait élevés tous les trois, sans tendresse, dans une froideur de ménagère qui reproche aux petits de trop manger sur ce qu'elle épargne (Zola, Terre,1887, p. 28).Une sorte de justice qui est le contraire même de l'idée courante de justice, (...) une justice qui a pris feu au lieu d'atteindre son apogée dans une marmoréenne froideur (Du Bos, Journal,1928, p. 96): 2. Tout ce qui ne se courbe pas à leur schéma impassible [des schizoïdes] est décapité sans merci. Ce qui ne supprime pas − Robespierre en témoigne − le noyau de sensibilité fébrile ou éloquent qui couve sous leur froideur glaciale.
Mounier, Traité caract.,1946, p. 370. − En partic. [Le compl. du n. désigne une œuvre d'art ou un artiste considéré du point de vue de son œuvre] Manque de chaleur humaine, de sensibilité. À travers cette froideur plus apparente que réelle, on devine une passion intense, une foi inébranlable, une volonté de fer (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 6).Le livre de Charles Diehl sur Byzance est d'une grande froideur. Quand il arrive à un sujet pittoresque (...) l'auteur nous déclare qu'on a tellement parlé de ces choses qu'il est inutile de s'y arrêter (Green, Journal,1955-58, p. 143): 3. L'ouvrage de M. Demangeon porte un titre funèbre, Le Déclin de l'Europe. Livre d'une froideur tout économique, où les faits, les textes, les chiffres, prennent une valeur de pression et de convergence inexorable
J.-R. Bloch, Dest. du S.,1931, p. 202. − Spéc. Manque d'intérêt pour les plaisirs de l'amour (v. frigidité). Saül ne m'a jamais aimée (...) et tu n'as pas idée, Nabal, de la froideur de ses embrassements! (Gide, Saül,1903, I, 6, p. 259).Par froideur naturelle, j'étais chaste (...). L'idée seule que la vertu pût consister à vaincre des passions charnelles me semblait déraisonnable (Green, Autre sommeil,1931, p. 57): 4. L'âge optimum pour l'initiation complète semble se situer de neuf à douze ans : la froideur sexuelle relative de cette période écarte l'effervescence affective qui peut en résulter plus tard.
Mounier, Traité caract.,1946, p. 148. 2. Réserve, distance, pouvant aller jusqu'à l'hostilité. Froideur d'un accueil. Il y a de la froideur entre eux (Ac.).Des manières constamment polies et mesurées, d'où un certain degré de froideur même n'était pas exclu (Gracq, Argol,1938, p. 78): 5. ... tout, dans ses propos, son attitude, ses gestes, me persuade à nouveau de son indifférence et de sa froideur à mon égard. Le mieux qu'il peut être avec moi, c'est « attentionné ». La politesse a depuis longtemps remplacé chez lui l'amitié.
Gide, Journal,1914, p. 493. ♦ Rare. Être en froideur (avec qqn). Ne pas avoir de rapports cordiaux, chaleureux (avec quelqu'un); être fâché (avec quelqu'un). Tels, plus peinés encore que méprisants devant ceux qui abandonnaient la lutte, en froideur déclarée avec la bourgeoisie des camps, (...) les réfractaires traversèrent les douze ou quinze premiers mois de la captivité (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 277). − P. méton., le plus souvent au plur. Manifestation de réserve, de distance, et parfois d'hostilité. L'affection se brisait aux froideurs un peu méfiantes de Frédérique (A. Daudet, Rois en exil,1879, p. 371).Au lieu d'attribuer les froideurs et les gênes de son mari, ses absences de plus en plus longues, à l'inconstance d'un caractère passionné (...), elle aurait dû chercher moins loin (Peyré, Matterhorn,1939, p. 191): 6. Je disais ce soir à MmeDaudet, un peu anxieuse des froideurs qu'elle rencontrait chez quelques-uns depuis quelque temps, qu'elle devrait rompre avec moi, parce que j'étais tellement haï que j'apportais un peu de cette haine ambiante à mes amis.
Goncourt, Journal,1888, p. 741. Prononc. et Orth. : [fʀwadœ:ʀ]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1121 freidur « froid » (St Brandan, éd. E. G. R. Waters, 902); fin xiies. fig. la froidour de lor cuer (Sermons St Grégoire sur Ezéchiel, éd. K. Hofmann, p. 117). Dér. de froid1*; suff. -eur1*. Fréq. abs. littér. : 1 023. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 759, b) 1 865; xxes. : a) 1 116, b) 1 178. |