| FRAPPER, verbe. I.− Emploi trans. A.− [L'agent accomplit un geste, un mouvement] 1. [Le suj. désigne un être vivant] a) Donner un ou plusieurs coups à une personne ou à une chose. Un homme, un furieux, canne haute, tombe sur les musiciens, et les frappe et les rosse, s'acharne enfin sur l'un d'eux (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 123).Tous instruments que les nègres frappent pour transmettre des messages à longue distance (Schaeffner, Orig. instrum. mus.,1936, p. 24): 1. Il faut connaître l'agacement d'avoir deux cents gamins autour de soi! ... Parfois on se soulage sur quelques-uns, pas très méchants, de ne pouvoir taper sur d'autres plus insupportables... on se cache le mieux possible : la précaution est superflue : les misérables savent leur sort inévitable et les quelques autres qui excelleraient à se plaindre si on les frappait trouvent juste que l'on maltraite de plus malheureux qu'eux...
Frapié, Maternelle,1904, p. 263. ♦ Absolument : 2. Tous sentaient qu'il allait pleuvoir des coups, et d'aucuns, sous les bras levés, s'étaient ramassés au point d'en paraître lovés, au ras des herbes. Il n'y eut pas besoin de frapper.
Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 55. ♦ MUS. Heurter un instrument à percussion ou la touche d'un instrument à clavier. Il ouvrit le piano, frappa quelques accords (Gide, Si le grain,1924, p. 459). − [Constr. spécifiques]
α) [L'endroit où l'on frappe, la manière dont on frappe, ce avec quoi on frappe peuvent être précisés] Frapper qqn avec un objet contondant; frapper au cœur; frapper à mort (blesser mortellement); frapper comme un sourd (de toutes ses forces). De son parapluie, la vieille frappa l'échine du bidet (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 136).Antinéa tournait dans la salle comme une bête en cage. Elle alla vers mon compagnon, et, ne se connaissant plus, le frappa au visage (Benoit, Atlant.,1919, p. 261). Rem. Dans ce sens, l'emploi pronom. est toujours possible. Se frapper. Se donner des coups à soi-même; au fig. se frapper la poitrine (cf. battre sa coulpe*). S'avouer coupable. Au lieu de se frapper la poitrine, en disant : « C'est ma faute » et d'implorer la miséricorde de Dieu (Dumas Père, C. Howard, 1834, V, 4, p. 311). Se frapper le front (pour signifier qu'on vient de trouver la solution d'un problème ou fam. pour mettre en doute la santé mentale de qqn). Tarrou se frappa le front, comme illuminé par une vérité soudaine : − Ah! C'est vrai, j'oubliais, vous seriez arrêté sans cela (Camus, Peste, 1947, p. 1345).
β) [Avec un obj. interne] ♦ Frapper des coups. Asséner des coups. ♦ Frapper les trois coups. Au théâtre, frapper trois coups dans les coulisses pour annoncer aux spectateurs le début de la représentation. Il était écrasé par l'attente du spectacle (...). Enfin, on frappa les trois coups (Rolland, J.-Chr.,Aube, 1904, p. 73).Au fig. Annoncer le début d'une action. Le poète nous rend la majesté de penser. Il frappe ses trois coups, qui sont bien plus de trois. Il annonce; il trace et mesure un temps qu'il nous donne, qui est à nous, et dans lesquel il fera avancer toutes sortes d'êtres (Alain, Propos,1933, p. 1184). ♦ Au fig. Frapper un grand coup. Accomplir un exploit ou employer des moyens décisifs pour réussir. D'Argenton, voyant que bien décidément il ne pouvait plus vivre sans Lolotte, résolut de frapper un grand coup (A. Daudet, Jack,t. 2, 1876, p. 298). b) Domaines techn. − FIN. Frapper (de la) monnaie, (des) médaille(s), Reproduire les empreintes sur les deux faces d'une pièce de monnaie ou d'une médaille (cf. battre monnaie). La Charte ne dit rien sur le droit de frapper médaille (Chateaubr., Corresp.,t. 2, 1818, p. 39).César (...) le nomma roi des Atrébates (...). Il porta la pourpre et fit frapper des monnaies où se voyait, de profil, sa tête ceinte du diadème (France, Clio,1900, p. 47). ♦ Au fig. Être frappé au coin du (génie, bon sens, etc.). Cf. coin1B. − MAR. Frapper un cordage. Amarrer. On frappe un signal sur une drisse pour le hisser (Gruss1952). − SOMMELLERIE. Frapper une boisson, frapper de glace (vx). Refroidir un liquide en le plaçant dans de la glace pilée : 3. Aussi quand je l'invitais à dîner à Balbec, il commandait le repas avec une science raffinée, mais mangeait un peu trop, et surtout buvait, faisant chambrer les vins qui doivent l'être, frapper ceux qui exigent d'être dans de la glace.
Proust, Sodome,1922, p. 1083. 2. [Le suj. désigne une chose] a) [L'action de frapper est due à un mécanisme] Synon. sonner.Une horloge frappa une heure (Arnoux, Roi,1956, p. 89). b) [L'action de frapper est due au mouvement d'un projectile, à la propagation d'un phénomène phys.] Percuter, heurter, toucher, atteindre. La feuillée s'inclinait sous l'eau du ciel, et chaque goutte, en frappant les feuilles, leur imprimait une petite oscillation qui recommençait sans cesse (M. de Guérin, Journal,1834, p. 203). B.− [L'agent impose une épreuve] 1. Atteindre quelqu'un en le soumettant à l'épreuve de quelque malheur (mort, maladie, etc.) ou en lui infligeant quelque châtiment. La mort a frappé cette maison; Dieu frappe le coupable. J'apprends le malheur qui vous frappe, mon cher ami (Flaub., Corresp.,1871, p. 270): 4. Que faut-il pour cela? Rien. Supprimer les lois seulement, tuer dans les cœurs la croyance aux approximations humaines de justice, anéantir l'espoir que le droit aura son jour, frapper l'innocence et glorifier le crime.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 75. 2. [Double constr.] Frapper qqn ou qqc. de qqc. : 5. J'ai sollicité et obtenu du Garde des Sceaux un congé de deux mois pour raison de santé. Or, la loi frappe de nullité tout jugement rendu par un tribunal composé d'autres magistrats que ceux ayant siégé à la première audience.
Courteline, Client sér.,1897, 3, p. 38. − Au passif. Être frappé de.Être l'objet d'(une décision administrative, juridique autoritaire). Frappé d'interdit. Tu n'avais, en effet, pas le droit de faire réparer ta maison (...) en termes techniques, elle était frappée d'alignement (Id., Client sér.,Balances, 1890, p. 134).Être frappé de Dieu (vx). ,,Recevoir un coup de la Providence`` (Littré). Éloigne-toi des femmes stériles, elles sont frappées de Dieu (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 257). C.− [L'agent provoque une réaction] Produire une impression vive et soudaine 1. sur certains sens d'une personne. Frapper les yeux, les oreilles, la vue, l'ouïe de qqn. Le premier objet qui frappa mon regard fut mon petit bonhomme, l'espiègle compagnon de ma vie, pendu au panneau de cette armoire (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 148). 2. sur l'imagination de quelqu'un; retenir son attention, affecter tout son être. Ces préparatifs, tant soit peu étranges, frappaient vivement les imaginations (Thierry, Récits mérov.,t. 2, 1840, p. 258). − Absol. Quand on songe au lien qui les unissait et au malheur qu'ils partagent, il y a dans ce rapprochement quelque chose qui frappe (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p. 39). − Au passif. Être frappé de.Constater avec étonnement. 6. Si une considération de cette importance est au-dessus de la frivolité et de l'étroit égoïsme de la plupart des têtes françaises, au moins ne pourront-elles s'empêcher d'être frappées des changements survenus dans l'opinion publique.
Sieyès, Tiers état,1789, p. 54. 3. [Double constr.] Frapper qqn de qqc.Provoquer chez quelqu'un un état émotif soudain. L'approche de la grande armée germanique frappa de terreur le monde musulman (Grousset, Croisades,1939, p. 258).Il frappait d'étonnement notre gang d'enfants prodiges parce qu'il était le meilleur sans être prodigieux (Sartre, Mots,1964, p. 189). Rem. Dans ce dernier sens, l'emploi pronom. est toujours possible. (Ne pas) se frapper, sans se frapper. (Ne pas) s'inquiéter, (ne pas) s'émouvoir vivement. Il tâcha de calmer Martine. Voyons! voyons! il ne fallait pas se frapper ainsi (Zola, Dr Pascal, 1893, p. 220). II.− Emploi intrans. A.− [La prép. indique la destination du coup] Frapper à, chez, contre, sur.Frapper sur la table. Il lui frappa sur l'épaule et lui conseilla moins de prières (Queffélec, Recteur,1944, p. 91). ♦ Frapper à la porte ou absol. frapper. Demander à entrer : 7. À la nuit close, il frappe à sa propre porte, les mains vides, l'estomac creux et l'échine rompue. « Allah nous garde des djins! crie sa femme effrayée. Qui donc frappe si tard? » Et Nasreddin Hokja, penaud, de dire : « C'est moi-même... ouvre... inshallah!! »
Farrère, Homme qui assass.,1907, pp. 203-204. Au fig. Frapper à notre porte. Se manifester tout près de chez nous, dans notre pays. Frapper à la bonne, à la mauvaise porte, à toutes les portes. S'adresser à la personne, aux personnes qu'il faut ou ne faut pas solliciter. ♦ Frapper à la tête. Réprimer, détruire en s'attaquant aux plus hauts responsables. − Spéc., VÉN. Frapper aux brisées. ,,Amener les chiens sur la brisée pour l'attaque`` (Vén. 1974). B.− [La prép. précise par quoi est donné le coup] Frapper du poing. Il se précipita vers Julie, les deux bras levés, prêt à frapper des deux mains, et criant : « Ah misérable! tu vas tourner les sens du petit » (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, M. Parent, 1886, p. 592). ♦ Frapper du pied. Marquer son impatience ou sa colère en tapant le sol du pied. Hélène frappa du pied avec colère (Theuriet, Mar. Gérard,1875, p. 45). C.− Absol. Frapper − adv. ou expr. tendant à la loc. adv.Frapper au petit bonheur, à tort et à travers, à tour de bras, de plein fouet; frapper dur, juste, fort; frapper comme un sourd (de toutes ses forces). Allons, ferme, frappez à tort et à travers! Il y a encore des hommes debout, qu'on les fauche! Cependant, si j'ose vous adresser une prière, épargnez-moi encore un jour (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 35).Un martinet vient de me frapper de plein fouet, en pleine poitrine (Giraudoux, Intermezzo,1933, II, 2, p. 99). − TECHNOL. Frapper devant. Frapper devant l'enclume avec un lourd marteau à bras. Contre elle [l'enclume], il y a aussi un marteau pour « frapper devant ». Le bois du manche luit du même bon air que l'enclume (Giono, Regain,1930, p. 29). REM. Frappoir, subst. masc.Synon. de heurtoir.Et à peine d'ailleurs était-on installé là, en cercle, qu'on entendait « pan! pan! » à la porte de la rue : les petits Peyral, qui venaient me chercher, et qui secouaient tous trois le vieux frappoir de fer, chauffé à brûler les doigts (Loti, Rom. enf.,1890, p. 272). Prononc. et Orth. : [fʀape], (il) frappe [fʀap]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1178 « donner des coups à quelqu'un » (Renart, éd. E. Martin, IV, 424); 2. av. 1590 frappé de peste (Tabourot des Accords, Apophth. du Sr Gaulard, 2epause ds Hug.) : 3. 1636 frapper de la monnaie (Monet); 4. 1678 mar. (Guillet); 5. 1813 tisane de champagne frappée de glace (Jouy, Hermite, t. 4, p. 100). De l'onomatopée frap- « qui marque un choc violent et rapide » (v. FEW t. 3, p. 763 b); 4 empr. à l'angl. to frap, 1548 ds NED (de même orig. que le fr.). Fréq. abs. littér. : 8 363. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 13 938 b) 12 074; xxes. : a) 11 103, b) 10 520. Bbg. Guiraud (P.). Mél. d'étymol. arg. Cah. Lexicol. 1970, no16, p. 65. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 230. − Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 10, 225; t. 3 1972 [1930], p. 175. |