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FOURRER, verbe trans.
I.− Emploi trans.
A.− Fourrer (qqc).Doubler, garnir intérieurement ou extérieurement.
1. Garnir d'une matière destinée à protéger, à renforcer.
a) [L'obj. désigne un vêtement] Doubler de fourrure ou d'un tissu chaud. Fourrer un manteau. (Dict. xixeet xxes.).
b) TECHNOLOGIE
α) BÂT. Fourrer les tuiles, les faîtières. En garnir le dessous d'une couche de plâtre et de tuileaux qui les renforce. (Dict. xixeet xxes.).
β) MAR. Fourrer un cordage. L'envelopper d'une garniture serrée de toile, de fil de caret, pour le préserver des frottements, de l'humidité. Maillet, mailloche à fourrer. Gilliatt profita de ce reste de clarté pour fourrer la corde à nœuds. Il lui appliqua, au coude qu'elle faisait, sur le rocher, un bandage de plusieurs épaisseurs de toile fortement ficelé à chaque épaisseur (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 265).
2. Garnir un objet, pour l'agrémenter ou le masquer, d'une matière différente de celle qui le constitue.
a) ART CULIN. Garnir intérieurement, napper (de crème, de confiture, etc.). Fourrer des bonbons, des gâteaux, etc. Prendre quatre de ces bandes et les fourrer avec trois crèmes. Sur une bande fourrez à la crème chocolat, posez une bande, fourrez-la de crème pralinée et mettez ensuite la dernière bande (Gdes heures cuis. fr., F. Point, 1955, p. 205).
b) ORFÈVR. Fourrer un bijou, une médaille, une monnaie. Recouvrir d'une fine couche d'or ou d'argent un bijou, une médaille ou une monnaie faits d'un métal vil. (Dict. xixeet xxes.).
B.− Fourrer (qqc. dans qqc.) fam.
1. Faire entrer (quelque chose) dans un endroit relativement étroit et profond, comme dans un fourreau. Fourrer ses mains dans ses poches, une clef dans la serrure. Ils fourraient des cartouches dans leurs fusils, d'une main tremblotante et rapide (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p. 253).Ils étaient contents d'être sept bons copains marchant à la file, (...) et de trébucher contre une racine, ou de fourrer le pied dans un trou d'eau en criant : « Nom de dieu! » (Romains, Copains,1913, p. 269):
1. ... je prends quelques braises dans le poële pour les fourrer dans mes sabots, excellent moyen de les chauffer, défendu formellement, cela va de soi; mais MlleLanthenay songe bien à la braise et aux sabots! Colette, Cl. école,1900, p. 124.
Au fig. Enchanté de fourrer une pointe acérée dans le coin sensible de ce cœur de mère, il [Clapart] avait (...) deviné les appréhensions que l'avenir (...) et les défauts d'Oscar inspiraient à la pauvre femme (Balzac, Début vie,1842, p. 470).
Loc. fig.
Fourrer tout dans son ventre. Dépenser tout son argent en ripailles. (Dict. xixes., Lar. 20e, Lar. encyclop., Quillet 1965).
Fourrer son nez (partout). Se mêler de qqc., de tout sans aucune discrétion. Sans cesse sur notre dos, ne trouvant rien de bien, fourrant son nez partout, voulant montrer qu'il était le maître... (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1087).Ce n'est pas une mauvaise fille, mais elle est barbante. Elle n'a pas besoin de venir fourrer son nez partout (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 888).
Arg. Fourrer une fille, une femme. Avoir avec elle des rapports sexuels (cf. Le Breton, Rififi, 1953, p. 242).
2. P. ext.
a) [Avec une idée d'introduction]
Fourrer qqc.Glisser quelque chose parmi d'autres choses, faire entrer quelque chose dans un endroit sans soins ni précautions. Synon. enfourner.Fourrer du linge dans un tiroir. Quand nous avons (...) mis la nappe sur la table, on fourre des fleurs fraîches dans le vase (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1039).Dans les hauts placards des vastes pièces vides, on a fourré les couvertures, le linge, l'argenterie, tout ce qu'on tenait à sauver (Triolet, Prem. accroc.,1945, p. 400):
2. Elle me donnait encore un gros morceau de pain pour aller au pâturage, deux ou trois bons oignons, quelquefois un œuf dur, ou bien un peu de beurre. Je fourrais tout cela dans mon sac, et je rentrais à l'écurie... Erckm.-Chatr., Hist. paysan,t. 1, 1870, p. 26.
Fourrer qqn.Pousser quelqu'un sans ménagements dans un lieu quelconque. Fourrer qqn en prison. Letondu, qu'on venait de fourrer à Bicêtre avec la camisole de force (Courteline, Ronds-de-cuir,1893, tabl. 6, 2, p. 246).T'as aussi le musée (...) à la Malmaison. C'est plein de souvenirs du temps de l'Empereur. C'est là qu'il a fourré sa Joséphine quand elle a commencé à lui casser les pieds (Queneau, Loin Rueil,1944, p. 16):
3. Il y eut un moment où, entendant le pas d'un surveillant, il me poussa dans une porte ouverte qu'il referma sur moi, tandis qu'il fourrait Rollinat je ne sais où et se présentait seul au passage de son supérieur. Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 382.
Arg. Fourrer qqn dedans. Le mettre en prison. V. dedans I B 3 b.
Loc. fig., péj. Fourrer (plusieurs pers.) dans le même sac. Les englober dans le même mépris, le même jugement défavorable. Je t'abandonne les dévots. Quant aux savants, aux vrais... − Je les fourre dans le même sac, sans hésiter (Arnoux, Seigneur,1955, p. 131).
b) [Sans idée d'introduction] Mettre, poser (quelque chose) sans soin, brutalement. Fourrer des papiers sur une table. Le général (...) voyant le sac laissé par Gabrielle sur le piano. − Ah! çà, qui est-ce qui a fourré ce sac là? (Feydeau, Dame Maxim's,1914, II, 8, p. 46).− « Police » : articula l'un d'eux, en tirant, avec un geste de prestidigitateur, un carton de sa poche, et en le fourrant sous le nez de Stefany (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 499).
Spéc. Fourrer qqc. à qqn.Lui donner quelque chose, souvent avec excès et sans ménagements. Synon. flanquer, refiler.Les gardes nationaux qui étaient de faction − pour les empêcher d'ébranler les grilles, fourraient des coups de baïonnette, au hasard, dans le tas (Flaub., Éduc. sent.,t. 2, 1869, p. 172).La meilleure raison pour ne pas demander qu'on nous fourre, à saturation, des hommes et du matériel, c'est qu'une fois tout ça coincé ici, tout sera perdu (Romains, Hommes bonne vol.,1938, p. 31).Fourrer une contravention à qqn.
3. Au fig.
a) [Le compl. désigne une chose] Introduire à profusion, sans discernement. Fourrer des proverbes dans un texte, du latin dans un discours. Je me laisse aller à fourrer dans mon ouvrage une quantité de choses qui y sont plus ou moins étrangères (Constant, Journaux,1805, p. 208).Il faisait beau voir (...) nos dissertations sur la beauté et les citations que je tâchais de fourrer dans tout cela (Michelet, Mémor.,1822, p. 192).
Locutions
Fourrer qqc. dans l'esprit, dans la tête de qqn. Faire entrer (de force) dans l'esprit, la tête de quelqu'un, les notions que l'on veut lui inculquer. Mais qu'est-ce qu'on lui a fourré dans la tête au couvent? Ici, elle n'a eu que de bons exemples (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 208):
4. Depuis qu'il règne, son valet de chambre (...) est allé lui fourrer dans la tête qu'il doit être plus heureux qu'un autre parce que son profil va se trouver sur les écus. À la suite de cette belle idée est arrivé l'ennui. Stendhal, Chartreuse,1839, p. 396.
Fourrer son grain de sel. Se mêler (d'une discussion, d'une affaire, etc.). sans en être prié. Son rôle dans la maison (...) consistait à compliquer les choses, en voulant y fourrer son grain de sel, pour montrer qu'il était le patron (Montherl., Célibataires,1934, p. 794).
b) [Le compl. désigne une pers.] Engager dans une situation souvent pénible ou fâcheuse. Fourrer qqn dans une affaire. C'était une vraie honte, de fourrer un pauvre vieux dans ces sales histoires, pour le voler bien sûr (Zola, Terre,1887, p. 391).
Loc. Fourrer qqn dedans. Le tromper. Elles [la municipaillerie et la députasserie] nous auraient même volés, fourrés dedans! (Vallès, J. Vingtras,Insurgé, 1885, p. 269).Je suis convaincu que le petit l'a fourré dedans et qu'il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1017).
c) Au passif. Être fourré avec qqn, chez qqn; être fourré dans tel ou tel endroit. Fréquenter quelqu'un, s'introduire dans un milieu, une société. Nous sommes toujours fourrés au théâtre avec le Kapellmeister, ou à l'exposition qui m'embête (Villiers de L'I.-A., Corresp.,1869, p. 140).Sous prétexte de demander des nouvelles de M. Darzac, il était tout le temps fourré chez M. Stangerson (G. Leroux, Parfum,1908, p. 6).
II.− Emploi pronom.
A.− Emploi réfl. indir. Se fourrer une épine dans le pied. Le dernier mot de la civilisation humaine ne consiste pas à se fourrer obstinément les doigts dans le nez (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 415).Rien n'est plus pitoyable que ces sacs où les femmes se fourrent le corps, que ces serre-tête en toile cirée! (Flaub., Corresp.,1853, p. 290).
Loc. fig., fam.
S'en fourrer jusque-là, jusqu'aux oreilles. Se gaver de nourriture; p. ext. profiter jusqu'à l'excès des plaisirs de l'existence. Si l'on ne se paie qu'un gueuleton par-ci par-là, on serait joliment godiche de ne pas s'en fourrer jusqu'aux oreilles (Zola, Assommoir,1877, p. 579).Allez, mes nièces, des sirops et des gâteaux à ces enfants! et qu'ils s'en fourrent jusque-là (Feydeau, Dame Maxim's,1914II, 8, p. 29).
Se fourrer le doigt dans l'œil (jusqu'au coude). Se tromper grossièrement. Il s'est un peu fourré le doigt dans l'œil, le brave garçon! (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p. 119).Si tu crois que tu es drôle, mon cher, tu te fourres le doigt dans l'œil, et dans les grandes largeurs (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 370).
Se fourrer dans l'esprit, dans la tête. Finir par admettre, par savoir. Il y a trois de nos rois que je n'ai jamais pu me fourrer dans la tête : Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe (Renard, Journal,1896, p. 322).Il faut pourtant que je me mette à l'unisson; il faut me fourrer dans l'esprit que j'ai affaire à « la crème de Ménilmontant » (Frapié, Maternelle,1904, p. 61).
B.− Emploi réfl.
1. Vx. S'envelopper dans un vêtement de fourrure; s'habiller chaudement. Il s'est bien fourré; il faut se bien fourrer en hiver (Ac.1878).
2. Fam. Se fourrer dans, sous qqc. Se mettre, se glisser dans un lieu comme pour se dissimuler. Se fourrer dans un lit. À sept ans, il courait les allées, se fourrait sous les bancs, parmi les caisses de bois garnies de zinc (Zola, Ventre Paris,1873, p. 724).Je fais la sourde, je voudrais me fourrer dans un trou... (Bernanos, Joie,1929, p. 624).
a) P. ext., péj. S'introduire, s'insinuer (chez quelqu'un, dans un milieu). Edmond songea à son partenaire de boules : qu'est-ce qu'il avait été se fourrer là-dedans? Il serait bien avancé, quand il aurait attrapé un mauvais coup (Aragon, Beaux quart.,1936p. 263):
5. ... quand on se fait marchand de livres et que l'on a l'intention, pour les faire vendre, de se faire une célébrité littéraire, rien n'est meilleur que de se fourrer dans une grande ou une petite académie, où l'on convient de se distribuer réciproquement des louanges que le public ne manque pas de répéter. Delécluze, Journal,1824, p. 29.
Loc. Chercher quelque trou où se fourrer. Chercher une situation. (Dict. xixeet xxes.).
b) Au fig. Tomber (dans quelque chose de fâcheux). Il serait malheureux qu'avec ses bonnes qualités, il se fourrât dans l'erreur (E. de Guérin, Lettres,1835, p. 68).
Locutions
Ne pas, ne plus savoir où se fourrer. Ne pas savoir comment dissimuler sa confusion, sa gêne. Eugène (...) ne savait où se fourrer en se trouvant en présence de cette femme sans être remarqué par elle (Balzac, Goriot,1835, p. 81).J'étais bien honteuse et je ne savais plus où me fourrer, qu'est-ce qu'il a dû penser de moi! (Claudel, Soulier,1929, 4ejournée, 3, p. 868).
Se fourrer dedans. Se tromper lourdement. M'est avis que, depuis La Rochefoucauld, et à sa suite, nous nous sommes fourrés dedans; que le profit n'est pas toujours ce qui mène l'homme; qu'il y a des actions désintéressées... (Gide, Caves,1914, p. 816).
Se fourrer dans un guêpier, dans la gueule du loup. Tomber dans un piège, se mettre dans une situation embarrassante. Il sortait d'un guêpier et n'était pas d'humeur à se fourrer dans un nid de vipères (Sandeau, Sacs,1851, p. 31).J'ai l'impression que nous nous fourrons dans la gueule du loup... − C'est l'abri le plus sûr contre le loup (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 58):
6. « Mais alors, pourquoi les hommes se marient-ils? » demandais-je un jour à l'abbé Mugnier. Il me répondit : « Par goût de la catastrophe. » Oui, c'est vraiment cet amour du risque, du péril, le sombre et malsain attrait des embêtements, qui pousse les mâles à se fourrer dans ce guêpier. Montherl., Démon bien,1937, p. 1255.
Prononc. et Orth. : [fuʀe], (il) fourre [fu:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. a) ca 1165 forrer « doubler, garnir un vêtement avec de la fourrure » (B. de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 1233 et 13335); b) 1228 fourré « garni intérieurement de confitures, de farces, etc. » (J. Renart, G. de Dole, éd. F. Lecoy, 1513); c) fin xives. se fourrer « se garnir d'habits bien chauds » (E. Deschamps, Œuvres, éd. Queux de St Hilaire et G. Raynaud, t. VII, 55); d) 1464 orfèvr. [de pièces en métal vil couvert d'une fine couche d'or] (Maistre Pierre Pathelin, éd. R. T. Holbrook, 339); e) 1691 « recouvrir un cordage de bandes de toiles goudronnées, de fil de caret pour le préserver du frottement » (Ozanam); 2. a) 1480 fourrer « mettre, faire entrer comme dans un fourreau » (G. Coquillart, Les Droitz nouveaulx ds Œuvres, éd. M. J. Freeman, 1037); b) 1419-22 se fourrer « se mettre, se placer quelque part » (Chastellain, Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 1, p. 293, 15). Dér. de fuerre « fourreau » (fourreau*); dés. -er. Fréq. abs. littér. : 652. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 432, b) 1 532; xxes. : a) 1 215, b) 850.
DÉR.
Fourrage2, subst. masc.a) Action de doubler un vêtement de fourrure; résultat de cette action. Le fourrage d'un manteau; il a fait mettre un fourrage à son pardessus (Ac.1932).b) Action d'envelopper un cordage d'une garniture; cette garniture elle-même. (Dict. xixeet xxes.). c) Action de garnir intérieurement un gâteau de crème, de confiture, etc. Refroidissement des biscuits, fourrage ou tartinage, glaçage (Brunerie, Industr. alim.,1949, p. 19). [fuʀa:ʒ]. Ds Ac. 1932. 1resattest. a) 1489 fourage, subst. masc. « métier de fourreur » (Stat. des vayriers fourreurs, Reg. des stat., p. 340, Arch. mun. Abbeville ds Gdf.); b) 1836 fourrage, subst. masc. « fil de caret dont on enveloppe un cordage » (Ac. Suppl.); c) 1901 « action de mettre de la fourrure sur un câble » (Nouv. Lar. ill.); d) 1930 pelleterie « pelleterie préparée pour servir de doublure à un vêtement » (Lar. 20e); de fourrer, suff. -age*.
BBG. − Klein (J.-R.). Le Vocab. des mœurs de la Vie parisienne sous le Second Empire. Louvain, 1976, p. 220. − Mat. Louis-Philippe 1951, p. 254. − Orr (J.). Qq. étymol. scabreuses. In : Words and sounds. Oxford, 1953, pp. 225-243.