| FORTIFIER, verbe trans. Rendre fort ou plus fort. A.− Domaine concr. 1. [L'obj. désigne un animé, une partie du corps, un organe] Accroître la vigueur, la puissance physique ou la résistance. Fortifier le corps, le dos; fortifier le cœur, le poumon; fortifier la voix. Une fois que l'enfant [spartiate] commence à marcher (...) on le fortifie avec méthode (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 188).Il faudrait lui fortifier l'estomac, lui enseigner à la façon des anciens Romains les lois de la santé (Pourrat, Gaspard,1931, p. 104): 1. Voici une liqueur [le vin] qui active la digestion, fortifie les muscles, et enrichit le sang. Prise en grande quantité même, elle ne cause que des désordres assez courts.
Baudel., Paradis artif.,1860, p. 342. − Emploi pronom. ♦ réfl. Chaque organe peut se fortifier ou s'affaiblir (Cabanis, Rapp. phys. et mor.,t. 2, 1808, p. 10).Une personne de santé délicate qui à partir d'un certain moment se fortifie, engraisse, et semble pendant quelque temps s'acheminer vers une complète guérison (Proust, Swann,1913, p. 304). ♦ réfl. indir. Les enfants de la « race nouvelle » tout en s'amusant, s'instruisant de droite à gauche, se fortifiant les poumons, nous fourniraient avec joie une main-d'œuvre toute spontanée! (Céline, Mort à crédit,1936, p. 592). 2. [L'obj. désigne une chose] a) Augmenter la solidité, la résistance. Synon. consolider, renforcer.Fortifier des piliers. Il [le duc] était machiniste à présent, pour bâtir et fortifier le caveau de l'hôtel Beaujon, où ses trésors seraient enfermés (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 93). − Spéc. Munir d'ouvrages de défense. Fortifier un camp, une place, une position, une ville. Les républicains arrivèrent à construire sous le feu une ligne de défense, et à fortifier leurs flancs (Malraux, Espoir,1937, p. 801). ♦ Emploi pronom. réfl. Se protéger par des ouvrages de fortifications. La 6earmée se fortifiait sur le front Mareil-en-France, Dammartin, Montgé (Joffre, Mém., t. 1, 1914, p. 380): 2. Paris a dû faire craquer sciemment, une à une, les enceintes dont il s'est successivement fortifié, depuis les tours de Philippe-Auguste jusqu'aux forts de Joffre.
Morand, Londres,1933, p. 328. b) Vieilli. Rendre plus intense, plus marqué. Fortifier les teintes, les touches (Ac.1798-1878).Par combien de retouches il faut fortifier cette ombre! (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 321). c) Rendre (un repas) plus consistant, plus réconfortant, élever le degré alcoolique (d'une boisson). Synon. corser.Pour me prémunir contre l'envie de dormir, je fortifiai mon dîner de deux grandes tasses de café, également fort et parfumé (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 112).C'est [le poiré] une boisson plus rafraîchissante que le vin, pendant les moissons. − Et plus saine que la bière, ajouta Kobus. On n'a pas besoin de la fortifier, ni de l'étendre d'eau, c'est une boisson naturelle (Erckm.-Chatr., Ami Fritz,1864, p. 46). B.− Au fig. 1. Fortifier qqn.Accroître son courage, son énergie, sa fermeté morale. Je voudrais te soutenir, te fortifier, te communiquer cette absolue indifférence pour tous les examens, concours, étiquetages (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1906, p. 93): 3. Il regarda M. Lantaigne. La douceur résolue, la tranquillité ferme, la quiétude de cet homme le révoltèrent. Soudain, un sentiment naquit et grandit en lui, le soutint et le fortifia, la haine du prêtre, une haine impérissable et féconde, une haine à remplir toute la vie.
France, Orme,1897, p. 21. − Absol. J'invoquai avec élancement celui qui fortifie et qui attendrit (Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 245). − [Suivi d'un compl. prép.] Fortifier qqn de qqc., contre qqc.Tous les sentiments dont on les a fortifiées [certaines femmes] jusqu'alors viennent se grouper autour d'elles et demandent un sursis à la réalité (Dumas fils, Ami femmes,1864, IV, 9, p. 173). ♦ Fortifier qqn dans qqc.Le rendre plus ferme, plus assuré dans (une attitude intellectuelle ou morale). Fortifier qqn dans une certitude, dans une décision, dans une résolution. − Elle est persuadée qu'elle a un esprit d'enfer. Tous ses auteurs et votre mari en particulier, la fortifient dans cette erreur (L. Daudet, Mésentente,1911, p. 92). − Emploi pronom. réfl. De bonne heure, Marc tint un journal intime de son état intérieur. Il y inscrivait (...) les maximes auxquelles il recourait pour se fortifier (Renan, Marc-Aurèle,1881, p. 258): 4. De tous côtés le désir apparaît de se mieux pénétrer de la doctrine de l'église, si misérablement ignorée de tant de baptisés, et de se fortifier contre l'erreur innombrable par une sérieuse formation philosophique et théologique.
Maritain, Primauté spirit.,1927, p. 174. ♦ En partic. Se fortifier dans (une discipline, un objet d'étude). Devenir plus expérimenté, progresser. À Vienne (...) je pourrai me fortifier dans la prononciation allemande (Nerval, Corresp.,1830-55, p. 55). − Emploi pronom. réciproque. De tout temps et dans tous les pays il a existé des associations secrètes, dont les membres avoient pour but de se fortifier mutuellement dans la croyance à la spiritualité de l'âme (Staël, Allemagne, t. 4, 1810, p. 148). 2. Fortifier qqc. a) Rendre plus puissant, plus efficace. − [L'obj. désigne une faculté, une opération ou une production de l'esprit] Fortifier l'intelligence, les facultés, le jugement; fortifier une argumentation, une preuve, des conclusions. Le travail fortifie l'esprit. Je ne sais si la prière trop extatique ne l'affaiblit pas comme la rêverie mélancolique (Vigny, Journal poète,1833, p. 990).J'y ai entièrement refondu, augmenté, adouci un peu, et je crois fortifié mon article sur Auguste (J.-J. Ampère, Corresp.,1856, p. 314): 5. ... un chef d'unité, durant une partie au moins de sa carrière professionnelle, améliore vraisemblablement son pouvoir de combinaison et peut-être son aptitude à imaginer des schèmes nouveaux (...) ainsi l'aptitude à créer du chef d'unité est dynamiquement fortifiée.
Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 447. − [L'obj. désigne un collectif ou est un mot abstr. impliquant ou exprimant un pouvoir matériel] Fortifier un gouvernement, un parti; fortifier le parlement, l'armée; fortifier son autorité, son pouvoir (Ac.1932).Il fortifiait l'usine par une administration très sage (Zola, Travail, t. 2, 1901, p. 8): 6. Alors le gouvernement dut s'apercevoir qu'en se servant de la gauche pour battre la droite afin de suivre une politique moyenne, une politique modérée, de « juste milieu », il avait enhardi et fortifié le parti libéral, coalition de tous les adversaires de la dynastie.
Bainville, Hist. Fr.,t. 2, 1924, p. 153. − Emploi pronom. réfl. Et pendant ce temps, la situation pourrit, le sang coule, les haines s'exaspèrent, le Trésor se vide, les fascistes se fortifient (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 100). b) [L'obj. désigne un phénomène moral individuel ou une disposition collective] Rendre plus ferme, plus stable, plus solide. Synon. affermir, corroborer, confirmer, consolider, renforcer.Rien n'a été épargné pour corrompre notre raison, sous le spécieux prétexte de fortifier les lois et la morale (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 467).Cette habitude que Proust a fortifiée chez tant d'entre nous de se considérer comme le lieu de certaines expériences (Du Bois, Journal,1925, p. 240): 7. ... je veux vous donner une nouvelle preuve de la force de mes sentiments pour vous; l'absence les fortifie, et demain, vous trouverez une lettre qui les exprime parfaitement.
Restif de La Bret., M. Nicolas,1796, p. 87. SYNT. Fortifier une certitude, des croyances, une résolution; fortifier une illusion, une impression, des doutes, des soupçons; fortifier le courage, la vertu, le vice; fortifier l'amour, la haine, une passion, une répugnance; fortifier la foi, les principes; fortifier la paix. − Emploi pronom. réfl. L'idée déjà naturelle au public que l'alcool préservait des maladies infectieuses se fortifia dans l'opinion (Camus, Peste,1948, p. 1282). Prononc. et Orth. : [fɔ
ʀtifje], (il) fortifie [fɔ
ʀtifi]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1308 « rendre quelque chose plus fort, plus vigoureux » (Ystoire de li Normant, trad. Aimé, 322 [Bartholomaeis] ds Quem. DDL t. 2); 1580 « accroître les forces physiques » (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, livre I, chap. 25, p. 168 : si elle [la viande] ne nous augmente et fortifie); 1580 « affermir moralement » (Id., op. cit., livre 2, chap. 5, p. 405 : [la conscience] fortifie l'innocent contre la torture); 2. fin xives. « protéger une position » ici pronom. (Froissart, Chron., éd. S. Luce, I, 177); en partic. ca 1389 « au moyen de fortifications » (Guescl., 16911 ds Littré). Empr. au lat. fortificare « rendre plus fort ». Fréq. abs. littér. : 826. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 659, b) 1 143; xxes. : a) 940, b) 918. |