| FONDER, verbe trans. A.− Fonder qqc. 1. a) Peu usité. Poser les fondements (d'une construction). Fonder les piles d'un pont (Jossier1881). − Emploi abs. : 1. Les principes généraux à suivre dans la construction des ouvrages d'art peuvent se résumer ainsi : fonder solidement et construire simplement.
Bricka, Cours ch. de fer,t. 1, 1894, p. 126. ♦ P. métaph. Il continua de lire, de rêver, de causer, de marcher (...) de promener et d'ajourner l'œuvre, étant de ceux qui sèment, et qui ne bâtissent ni ne fondent (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t. 2, 1844-64, p. 321).Car il est plus facile dit Dieu de ruiner que de fonder; Et de faire mourir que de faire naître; Et de donner la mort que de donner la vie (Péguy, Myst. Sts Innoc.,1912, p. 23). b) Au fig.
α) Qqn fonde.Pourvoir d'un fondement, établir, asseoir (cf. ce mot B). Quand on ne veut pas se contenter des aperçus informes formés par le sens commun, il faut bien suivre des procédés tout opposés à ceux des sociologues, qui fondent leur réputation, auprès des sots, grâce à un bavardage insipide et confus (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 67): 2. − Ne voyez-vous pas, mon fils, s'écria-t-il, ce furieux qui coupe avec ses dents le nez de son adversaire terrassé, et cet autre qui broie la tête d'une femme sous une pierre énorme?
− Je les vois, répondit Bulloch. Ils créent le droit; ils fondent la propriété; ils établissent les principes de la civilisation, les bases des sociétés et les assises de l'État.
France, Île ping.,1908, p. 78.
β) Qqc. fonde.Être le fondement de. Les fruits sont d'aspect très divers chez les Palmiers; leur nature fonde la classification des Palmiers (Plantefol, Bot. et biol. végét.,t. 2, 1931, p. 299).Ces phénomènes qui fondent toutes nos certitudes (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 468). 2. P. ext. a) Être le premier à bâtir et à peupler (une ville). Didon fonda Carthage (Ac.)Les colons de cette partie de l'Île Longue descendent des premières familles wallonnes et hollandaises, qui fondèrent la ville de New-York en 1614 (Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 316). b) Au fig.
α) Qqn fonde.Donner existence à, être à l'origine de; être le premier à organiser. Synon. créer, constituer, instaurer, instituer, former.Considérez ces courageuses petites sectes protestantes qui, quittant l'Angleterre, allèrent fonder les États-Unis d'Amérique (Taine, Philos. art.,t. 1, 1866, p. 210).Il veut fonder à son profit un système nouveau (Barrès, Cahiers,t. 10, 1913, p. 78).C'est l'année du Cid, l'année où Richelieu fonde l'Académie française (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 210): 3. − Les mémoires de Mme Campan méritent peu de confiance. Faits pour la cour de Bonaparte, qui avait besoin de leçons, ils ont été revus depuis par des personnes intéressées à les altérer. L'auteur voit tout dans l'étiquette et attribue le renversement de la monarchie à l'oubli du cérémonial. Bien des gens sont de cet avis. Henri III fonda l'étiquette, et cependant fut assassiné. On négligea quelque chose apparemment ce jour-là.
Courier, Pamphlets pol.,Livret de Paul-Louis, vigneron, 1823, p. 170. 4. ... l'habileté n'est qu'un vain mot. Et il n'est point de détour possible dans la création. On fonde ce que l'on fait et rien de plus. Et si tu prétends, poursuivant un but, tendre vers un autre, et qui diffère du premier, celui-là seul qui est dupe des mots te croira habile. Car ce que tu fondes, en fin de compte, c'est ce vers quoi tu vas d'abord et rien de plus. Tu fondes ce dont tu t'occupes et rien de plus. Même si tu t'en occupes pour lutter contre. Je fonde mon ennemi si je lui fais la guerre. Je le forge et je le durcis.
Saint-Exup., Citad.,1944, p. 566. SYNT. Fonder une dynastie, un empire, un royaume; fonder un parti, une société commerciale, un ordre religieux; fonder un journal; fonder un prix littéraire; fonder une science, un système philosophique, une religion. ♦ Fonder un foyer, une famille. Se marier et avoir des enfants. Créer des conditions sociales et politiques telles que chaque Français ait intérêt à fonder une famille nombreuse (Mauriac, Bâillon dén.,1945, p. 491).Si je fonde un foyer, expliquait-il, je veux pouvoir garantir à mes enfants une confortable aisance (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 199). − Spéc. Donner par legs ou par donation les fonds nécessaires pour la création et l'entretien (d'un établissement charitable, une œuvre pieuse, philanthropique, etc.). Fonder un hôpital, un collège, un hospice. L'honorable député fonda aussi deux lits à l'hôpital (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 203): 5. ... cette petite bourgeoise avait six mille francs de côté, quand fut déclarée la guerre avec l'Allemagne, et elle les a mangés à fonder une ambulance.
Goncourt, Journal,1889, p. 1016.
β) Qqn ou qqc. fonde.Donner à quelque chose son existence ou sa raison d'être. L'être est antérieur au néant et le fonde (Sartre, Être et Néant,1943, p. 52): 6. Pour fonder l'amour vers moi, je fais naître quelqu'un en toi qui est pour moi. Je ne te dirai point ma souffrance, car elle te fera dégoûté de moi. Je ne te ferai point de reproches : ils t'irriteraient justement. Je ne te dirai pas les raisons que tu as de m'aimer, car tu n'en as point.
Saint-Exup., Citad.,1944p. 801. 7. Sade habitait de même la tour de la Liberté, mais dans la Bastille. La révolte absolue s'enfouit avec lui dans une forteresse sordide d'où personne, persécutés ni persécuteurs, ne peut sortir. Pour fonder sa liberté, il est obligé d'organiser la nécessité absolue.
Camus, Homme rév.,1951, p. 62. B.− Fonder qqc. sur + compl. désignant la nature de la base, du point d'appui. 1. Peu usité. Poser les fondements (d'une construction) sur. Fonder une maison sur le roc (Ac.). Non, reprit le jeune monsieur de Soulas, il [l'entrepreneur] fonde le kiosque sur un massif en béton pour qu'il n'y ait pas d'humidité (Balzac, A. Savarus,1842, p. 32).On est quelquefois obligé de fonder des bâtiments sur un terrain tout à fait instable (Bricka, Cours ch. de fer, t. 1, 1894, p. 229). 2. Au fig. a) Asseoir solidement sur; établir sur. Sur quoi fondez-vous une semblable conjecture? La méthode physiologique doit être fondée sur l'évolution (C. Bernard, Notes,1860, p. 186).Honte à ceux qui fondent leurs espérances sur la stupidité (Renan, Avenir sc.,1890, p. 341).Il ne peut être question de fonder la morale sur le culte de la raison (Bergson, Deux sources,1932, p. 90): 8. ... c'était la première fois, depuis la Révolution, qu'on rendait l'État civil ridicule en présence de l'État militaire; et Bonaparte, qui voulait fonder son pouvoir sur l'avilissement des corps aussi bien que sur celui des individus, jouissait d'avoir su, dès les premiers instants, détruire la considération des députés du peuple.
Staël, Consid. Révol. fr.,t. 2, 1817, p. 14. − Emploi pronom. ♦ Réfl. Se fonder sur un article de loi, sur un principe de droit (Ac.) : 9. − Réfléchis, reprit-il. Tu as trois jours. Entre dans l'organisation qui te plaît. Sinon, commande sans appui, et prends des sans-parti. Je te promets du plaisir, mais c'est ton affaire.
− Parce que?
− Parce qu'il faut savoir sur quoi on se fonde pour commander des gens très différents.
Malraux, Espoir,1937, p. 575. ♦ Passif. Tout cela se fonde sur de faux bruits (Ac.). Sur quoi se fonde ce jugement? (Maine de Biran, Influence habit.,1803, p. 93).Mais des calculs peuvent être erronés qui se fondent sur une base aussi fragile que la fantaisie d'une femme (Benoit, Atlant.,1919, p. 314). − Fonder en droit, en raison. Les femmes furent écartées de l'héritage paternel et furent considérées comme impropres à fonder en droit un lien de parenté (Gaultier, Bovarysme,1902, p. 147).(Je n'ignore pas que mon éloignement est instinct) − que je suis tout incapable de le fonder en raison (Du Bos, Journal,1926, p. 86). b) Faire tenir à, faire dépendre de. J'ai fondé ton absence hier à l'Opéra Sur la migraine (Augier, Jeunesse,1858, III, p. 343). − Fonder sur + pron. pers.Les espérances que j'avais fondées sur lui (Ac.) : 10. Parmi les nombreux valseurs de ces demoiselles (...) le plus enragé pour la danse était un avoué veuf très assidu près de la fille aînée (...) et certes à voir le train dont le gaillard tourbillonnait, le papa Simaise fondait sur lui les plus grandes espérances.
A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 158. Prononc. et Orth. : [fɔ
̃de], (il) fonde [fɔ
̃:d]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. : à signaler les temps homon. de fondre et de fonder : les 3 pers. du plur. de l'ind. prés. nous fondons, vous fondez, ils fondent, toutes les pers. de l'imp. je fondais, nous fondions, du subj. prés. que je fonde, que nous fondions; également le part. prés. fondant. Étymol. et Hist. 1. Début xiies. « établir sur des fondations » (Psautier de Cambridge, CIII, 5, éd. F. Michel, p. 187 : Ki fundad la terre sur sa basse); 2. ca 1160 « établir, instituer (ville, religion, etc.) » (Eneas, 41 ds T.-L.); 3. a) ca 1165 part. passé « pourvu de, versé dans » (B. de Sainte-Maure, Troie, 84, ibid. : Cornelius [...] De letres sages et fondez); b) [1297 spéc. « autorisé, fondé de pouvoir » (Arch. J 654, pièce 16 ds Gdf.)]; 1601 fondé en pouvoir (P. Hurault, Mém., an 1601 ds Gdf. Compl.); 1792 part. passé subst. fondé de pouvoir (Beaumarchais, Epoques, p. 398); c) 1478-80 « pourvoir d'un fondement, motiver, justifier » (G. Coquillart, Plaidoyer, 332 ds
Œuvres, éd. M. J. Freeman, p. 25 : mon propos est bien fondé); 4. fin xiies. « établir (sur une base) » (Sermons de Saint Bernard, p. 317 ds La Curne : en humiliteit enracineit et fondeit en lei). Du lat. class. fundare « fonder, bâtir; établir, instituer ». Fréq. abs. littér. : 2 399. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 697, b) 2 476; xxes. : a) 3 131, b) 3 828. |