| FONDRE1, verbe trans. et intrans. I.− [Le subst. correspondant est fonte1ou fusion] A.− 1. Qqn fond qqc. + prép. a) [Le suj. désigne une pers.; le compl. prép. un agent physique] Soumettre (un corps solide) à l'action d'une source de chaleur afin de (le) liquéfier. Résumé succinct de l'affinage sur sole. − Les charges peuvent être de composition quelconque. On commence par fondre la masse à une température élevée (Barnerias, Aciéries,1934, p. 76). ♦ P. métaph. Faire disparaître. Il s'agit de fondre les contradictions au feu du désir et de l'amour, et de faire tomber les murs de la mort (Camus, Homme rév.,1951, p. 126). − [Sans compl. prép.] :
1. Pour fondre la gangue, il a fallu dépenser de l'énergie; une partie de cette énergie a été consommée pour élever la température, chaleur latente, une partie a été consommée pour obtenir le passage de l'état solide à l'état liquide : c'est la chaleur de fusion.
Cléret de Lanvagant, Ciments et bétons,1953, p. 37. b) Qqc. fond qqc.[Le suj. désigne un agent physique]
α) Amollir, liquéfier en chauffant. La grève fut atteinte par le fluide électrique, qui fondit le sable et le vitrifia (Verne, Île myst.,1874, p. 291).Cf. carapace B, citat. de Moselly.
β) P. anal., littér. Faire diminuer de volume, amaigrir. Les larmes avaient fondu ses joues. Hervieu, qui est là, maigri, diminué, fondu par une attaque de goutte (Goncourt, Journal,1895, p. 727). c) Au fig.
α) Attendrir, amollir. Elle avait tout ce qui peut toucher, fondre le cœur (Michelet, Journal,1849-60, p. 591).Mais la puberté avait fondu sa dureté et comme feutré les brusqueries un peu sombres de sa dixième année (Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 51): 2. ... j'écoute avec volupté ces notes perlées qui s'échappent en cadence à travers les ondes élastiques de l'atmosphère. La perception ne transmet à mon ouïe qu'une impression d'une douceur à fondre les nerfs et la pensée...
Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 181.
β) Loc. fig., littér. Fondre la, les glaces. Faire disparaître la froideur. Si jamais les malheureux colons peuvent parvenir à fondre les glaces qu'on leur oppose depuis la Révolution (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p. 327).Tu m'as fait entrevoir un idéal de fraternité qui a fondu la glace de mon cœur (Sand, Hist. vie,t. 4, 1855, p. 338). − P. métaph. : 3. Un feu de bois brûlait dans le salon. La vue de cette cheminée éveilla chez Séryeuse des souvenirs de campagne. Les flammes fondaient la glace qu'il sentait le prendre.
Radiguet, Bal,1923, p. 65. 2. Qqc. fond.[Le suj. désigne un corps solide] Devenir liquide sous l'effet de la chaleur. a) [Correspond à I A 1 a] Il était tout à elle, lorsqu'un bruit d'eau qui se sauve arriva de la cuisine où le miel fondait au bain-marie (Pourrat, Gaspard,1925, p. 139).On enduit la pièce d'un mélange de sels (...) on la porte ensuite au feu de charbon de bois. Quand le mélange commence à fondre et à couler, on le replonge rapidement dans l'eau froide (Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 27). − En périphrase factitive. Faites fondre dans une casserole un peu de beurre (Gdes heures cuis. fr., Grimod de la Reynière, 1838, p. 156).Sur un feu ardent on fera fondre 1000 parties de plomb très pur (Meyer, Art émail Limoges,1895, p. 52). − Emploi pronom. passif. Le fer ne peut se fondre à un feu ordinaire; il ne peut pas se couler comme l'or (Arts et litt.,1935, p. 2203). b) [Correspond à I A 1 b] Sur le raidillon, la neige fondait par endroits (Camus, Exil et roy.,1957, p. 1619): 4. Mais tous les marronniers étaient en fleurs, le goudron fondait sous mes pieds, je sentais à travers ma robe la douce brûlure du soleil.
Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 320. c) Au fig.
α) Diminuer progressivement, de manière sensible. Notre troupe fondait à vue d'œil (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 288). − En partic. [Le suj. désigne un bien matériel] Je tremble, lorsque je vois l'argent fondre ainsi dans ses mains (Zola, Joie de vivre,1884, p. 931).
β) Fondre à vue d'œil. Maigrir rapidement.
γ) Qqn fond de qqc.[Le compl. prép. désigne un affect] Se sentir transformer, dans son être profond, sous l'effet de. Fondre de pitié et d'angoisse. Savoir cela, (...) c'est assez déjà pour fondre de volupté comme la cire devant un brasier (Bloy, Journal,1900, p. 260): 5. Elle pleurait. Elle fondait. Son cœur se fondait.
Son corps se fondait.
Elle fondait de bonté.
De charité.
Il n'y avait que sa tête qui ne fondait pas.
Péguy, Myst. charité,1910, p. 105. − Emploi pronom. Toute sa chair se fondait d'horreur et de volupté (France, Dieux ont soif,1912, p. 283). B.− 1. Qqn fond qqc. en a) Transformer (un corps solide), sous l'action de la chaleur, en : 6. ... la quantité de monnaie d'argent qui, frappée en espèces, valait 3 livres 17 sous 10 1/2 deniers sterling, pouvait, si elle était fondue en lingots, se vendre 4 livres sterling contre de la monnaie d'or.
Say, Écon. pol.,1832, p. 260. − [Sans compl. prép. et p. méton. de l'obj.] Fabriquer quelque chose au moyen d'un métal fondu. Fondre des canons. Maël fondit pour elle une clochette d'airain et, quand elle fut achevée, il la bénit et la jeta dans la mer (France, Île ping.,1908, p. 18).Certains ébénistes (...) pouvaient par mesure d'exception dessiner, modeler ou fondre les bronzes destinés aux meubles qu'ils fabriquaient (Viaux, Meuble Fr.,1962, p. 94). ♦ Loc. fig., fam. et vx. Fondre la cloche. ,,Prendre une dernière résolution sur une affaire, la terminer, la conclure`` (Ac. 1798). Tout liquider, tout vendre, transiger sur tout, enfin fondre la cloche au profit des créanciers (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 359). b) Au fig. Réunir deux ou plusieurs éléments en un tout. Fondre un ouvrage avec un autre, dans un autre. Le deuxième et le troisième actes sont fondus en un seul (Flaub., Corresp.,1873, p. 95).Fondre les amants en un seul être, quand la distinction entre le moi et le tu est condition de leur amour (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 218): 7. Ô énergie de mon Seigneur, Force irrésistible et vivante, parce que, de nous deux, Vous êtes le plus fort infiniment, c'est à Vous que revient le rôle de me brûler dans l'union qui doit nous fondre ensemble.
Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 96. − [Sans compl. prép.] La mort de Napoléon (...) servit d'ailleurs à fondre encore plus intimement les Républicains et les Bonapartistes (Bainville, Hist. Fr.,t. 2, 1924, p. 154). ♦ PEINT. Fondre des couleurs. Faire passer graduellement des couleurs de l'une à l'autre. Avec les martres et les brosses ordinaires, on arrive à une dureté, à une difficulté de fondre les couleurs qui est presque inévitable (Delacroix, Journal,1853, p. 11). 2. a) Qqc. fond en.[Le suj. désigne un corps solide] − Se transformer (sous l'effet de la chaleur) en. La glace coule et fond en eau (Cocteau, Fin Potomak,1940, p. 124). − P. hyperb. Fondre en eau. Pleuvoir abondamment. Soudain, une averse croula, le ciel entier fondit en eau (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 286). b) Au fig. [Le suj. désigne une pers., un trait physique ou moral] Se transformer en. Je me suis senti fondre en délices et en amoureuses rêveries! (Flaub., Corresp.,1838, p. 36).Un mot si cocassement inhabituel dans sa bouche que mon trouble extrême faillit fondre en un éclat de rire (Gracq, Syrtes,1951, p. 223). − Emploi pronom. réfl. Dejoie venait se fondre en gratitude (Zola, Argent,1891, p. 280). − P. hyperb. ♦ Fondre en larmes, en pleurs. Pleurer abondamment. Que mes yeux se fondent en pleurs comme ceux d'une femme, si jamais je parle (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 220).Elle était tout près de moi, et dans cette brusque intimité il y avait tant de chaleur que je fondis en larmes comme neige au soleil (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 306).Je me mordais les lèvres pour ne pas fondre en larmes (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 515). ♦ Fondre en eau, en sueur (vx). Suer abondamment. Puis il se tut, épongea son visage qui fondait en eau (Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 145). II.− [Le subst. correspondant est dissolution] A.− Qqn/qqc. fond qqc. (dans qqc.).[Le compl. prép. désigne un liquide] Dissoudre (dans ou grâce à un liquide). Fondre du sucre dans de l'eau (Rob.). Le sel n'est pas suffisamment fondu (Lar. Lang. fr.).On se servira plutôt de la pierre à cautère (...) afin que ce caustique puisse fondre les callosités (Geoffroy, Méd. pratique,1800, p. 292). ♦ Loc. fig. Fondre dans la masse. Faire disparaître en confondant avec. Même sa forme physique, médiocre et banale, ne lui était pas une limite, le fondait dans la masse (Camus, Homme rév.,1951, p. 224). B.− Qqc. fond dans qqc. 1. [Le suj. désigne un corps soluble] Se dissoudre dans : 8. Garcia pensa à la Gran Via d'autrefois (...) avec (...) ses cafés (...) ses tiges de sucre qui fondaient comme du givre dans les verres d'eau, à côté du chocolat à la cannelle.
Malraux, Espoir,1937, p. 689. − Emploi pronom. Comment ces solides ont-ils pu se fondre dans la masse liquide pour former avec elle un fluide homogène? (Metzger, Genèse sc. cristaux,1918, p. 156). − [Sans compl. prép.] Il but, presque d'un trait, sans attendre que le sucre fût fondu, un grand verre d'absinthe (Benoit, Atlant.,1919, p. 26). ♦ En périphrase factitive. Quand on veut employer la colle, on la fait fondre sur le feu avec un peu d'eau (Nosban, Manuel menuisier,t. 2, 1857, p. 114). 2. P. anal. Se dissoudre dans la bouche; être tendre au palais. Fondre dans la bouche. Les petits pois Vous fondaient dans la bouche comme des grêlons, tout sucre! (Claudel, Violaine,1reversion, 1892, I, p. 501). 3. Au fig. Disparaître en se confondant avec. − En périphrase factitive. Nous faisons fondre les différences qualitatives dans l'homogénéité de l'espace qui les sous-tend (Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 217). − Emploi pronom. Luizzi (...) se retourna (...) vers cette femme qui était là à côté de lui. Il lui sembla qu'elle se fondait dans l'air comme une légère vapeur (Soulié, Mém. diable,t. 2, 1837, p. 357): 9. Il y eut un instant où les cimes givrées des arbres se fondirent dans sa blancheur [du ciel], et puis elles furent blanches de nouveau, et brillantes, à cause du bleu tout frais qui s'éployait là-haut.
Genevoix, Raboliot,1925, p. 185. ♦ Se fondre dans la masse. Ne pas se distinguer des autres; être ou entrer dans l'anonymat. On a beau (...) chercher à se fondre dans la masse et s'y plaire − on n'en demeure pas moins un être à part (Gide, Journal,1937, p. 1264). Prononc. et Orth. : [fɔ
̃:dʀ
̥], (il) fond [fɔ
̃]. Noter les formes homophones et homogr. communes à fondre et à fonder : nous fondons, vous fondez, ils fondent; je fondais, nous fondions; que je fonde, que nous fondions; fondant. Étymol. et Hist. A. Ca 1050 intrans. « être détruit, renversé, s'effondrer » (Alexis, éd. Chr. Storey, 298). B. 1. a) Ca 1121 trans. « répandre, verser » (Voyage de Saint-Brendan, éd. E. G. R. Waters, 896 : fundent lermes); ca 1165 intrans. « couler » (B. de Sainte-Maure, Troie, éd. L. Constans, 16484 : Lermes li fondent sor la face); ca 1223 fondre en larmes (G. de Coinci, Miracles, éd. V. F. Kœnig, t. 1, p. 127, 1273); b) début xives. « se laisser attendrir, s'épancher » (Dits de l'âme, éd. E. Bechmann A 9 e ds Z. rom. Philol. t. 13, p. 59 : un coer fondant); 2. 1174-76 trans. « fabriquer au moyen d'une matière en fusion » (G. de Pont-Sainte-Maxence, Saint Thomas, éd. E. Walberg, 2183); 3. a) ca 1190 trans. « rendre liquide » (Marie de France, Purgatoire de Saint Patrice, éd. T. A. Jenkins, 1100 : Divers metals sur els fundeient); 1676 part. prés. subst. masc. émaux (Félibien, p. 423); 1708 métall. (Fontenelle, Hist. du renouvellement de l'Ac. royale des Sc., p. 93 ds Trév. Suppl. 1752); 1735 part. passé subst. fém. art. culin. (Cuisinier mod., IV, 220 ds Quem. DDL t. 2 : fondue de fromage aux truffes fraîches); b) 1remoitié xiiies. [ms. de 1254] intrans. « devenir liquide » (Romances et Pastourelles, éd. K. Bartsch, I, 46, 1, p. 47 : glace funt); 1865 part. prés. subst. masc. « sorte de friandise » (Littré); 4. a) xiiies. trans. « mêler ensemble » (Digestes, ms. Montpellier H 47, fo84 d ds Gdf. Compl.); b) 1685 part. passé spéc. peint. (Félibien, Entretiens..., t. II, p. 239 ds Brunot t. 6, p. 738, note 6 : les couleurs [...] paroissent noyées et fonduës); 1851 peint. le fondu (Barbey d'Aurevilly, Vieille maîtresse, I, II ds Rob.); 1908 cin. fondu (Babin ds L'illustration, 4 avr., p. 238 ds Giraud, p. 181); 1922 cin. fondu enchaîné (Cinéa, 27 janv., ibid.); 5. a) fin xives. intrans. « maigrir » (J. Froissart, Chroniques, éd. S. Luce, I, 37, p. 71); b) 1575 trans. « réduire, faire diminuer de volume » (A. Paré,
Œuvres, 1. V, chap. 23, éd. J. F. Malgaigne, t. 1, p. 361b); 6. 1580 intrans. « se dissoudre (dans un liquide) » (Montaigne, Essais, 1. II, chap. 12, éd. A. Thibaudet, p. 522 : le sel fondu par ce moyen). C. Ca 1195 intrans. « s'abattre, se précipiter (sur) » (Ambroise, Guerre sainte, 1624 ds T.-L.). Du lat. fundere « verser, répandre; fondre (un métal, une statue); disperser, renverser, abattre ». Bbg. Uren (O.). Le Vocab. du cin. fr. Fr. mod. 1952, t. 20, p. 210. |