| FLÉCHIR, verbe. I.− Emploi trans. à valeur factitive A.− Rare, littér. [L'obj. désigne une chose concr. relativement souple] Courber, faire ployer progressivement en exerçant une pression, un effort ou une charge. Fléchir la tige d'un arbre (Ac.1878-1932).Synon. courber, plier, ployer. B.− Usuel. [L'obj. désigne le corps ou une partie du corps] Plier, incliner en faisant jouer les muscles. Fléchir le buste en avant. Anton. tendre.M. Nègre affolé, les reins fléchis sous le fardeau de sa responsabilité pesante (Courteline, Ronds-de-cuir,1893, 6etabl., I, p. 216).Des cygnes fléchissent le cou par-dessus les bords des ruisselets où ils glissent (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1908, p. 49): 1. Il suffisait de fléchir l'avant-bras, la jambe, pour que surgît au mollet, au jarret, au biceps, la crampe, la torture de cette espèce de nœud de muscle qu'amène le surmenage.
Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 362. − Emploi pronom. à sens passif. Une grenouille décapitée est suspendue, les jambes pendantes. On pince un des orteils. La jambe se fléchit (Carrel, L'Homme,1935, p. 110). − Fléchir le(s) genou(x). Plier le genou ou s'agenouiller en signe d'adoration, de respect, de crainte, de soumission, d'obéissance, etc. Félicité s'agenouilla devant le crucifix, et le pharmacien lui-même fléchit un peu les jarrets (Flaub., MmeBovary,t. 2, 1857, p. 181).Quand Cécile se montra, définitivement parée, Justin fléchit le genou, en un geste charmant qui sentait un peu son théâtre, et il demanda la permission de lui baiser le bout des doigts (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 222). ♦ P. métaph. Deux arbres dans un pré. L'un d'eux fléchit le genou, en adoration perpétuelle devant l'autre (Renard, Journal,1898, p. 500). ♦ Au fig. [P. allus. à st Paul, respectivement I Romains 14/11 et Philippiens 2/10] Oui, au nom du réparateur, tout fléchira le genou dans les cieux, dans la terre et dans les enfers (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 207).Lorsque tu prononces le nom de Jésus, tout fléchit le genou, au ciel, sur la terre et dans les enfers (Bloy, Journal,1903, p. 169). ♦ Péj. S'humilier, s'abaisser devant, obéir servilement à. Fléchir les genoux devant les idoles. Que celui qui n'a point fléchi le genou devant Baal fuie du milieu de Babylone! (Barrès, Colline insp.,1913, p. 297). C.− Au fig. 1. [L'obj. désigne une pers.] Faire céder, faire perdre (à quelqu'un) un sentiment ou une attitude sévère(s), intransigeant(s), inflexible(s). Fléchir un juge, fléchir (qqn) par des prières, à force de prières. Synon. attendrir, émouvoir, toucher.Se sachant découvert à Vienne, il allait se dénoncer au Pape, l'implorer, le fléchir. Il obtint le pardon (Gide, Caves,1914, p. 753).Et Gandhi choisit de ne pas manger pour fléchir son adversaire (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 90): 2. Il ne pouvait dissimuler une sorte de joie âcre et brûlante, à l'idée qu'il était encore victorieux, dans ce duel comme dans l'autre, que Cécile allait céder, que peut-être il arriverait à fléchir cette âme rebelle et si bien défendue.
Duhamel, Cécile,1938, p. 245. − Se laisser fléchir. Céder. Et s'il ne fit pas arrêter Céluta, c'est qu'il se laissa fléchir aux larmes d'Adélaïde (Chateaubr., Natchez,1826, p. 390).Peut-être, si je lui parle, se laissera-t-il fléchir. Il est bon, il est tendre (France, Dieux ont soif,1912, p. 226). 2. P. méton., littér. [L'obj. désigne le sentiment ou l'attitude] Faire perdre en rigueur, en intensité, ou faire céder, relâcher. Fléchir la rigueur de (qqn). Synon. adoucir, apaiser, désarmer.Ouvrir le ciel et le fermer, rien de plus barbare. Mais je fléchirai cette résolution (Gautier, Fracasse,1863, p. 258).Et rien ne pouvait le vaincre, rien ne pouvait fléchir sa rigueur (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Père Amable, 1886, p. 214). II.− Emploi intrans. A.− Plier, se courber, généralement sous une charge, une pression, un effort. Fléchir sous le fardeau, sous le poids de. Anton. se redresser. 1. [Le suj. désigne un inanimé concr.] Treilles qui fléchissaient sous leurs grappes mûries (Lamart., Harm.,1830, p. 379).Le plancher est fait de larges planches lavées et qui fléchissent lorsqu'on marche (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 46): 3. Sous son poids [de l'écureuil] les branches élastiques fléchissaient et se redressaient, (...) et lui, (...) détendait (...) tous les muscles de ses jarrets et de ses reins pour se projeter plus haut et plus loin encore.
Pergaud, De Goupil,1910, p. 135. − En périphrase factitive. Vous ne feriez pas fléchir l'arbuste (...) si vous le pressiez avec un roseau (J. de Maistre, Soirées St-Pétersbourg,t. 1, 1821, p. 402). − P. ext., rare. Prendre une ligne courbe, sinueuse (sans idée d'élasticité). Une route jaune sinueuse (...) bordait un canal bleu. Et le canal fléchissait avec la route et entre les deux un talus vert suivait leurs contours (Schwob, Monelle,1894, p. 107). 2. [Le suj. désigne une pers., un animal ou une partie du corps] À chacun de ses passages devant le tabernacle, il fléchissait à fond, dans une génuflexion qui ne trichait pas, qui heurtait le genou contre le bois (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 190): 4. La croix qui était faite de tous les péchés du monde pesait sur l'épaule du Sauveur d'un tel poids que ses genoux fléchirent et qu'il tomba. Un homme de Cyrène passait là, qui aida le Seigneur à la porter.
Huysmans, En route,t. 2, 1895, p. 67. − Au fig. [Gén. suivi d'un compl. prép. introduit par devant, sous] Son épine dorsale fléchissait avec une merveilleuse flexibilité devant la noblesse et l'administration pour lesquelles il se faisait petit, humble et complaisant (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 566).[Les] petits contribuables fléchissant sous le poids des impôts (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 437).« Détendez-vous, pour l'amour de moi, pour ne pas me fâcher, Marie. » Marie de Ferras cède, fléchit, succombe sous la prière mystérieuse. Puisque Cécile est là, derrière elle, Marie de Ferras va peut-être se tirer du long trait de la troisième page... (Duhamel, Cécile,1938, p. 65). ♦ Loc. verb. fig. Tout fléchit, tout genou fléchit devant. Tout s'incline devant, se soumet à (par obéissance, respect ou adoration). Le gouvernement est alors absolu, et se fait au nom de la doctrine acceptée de tous. Tout fléchit devant elle (Renan, Avenir sc.,1890, p. 346).Je craignais, en levant les paupières, d'apercevoir le visage devant lequel tout genou fléchit (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1197). Rem. Le compl. prép. introduit par devant indique gén. un sens fig.; la prép. sous accompagne plus souvent le sens propre. B.− P. anal. Anton. s'affermir. 1. Perdre sa force, son énergie, sa fermeté. Omer sentit fléchir ses jambes à la vue d'un si terrible désespoir (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 510).De nouveau, la voix parut fléchir, mais il se raidit (Martin du G., Thib., Consult., 1928, p. 1101). − Domaine milit.Reculer. La violence de cette attaque fut telle que les lignes de nos alliés fléchirent dès le début (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 81).La droite et le centre de l'armée continuaient de fléchir sensiblement sous les coups redoublés de l'adversaire (Foch, Mém.,t. 1, 1929, p. 124). 2. Au fig. Perdre de sa rigueur. Synon. céder.L'Église n'a jamais fléchi dans l'affirmation qu'elle fait de la présence réelle (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1912, p. 195).Tant que l'arrière résista, le soldat tint bon. Il fléchit du jour où il connut la misère de ceux qu'il défendait (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 331). − P. méton. [Le suj. désigne l'attitude ou le sentiment] Sa volonté fléchit. Il y a dans la douleur des côtés intimes et obscurs où les plus fiers courages fléchissent (Hugo, Nap. le Pt,1852, p. 239).Il faut un effort pour lire, avec une attention qui ne fléchisse point, un poème de longue haleine (Du Bos, Journal,1922, p. 206). C.− P. ext. Anton. augmenter. 1. [Le suj. désigne un inanimé concr.] Diminuer de volume, d'intensité, de netteté. Il est un faux silence, quand le vent du nord a fléchi et que l'apparition d'insectes (...) annonce la tempête d'Est porteuse de sable (Saint-Exup., Lett. otage,1943, p. 394). 2. En partic. [Le suj. désigne une valeur, une quantité] Baisser, diminuer (en quantité, en nombre); être en baisse. − Tu sais qu'il perd ses cheveux − dès que la cote [de la Bourse] fléchit, dès même qu'elle tarde à monter (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 36).Les chefs de cave voyaient de près le rendement du personnel auxiliaire enclin à fléchir (Hamp., Champagne,1909, p. 150). − En périphrase factitive. Faire fléchir (une cote, un cours, un prix, etc.). Provoquer la baisse de. Anton. faire remonter.Six mille titres jetés sur le marché ont fait fléchir le cours jusqu'au-dessous du prix d'émission (Péladan, Vice supr.,1884, p. 258). Prononc. et Orth. : [fleʃi:ʀ], (je) fléchis [fleʃi]. Voyelle de 1resyll. demi-longue ds Passy 1914. Ds Ac. dep. 1694. Accent aigu pour la 1refois ds Ac. 1740. Étymol. et Hist. Ca 1175 intrans. « ployer, céder » (Horn, éd. M. K. Pope, 1855); ca 1175 « faire céder [une personne] » (B. de Ste-Maure, Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 33023). Issu par substitution de dés. de l'a. fr. flechier « ployer, courber; faire céder » (ca 1160 Eneas, 1812 ds T.-L.), du b. lat. *flecticare, fréquentatif du class. flectere « courber, ployer; fléchir, émouvoir ». Fréq. abs. littér. : 867. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 470, b) 1 151; xxes. : a) 1 102, b) 1 152. Bbg. Rice (C.C.). Romance etymologies and other studies. Chapel Hill, 1946, pp. 29-31. |