| FIXER, verbe trans. A.− Agir sur un être ou sur une chose en vue de leur donner une assise, de les établir et de les maintenir à une place ou dans une position donnée. 1. Qqn/qqc. fixe qqn/qqc. a) [L'obj. désigne un animé] Fixer à demeure. Synon. implanter, installer, enraciner, sédentariser.Ce sont ces graines qui, avec l'avoine, ont contribué à fixer, très loin vers le nord, des populations agricoles (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 141).L'attaque sur le couloir de Sarrebourg aurait pour but de fixer l'ennemi et d'empêcher les forces d'Alsace de passer en Lorraine (Joffre, Mém.,t. 1, 1931, p. 154). b) [L'obj. désigne un inanimé] Synon. accrocher, attacher, coincer, retenir. − [immobile] [Mélanie] croisait sur sa poitrine son petit châle noir et l'y fixait par une épingle (France, Pt Pierre,1918, p. 99).Je voulais fixer les pitons à l'endroit d'où mon enfant avait roulé (Peyré, Matterhorn,1939, p. 155). − [mobile] Fixer les dunes, le sol. Retournant alors vers la fenêtre, je la fixai par un cadenas (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, 1886, p. 1122).Elle remettait un peu de rouge à ses lèvres, fixait une mèche sur son front (Proust, Swann,1913, p. 315). c) Domaine de l'habitation − Fixer sa résidence, son domicile à. Choisir comme lieu d'habitation durable. Dans le cas où il résiderait en France, il déclare que son intention est d'y fixer son domicile (Code civil,1804, art. 9, p. 3).Charlemagne avait dû fixer sa résidence à Aix-la-Chapelle (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 40). ♦ P. ext. Fixer ses jours à. Habiter durablement à. Drôle d'idée, ma belle, de venir fixer ses jours au fond d'un méchant petit village de rien! (Bernanos, Crime,1935, p. 818). − Emploi pronom. réfl. Se fixer + compl. de lieu.Même sens. Il partait lui-même se fixer en Algérie, où l'attendait une position superbe (Zola, Joie de vivre,1884, p. 880): 1. Si je ne dois pas me fixer aux revers des Alpes, ma course au Saint-Gothard restera un fait sans liaison, une vue d'optique isolée au milieu des tableaux de mes Mémoires : j'éteindrai la lampe et Lugano rentrera dans la nuit.
Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 127. d) Domaine de la vue − Fixer le regard, les yeux sur qqn/qqc. Les y arrêter un certain temps et avec une certaine insistance. Le grand esquif, sur lequel nous ne cessions pas de fixer les yeux (Proust, Prisonn.,1922, p. 106).Il tenait la tête levée et fixait sur Antoine son regard que le trouble durcissait (Martin du G., Thib.,Pénitenc., 1922, p. 676). ♦ P. ell. Fixer qqn/qqc. et fixer qqn/qqc. du regard, d'un œil + adj. qualificatif, des yeux. Regarder fixement. Alors elle le fixa dans les yeux et lui dit :... (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, En fam., 1881, p. 363).Il (...) fixa impertinement les femmes, répondit aux hommes par-dessus l'épaule (Maurois, Disraëli,1927, p. 29). ♦ P. anal. Christine fixa sur son frère ce navrant sourire qui demandait pardon (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 297). − Fixer les regards. Attirer sur soi les regards. La toilette voyante d'Arlette, sa beauté remarquable, et l'énorme botte de lilas placée bien en évidence, fixaient tous les regards (Gyp, Mar. civil,1892, pp. 159-160). − Emploi pronom. Les vingt mille prunelles de la foule se fixèrent sur l'arène (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 188).Il voit, dans un grand silence, tous les regards se fixer sur ses mains (Mauriac, Journal 2,1937, p. 144). ♦ réciproque. Leurs yeux se fixèrent l'une sur l'autre [la servante et la maîtresse], s'emplirent de larmes (Flaub., Cœur simple,1877, p. 49). 2. Au fig. a) [Le suj. désigne une pers.] − Fixer son/l'attention, son esprit, sa pensée, etc. sur qqn/qqc. Appliquer (une faculté d'observation ou de réflexion) à. Elle fixa sa pensée sur ce qui allait avoir lieu (Péladan, Vice supr.,1884, p. 43): 2. ... encore y aurait-il lieu de fixer l'attention critique sur ces objets eux-mêmes et de rechercher pourquoi, en si petit nombre, ce sont eux qui ont été appelés à se disposer de la sorte. On n'aura rien dit de Chirico tant qu'on n'aura pas rendu compte de ses vues les plus subjectives sur l'artichaut, le gant, le gâteau sec ou la bobine.
Breton, Nadja,1928, p. 14. − Fixer son choix, sa préférence sur qqn/qqc. Choisir définitivement et après réflexion. Le commis (...) lui demanda sur lequel de ces guides il fixait son choix (Huysmans, À rebours,1884, p. 174). − Fixer les idées (de qqn.). (Lui) permettre de comprendre quelque chose d'une manière précise. Afin de mieux fixer vos idées, je ne spécifierai que le cas le plus simple, et aussi le plus usuel (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 184).Dans une démonstration, on prend un cas particulier « pour fixer les idées » (Valéry, Variété V,1944, p. 106). − Fixer qqc. dans sa mémoire, dans son esprit. Appliquer (sa mémoire, son esprit) à. Il les lit [les ordres], les relit, les fixe dans sa mémoire et rend la feuille : car il ne doit rien emporter (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 260). b) [Le suj. désigne une pers. ou une chose] − Fixer l'attention. Attirer sur soi l'attention. Cela fixe l'attention. L. P., d'ordinaire, ne tient pas particulièrement à fixer l'attention des passants. Il a même le plus vif et le plus constant désir de passer inaperçu (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 129). − Fixer une idée. Ancrer, imposer une idée. Ce dernier trait fixa dans l'esprit de Justine l'idée que j'étais idiot (France, Pt Pierre,1918, p. 221). B.− Agir sur un être, sur une chose en vue de les maintenir durablement dans un état donné et, partant, interrompre une évolution. 1. Domaines techn. a) CHIM. Empêcher (un corps gazeux ou volatil) de se dissiper. Fixer le carbone et laisser dégager l'oxygène (C. Bernard, Notes,1860, p. 119). b) DESSIN. Traiter un dessin à l'aide d'un produit qui l'empêche de s'effacer. V. fixateur II, citat. de Montherlant. c) PHOT. Faire subir un bain spécial à (une épreuve, un cliché) afin d'éviter l'altération au contact de l'air. La mort fixe le personnage comme le bain chimique fixe le cliché (Valéry, Mauv. pens.,1942, p. 99). 2. Au fig. a) [L'obj. désigne une pers.] − Vieilli. S'attacher quelqu'un d'une façon durable. Elle [Mmede Custine] avait eu quelque peine à fixer, ne fût-ce qu'un moment, l'infidèle et le volage [Chateaubriand] (Sainte-Beuve, Chateaubriand,t. 2, 1860, p. 322). − Stabiliser la conduite, les sentiments, les opinions de quelqu'un. J'errai le long de la petite rivière, en réfléchissant douloureusement. Mais à quoi bon réfléchir? Rien ne pouvait me fixer (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Fils, 1882, p. 321). ♦ Emploi pronom. Se stabiliser dans un état donné. Mais avec les années mon personnage se fixera sans doute (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 116).Il [Anatole France] ne se fixait que dans les choses qu'il trouvait belles ou délicieuses, et il ne retenait en soi que des certitudes d'artiste (Valéry, Variété IV,1938, p. 26).Se stabiliser sous une forme donnée. Il faut du temps à l'absent pour prendre sa vraie forme en nous. Il meurt, − il mûrit, il se fixe (Colette, Sido,1929, p. 99). − P. ext. Fixer le cœur de qqn. S'attacher quelqu'un par un sentiment amoureux. La jouvencelle Qui fixerait mon cœur (Apoll., Casanova,1918, II, p. 992). b) [L'obj. désigne un inanimé]
α) Stabiliser. Fixer sa conduite, l'opinion; fixer une image, une perception, une sensation; fixer dans une forme. Puis, agrandissant encore son projet, Saccard en arriva à se demander pourquoi il n'épouserait pas la princesse d'Orviedo. Cela fixerait les positions, empêcherait les interprétations mauvaises (Zola, Argent,1891, p. 56).Il ne saurait être question de fixer pour ces deux armées des fronts à ne pas dépasser (Foch, Mém.,t. 2, 1929, p. 214). − Fixer une langue. Stabiliser sa morphologie, limiter le nombre et la nature des constructions; dans le domaine du lexique, stabiliser les sens des mots, régler strictement le développement des néologismes et les emprunts. Il est important de fixer la langue dans les sciences, surtout dans la métaphysique (Joubert, Pensées,t. 2, 1824, p. 47).La langue française n'est point fixée et ne se fixera point. Une langue ne se fixe pas (Hugo, Cromw.,1827, p. 3).Ces hommes de génie, qui, par le poids de leurs œuvres, auraient pu fixer la langue, et, en quelque sorte, jeter l'ancre de notre littérature (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 108). ♦ Emploi pronom. à valeur passive. C'est en vain que nos Josués littéraires crient à la langue de s'arrêter; les langues ni le soleil ne s'arrêtent plus. Le jour où elles se fixent, c'est qu'elles meurent (Hugo, Cromw.,1827p. 36). − Fixer une vie. La stabiliser dans une orientation, une occupation donnée. M. Le Hir fixa ma vie; j'étais philologue d'instinct. Je trouvai en lui l'homme le plus capable de développer cette attitude (Renan, Souv. enf.,1883, p. 288). − Fixer sa vie. Opter pour le mariage ou le célibat. Mais comment concilier ce projet avec celui de fixer ma vie ou par l'indépendance ou par le mariage? (Constant, Journaux,1804, p. 95): 3. ... mais tu sais l'ordre à suivre : t'établir ou fixer ta vie, c'est le premier point. Fixer ta pensée et ton travail, n'est que le second. Et où en es-tu pour ton mariage? À quoi t'a servi, quant à cet article, ton séjour sur les hauteurs? Quelqu'un t'a fait voir une personne et décrit une autre figure, qui pourraient entrer en ligne.
Amiel, Journal,1866, p. 228.
β) Emploi pronom. Quand l'âge en fut venu, cette mélancolie qui ignorait ses motifs se fixa dans un amour. Elle s'attacha très sincèrement à un jeune homme (Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 54). − à valeur passive. Les relations sociales peuvent se fixer sans prendre pour cela une forme juridique (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 29). C.− 1. [L'obj. désigne une pers.] Fixer qqn (sur qqc.).Sortir quelqu'un de l'indécision, de l'ignorance, et partant, le renseigner, lui fournir des éléments de connaissance. Synon. éclairer, renseigner, donner une certitude à.Les récits d'Albertine ne pouvaient nullement me fixer là-dessus, car ils étaient chaque jour aussi opposés que les couleurs d'une toupie presque arrêtée (Proust, Prisonn.,1922, p. 99). 2. [L'obj. désigne une chose] a) [L'obj. est un subst.] Définir, déterminer. Fixer des attributions, un but, des conditions, une date, la date de qqc., un prix. − Fixer qqc. à + subst. désignant ce qui a été déterminé.Fixer un armistice à certaines conditions; fixer le départ à jeudi; fixer un achat à tel prix. − Emploi pronom. réfl. indir. Sous cette tradition austère, si bien revêtue de douceur, le devoir se présentait avec une saveur exquise. Je me plaisais à me fixer gravement de petites tâches secrètes que je m'évertuais à mener à bien (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 102). b) [L'obj. est une prop.] Fixer que + ind. (ou conditionnel).Décider que. Il a été fixé que. On se séparait donc à Compiègne vers 17 heures, en fixant que cette réunion aurait lieu le lendemain (Foch, Mém.,t. 2, 1929, p. 19): 4. ... proposition de loi fixant qu'à chaque fois qu'il y aura des souscriptions versées et des crédits votés à la suite de désastres publics, il en sera publié une comptabilité régulière.
Barrès, Cahiers,t. 8, 1910, p. 140. REM. 1. Fixable, adj.Qui peut être fixé. Une photographie instantanée est fausse et contre nature en fixant une chose par nature non fixable (Claudel, Corresp.[avec Gide], 1910, p. 152). 2. Composés dont fixe est le 1erélément, notamment a) Fixe-chaussette, subst. masc. synon. usuel de support-chaussette.Les fixe-chaussettes n'étaient plus très neufs, mauves. Ils n'allaient pas avec la cravate choisie (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 326). b) Fixe moustaches, subst. masc.Il a un fixe moustaches qui le défigure et que je ne connaissais pas (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 185). Prononc. et Orth. : [fikse], (il) fixe [fiks]. Ds Ac. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1371-75 étoiles fixees « étoiles fixes » (Raoul de Presles, Cité de Dieu, VII, Exp. sur le chap. 15, édit. 1531 ds R. Hist. litt. Fr. t. 12, p. 703); b) xves. fixer les yeux (Oct. de Sainct-Gelays, Eneide, 63 ro, édit. 1540, ibid.); d'où 1760 fixer qqn. « regarder fixement » (J.-J. Rousseau, Nouvelle Heloïse, II, 21 cité ds Annales J.-J. Rousseau, t. 3, p. 52), condamné par Voltaire dans son Dict. philos., s.v. Langue française (cité ibid.); 2. 1672 « déterminer quelque chose » (Racine, Bajazet, I, 2 : le combat doit, dit-on, fixer nos destinées). Dénominatif de fixe*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 5 129. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 7 978, b) 5 484; xxes. : a) 6 283, b) 8 291. Bbg. Gohin 1903, p. 336. − Quem. DDL t. 5; 13 (s.v. fixable). − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, p. 424. − Roques (G.). La Lexicogr. et l'alchim. R. Ling. rom. 1974, t. 38, p. 455 (s.v. fixable). |