| FIERTÉ, subst. fém. I.− Vieux A.− Rare. [À propos d'un animal] Caractère d'un animal fier, difficilement apprivoisable. Synon. sauvagerie.Quant à l'aigle [décrit par Buffon], il est manqué : il n'est dessiné ni avec une vigueur assez mâle, ni avec une assez sauvage fierté (Chênedollé, Journal,1822, p. 114). − En partic., MAN. Qualité d'un cheval qui réagit promptement aux sollicitations. Léonide ne se lassait pas d'admirer la fougue obéissante, la fierté docile des chevaux, la légèreté de la calèche (Gozlan, Notaire,1836, p. 108). B.− P. anal. [À propos d'une pers.] Caractère rude et impitoyable. Synon. barbarie, cruauté, férocité.Leur douleur [des Océanides], en un chant d'une fierté sauvage, S'exhale avec des cris de haine (Banville, Exilés,1874, p. 10).Les Pingouins ont perdu cette fierté cruelle et sanguinaire qui donnait autrefois à leurs révolutions une grandeur tragique (France, Île ping.,1908, p. 323). II.− Usuel. [À propos d'une pers.] A.− Laudatif 1. Souci de sa dignité, respect de soi-même. Fierté de l'âme, du caractère. Synon. amour-propre, dignité, noblesse.Madame [la mère de Napoléon] avait un grand caractère, de la force d'âme, beaucoup d'élévation et de fierté (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 75).Je l'avais cependant peinte [une amie, Blanche Passy] avec la fierté, la noblesse, l'indépendance de son caractère (Goncourt, Journal,1896, p. 954).Les forces de la vie qui font déchoir, qui attaquent la noblesse d'un être, sa fierté (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 35): 1. La liaison avait duré quelque temps et, par noblesse de cœur, par fierté, pour ne pas être une prostituée, bien qu'il la secourût à peine, elle s'était efforcée consciencieusement d'aimer ce garçon dont elle sentait si bien l'égoïsme et la prétentieuse médiocrité.
Bloy, Femme pauvre,1897, p. 35. − P. méton., au plur. Actes manifestant un tel souci. Ses familiarités étaient capricieusement démenties par les fiertés que lui inspiraient ses scrupules (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 59).Elle (...) s'offre à lui, avec un oubli absolu de toutes les fiertés, de toutes les réserves d'une honnête femme (A. Daudet, Crit. dram.,1897, p. 56). 2. Satisfaction d'amour-propre fondée. Synon. contentement, orgueil.Son fils Ollivier, dont elle parlait avec fierté, était élève à l'école de marine (Zola, Nana,1880, p. 1174).Les sept esclaves de Bacchis, toutes de haute taille et admirablement stylées, étaient pour elle un tel sujet de fierté qu'elle ne sortait pas sans les avoir à sa suite (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 126).Le vieux Claude − l'ancien cocher − et le vieux Constant, me regardaient avec fierté (Gyp, Souv. pte fille,1927, p. 86). − Fierté de. [Suivi d'un subst. ou d'un inf.] Cette fierté d'être libre, elle [Venise] la conserva toujours (Barrès, Homme libre,1889, p. 185).Il jouissait de sa force et de son adolescence. Il avait la fierté d'être un homme. Il souriait à son bonheur (Rolland, J.-Chr.,Adolesc., 1905, p. 328).J'ai senti quelque fierté de l'amitié de cet homme auprès de qui les autres ressemblent à des domestiques (Bloy, Journal,1906, p. 293): 2. Dans ses rares heures de contentement, il avait la fierté de ces quelques études, les seules dont il fût satisfait, celles qui annonçaient un grand peintre, doué admirablement, entravé par des impuissances soudaines et inexpliquées.
Zola,
Œuvre,1886, p. 44. ♦ En partic. Fierté de soi(-même). J'ai une certaine fierté de moi : depuis quelque temps, il s'est développé en moi un sens divinatoire (Goncourt, Journal,1885, p. 412).Plus on rencontre de difficultés dans la vie, plus on a en soi de fierté et de contentement de soi-même (T. Bernard, M. Codomat,1907, p. 187).Cet orgueil, cette fierté de soi-même, cette conscience de sa dignité d'homme (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 93). − P. méton. Objet de fierté. J'avais de lui [Jalicourt, un professeur d'université] cinq lettres; ma fierté, un trésor; cinq lettres, dont trois, même quatre, sont je le crois encore aujourd'hui, admirables (Martin du G., Thib.,Sorell., 1928, p. 1232).La seule fierté de notre boutique, c'était le guéridon du milieu, un Louis XV, le seul vraiment qu'on était sûr (Céline, Mort à crédit,1936, p. 98). − Loc. Mettre sa fierté à + inf. Mettre son point d'honneur à (faire quelque chose), s'enorgueillir de (faire quelque chose). Il met plutôt sa fierté à proclamer que son génie doit tout à la nature, et qu'il la sert (Rolland, Beeth.,t. 1, 1937, p. 21). 3. P. ext., B.-A. Qualité d'un artiste (p. méton., d'une œuvre) qui manifeste par sa hardiesse ou son ampleur une grande vigueur créatrice. Fierté de composition, de touche. Arrivés à ce point [avoir un style rigoureux], ce que les artistes perdent en vérité littérale, ils le regagnent bien en indépendance et en fierté (Delacroix, Journal,1850, p. 333).Une portière soulevée par Bramante dans la Sixtine lui suffit [à Raphaël] pour ajouter à sa grâce naturelle la fierté et la vigueur de Michel-Ange (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 30). − Spéc., ARCHIT. Force et solidité dans la construction d'un édifice. La fierté, l'ostentation de force de la construction toscane ne pouvaient plaire chez nous [au XVIIesiècle] (Hourticq, Hist. art,Fr., 1914, p. 182). B.− Péj. Défaut d'une personne qui affiche une supériorité illusoire, qui affecte des airs hautains et méprisants. Synon. arrogance, dédain.Malhabile à se faire aimer, ou plutôt ne le cherchant guère, par misanthropie, dédain, fierté (Gide, Journal,1927, p. 850).Les deux jeunes dames, un peu raidies, se tenaient à l'écart, non par fierté, comme le croyait Joséfa, mais parce qu'elles hésitaient sur l'attitude à prendre (Mauriac, Myst. Frontenac,1933, p. 254): 3. D'abord, il avait éprouvé quelque gêne, car il sentait bien qu'elle était au-dessus de lui, presque une dame, tandis qu'il n'avait jamais été qu'un paysan et qu'un soldat. À peine savait-il lire et écrire. Puis, il s'était rassuré un peu, en voyant qu'elle le traitait sans fierté, comme son égal, ce qui l'avait enhardi à se montrer ce qu'il était, intelligent à sa manière, à force de tranquille raison.
Zola, Débâcle,1892, p. 491. Prononc. et Orth. : [fjε
ʀte]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. Fin xies. fiertet « hardiesse, courage, intrépidité » (Roland, éd. J. Bédier, 2152); 2. ca 1165 fierté « caractère de celui qui se croit supérieur aux autres » (B. de Sainte-Maure, Troie, éd. L. Constans, 5114); 3. 1651 « sentiment élevé de la dignité, de l'honneur » (Corneille, Imitation de Jésus-Christ, 1224 ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 8, p. 318). Dér. de fier* d'apr. le lat. class. feritas, -atis « mœurs sauvages, barbarie, cruauté ». Fréq. abs. littér. : 1 758. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 426, b) 2 627; xxes. : a) 2 077, b) 2 748. Bbg. Burgess (G.-S.). Orgueil and fierté in twelfth-century French. Z. rom. Philol. 1973, t. 89, pp. 103-122. − Venck. 1975, pp. 212-222. |