| FAUVE, adj. et subst. masc. I.− Emploi adj. Qui est d'une couleur ocre orangé, feu ou brun rougeâtre. Blond, or fauve; crinière, pelage, toison fauve; prunelles, regard fauve(s); cuir, lueur fauve. Une énorme montagne couleur d'ocre, fauve comme une peau de lion, pulvérulente de lumière, mordorée par le soleil (Gautier, Tra los montes,1843, p. 197).Ton fauve des briques (...) palais, couleur de rouille comme une vieille armure (Flaub., Éduc. sent.,t. 2, 1869, p. 151).Sur sa peau des reflets fauves, des teintes exotiques de cuivre rose (Loti, Mariage,1882, p. 132): 1. ... il s'en [d'un béret] échappait une folle chevelure d'un blond rouge, doré à la lumière, ardente au contour des boucles. La noble dame avait le teint éclatant par lequel une femme rachète les prétendus inconvénients de cette fauve couleur. Ses yeux gris étincelaient...
Balzac, Illus. perdues,1843, p. 56. − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. Ocre orangé, brun rougeâtre. Le fauve sombre ou clair des fourrures ressemblait à des bordures de cadre en bois doré ou en bois noir (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 315).Yeux qui, sous leurs épais sourcils blonds, retenaient, de la lumière, un rayonnement roux (...) magnifiques rouleaux de ses cheveux d'un fauve ardent (Goncourt, MmeGervaisais,1869, p. 155). II.− En partic. [En parlant d'animaux] (Bête) fauve. A.− VÉN., vx, emploi adj., gén. au plur. Bêtes sauvages de pelage fauve (cerfs, daims, etc.), par opposition aux bêtes noires* et aux bêtes rousses*. Six chiens rapides qui pressent également les chevreuils, les cerfs et toutes les bêtes fauves (Chateaubr., Natchez,1826, p. 247).La chasse à l'oiseau est une chasse élégante (...) la chasse aux bêtes fauves ou rousses est une entreprise un peu plus rude (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 34). − Emploi subst. masc. plur., rare : 2. J'aime les bois...
Où les cerfs tachetés suivent les biches blanches
Et se dressent dans l'ombre effrayés par les branches;
Car les fauves sont pleins d'une telle vapeur
Que le frais tremblement des feuilles leur fait peur.
Hugo, Art d'être gd-père,1877, p. 27. B.− Usuel, emploi adj. Bête féroce, de pelage fauve et souvent de grande taille (félin généralement). Il n'en éprouva pas moins une terrible émotion en sentant la chaude haleine de la bête fauve [l'ours] qui s'acharnait d'abord sur le cheval et allait ensuite l'étouffer dans ses larges pattes ou le broyer à coups de griffes (Ponson du Terr., Rocambole,t. 5, 1859, p. 463). − Emploi subst. masc. Les grands fauves. Un lion! c'est-à-dire la bête héroïque et féroce par excellence, le roi des fauves (A. Daudet, Tartarin de T.,1872, p. 30).Dans le jardin zoologique un seul fauve, une tigresse en furie, qui mordait ses barreaux (Giraudoux, Simon,1926, p. 45): 3. ... les chasseurs purent constater le passage récent d'animaux de grande taille, armés de griffes puissantes (...) il était probable que la forêt renfermait quelques fauves dangereux. (...) Gédéon Spilett et Harbert aperçurent un jour un animal qui ressemblait à un jaguar. Ce fauve, heureusement, ne les attaqua pas, car ils ne s'en seraient peut-être pas tirés sans quelque grave blessure. (...) Gédéon Spilett se promettait bien de faire aux bêtes féroces une guerre acharnée...
Verne, Île myst.,1874, p. 117. − P. compar. ou p. anal. [À propos d'une pers.] (Tourner comme) une bête fauve/un fauve en cage. Ma pensée tourne en moi comme une bête fauve en cage. Il faut cependant en finir avec ces énervements (Du Camp, Mém. suic.,1853, p. 204). C.− P. ext. ou p. ell. Odeur/... (de) fauve. Odeur assez forte, caractéristique des bêtes fauves ou analogue à celle des bêtes fauves. L'odeur âcre et fauve de la bête (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Fou? 1882, p. 788).Il dégage je ne sais quoi de puissant... et aussi une odeur de mâle... un fumet de fauve, pénétrant et chaud... qui ne m'est pas désagréable (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 31).Une peau de renard efflanquée, qui vous lançait en plein visage sa puanteur violente et fauve (Genevoix, Raboliot,1925, p. 121).Son odeur fauve et délicate [d'une femme], à la fois propre et sauvage, rayonnait... dans la chambre aux rideaux tirés (Arnoux, Roi,1956, p. 7). ♦ Sentir le fauve. Répandre l'odeur caractéristique des bêtes fauves ou une odeur analogue. Cela sent furieusement la ménagerie (...) c'est le gîte de la panthère, et effectivement cela sent le fauve à plein nez (Gide, Voy. Congo,1927, p. 846).Fam. Sentir mauvais. Synon. pop. cocoter. D.− P. métaph. ou au fig. 1. [En parlant d'une pers., de son apparence extérieure, de son comportement, etc.] Emploi adj. Qui a l'avidité, la violence, la férocité d'une bête fauve. L'animal chagrin, féroce et avide, qui se cache sous le cilice du moine, se réveillait avec son instinct carnassier et son fauve appétit de plaisir (Sand, Lélia,1833, p. 312).Une femme, vraie lionne en colère. Rien de plus fauve, de plus rauque, de plus terrible. Mâchoire effrayante, flamme des yeux, gestes formidables, et toujours la même exaspération (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p. 45): 4. Son corps de Grecque (...)
Toujours affamé de plaisir,
Et qui, reptile humain, se tordait dans l'alcôve,
Bouillant d'une hystérie irrésistible et fauve
Pour éterniser mon désir (...)
Tous ces mille rayons d'une chair si féline
Embrasent ma chair froide...
Rollinat, Névroses,1883, p. 98. − Emploi subst. masc. Homme qui évoque un fauve par son aspect physique puissant, sa souplesse féline, sa forte personnalité, etc.; avec une valeur péj. homme brutal, acharné, cruel. Des fauves libres dans leur taillis, voilà ce prolétariat de bacheliers. Ils en ont le regard, l'odeur immonde, peut-être les cruautés, les lâchetés, et certainement l'endurance (Barrès, Déracinés,1897, p. 161).Le vieux poète [William Honley] m'imposa par cet air de visage assez formidable qui avait frappé Mallarmé. Mais, dès les premiers mots, ce fauve à tête forte et vraiment léonine, ornée d'une crinière épaisse et d'une barbe de poil roux et blanc, me mit à l'aise (Valéry, Regards sur monde act.,1931, p. 100).Un homme était debout (...) une sorte de monstre au visage énorme, grêlé. Et, soudain, le fauve s'inclinait (...) Mirabeau! tel était donc l'affreux sauvage avec lequel il allait falloir parlementer (Duhamel, Suzanne,1941, p. 8): 5. Pareillement, la Révolution française libéra la puissance cosmique qui dormait dans l'individu. Elle refit de chaque homme un fauve, de la société une jungle. Elle lâcha le fauve dans la jungle pour y satisfaire bien autre chose que sa faim ou ses besoins élémentaires. Elle le lança dans la jungle pour y faire l'essai intégral de sa puissance.
Bloch, Dest. S.,1931, p. 260. ♦ Arg. scol., au plur. Élèves (plus ou moins difficiles à affronter). On suppose qu'une fois agrégé, il [l'agrégatif] se débrouillera face aux fauves (Le Nouvel Observateur,29 juill. 1968, p. 9, col. 4). ♦ Arg. (notamment de Polytechnique). Examinateur. Les membres de cette commission [la commission des examens de fin d'année, dite la ménagerie], officiers et professeurs civils, tous étrangers à l'École, étaient les fauves (Coindreau, Arg. Baille,1957, p. 181). Rem. Fauve s'emploie parfois comme subst. fém. au sens de « femme passionnée, emportée, âpre, etc. ». Comme une soirée passée au Vaudeville... avait amené la causerie sur la méchanceté des femmes, Bobo se révéla singulièrement expert en l'art de dompter les belles fauves (Courteline, Vie mén., Mégère appr., 1890, p. 192). Mais je restais consternée d'avoir entrevu, dans un regard, une fauve femelle, toute noire de suspicion, d'inimitié, de passion possessive (Colette, Képi, 1943, p. 60). 2. [En parlant d'un inanimé] Emploi adj. Qui évoque des idées d'animalité, de violence, etc. Synon. frénétique.Sonnets où on ne parlait que de siècles fauves, d'obscures épouvantes et de farouches nostalgies (Theuriet, Mariage Gérard,1875, p. 18).La seule campagne où nous puissions supporter de vivre a été notre confidente, notre complice (...). Nous nous souvenons de son ardeur, et de ce brasier, dans l'août fauve, quand notre jeunesse était elle-même consumée de douleur et de désir (Mauriac, Journal 1,1934, p. 21). Rem. Dans ce dernier emploi notamment, fauve tend à perdre son sens précis pour devenir un simple intensif, un terme fort permettant d'exprimer avec pittoresque la sauvagerie, l'impétuosité, la rudesse, etc. III.− HIST. DE LA PEINT. Peintre fauve ou, p. ell., fauve (subst. masc.). Peintre indépendant du début du xxesiècle, caractérisé généralement par son opposition à l'académisme et à l'impressionnisme, par son goût des couleurs pures, violemment contrastées (notamment le jaune et le rouge), des lignes stylisées, d'une composition personnelle, exprimant vigoureusement des sensations intenses, une vision brute et subjective du réel (paysages ou scènes de la vie moderne). Pour certains « fauves » le contraste arbitraire des plans colorés devait abolir tout dessin, déclaré conventionnel (Mauclair, Maîtres impression.,1923, p. 232).Surprenantes carrières de Vincent Van Gogh et de Seurat, chez qui l'on pourrait discerner les principes de tout ce qui allait suivre, jusqu'au lyrisme des « fauves » et à la géométrie des cubistes (Gillet, Art fr.,1938, p. 131).Cf. aussi fauvisme ex. 1 : 6. À part ces deux exceptions [Marquet, Puy] qui prouvent que le fauvisme est simplement la couleur exaspérée comme l'impressionnisme fut la peinture claire, il n'y eut que des « fauves coloristes ». Du jour où ils devinrent « pathétiques » (...) ou simplement peintres sensibles trouvant leur personnalité par des expériences successives, la dénomination de « fauves » n'était plus valable.
Arts et litt.,1936, p. 1808. − P. ext. Mouvement, période, etc., fauve. Qui caractérise, concerne un peintre fauve, les fauves : 7. Plaçons-nous donc devant un tableau fauve, de préférence un de ceux que ces artistes ont multipliés de 1905 à 1907. Ce qui nous frappe d'abord à son spectacle, c'est le chromatisme. Éclatant, hurlant même, il ne parvient à cette intensité que parce que le peintre s'est servi uniquement de tons purs, qu'il n'a ni mélangés ni rompus, et qui, unifiés sur leur note la plus haute, sont exaspérés par le contraste établi entre chacun d'eux. Apparente, laissée soigneusement en évidence, la touche concourt encore à hausser la couleur et parvient à une expressivité brutale. Simple, le dessin est à la fois suggestion et arabesque. La perspective, le modelé, le clair-obscur s'abolissent. Pas de nuances ni de passages. Un art simple et qui atteint d'autant mieux l'effet recherché qu'il est plus franc, plus concis...
Dorival, Peintres XXes.,1957, p. 56. REM. 1) Fauvement, adv.a) Avec une teinte fauve. Sur un fond brun rouge, sa tête délicate, nubienne, et à travers le pétrissage de cette grasse matière, colorée fauvement, seulement le brillant de l'or d'un nimbe (Goncourt, Journal,1894, p. 590).b) Au fig. Avec violence, etc. Fauvement, il [Marchenoir] se jeta à son fils (Bloy, Désesp.,1886, p. 64). 2) Fauverie, subst. fém.a) ,,Caractère de ce qui a la couleur fauve : La cruche suspendue dans les fauveries du soir... (Saint-John-Perse)`` (Lar. Lang. fr.). b) (Endroit d'une) ménagerie réservé(e) aux fauves; p. métaph. endroit qui évoque une ménagerie de fauves. Le nez des malades plus curieux, s'écrasait contre le vitrage de la salle de jeux. « Qu'ont-ils, ces types-là? » songeait Arthur, plus gêné que l'amateur descendu dans la fosse aux lions. Il reniflait l'odeur de cette fauverie : un filet d'éther y assaisonnait des relents d'urine, de tabac froid et de bouillon maigre (H. Bazin, Tête contre murs,1949, p. 74). Prononc. et Orth. : [fo:v]. Enq. : /fov, D/. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. I. Adj. 1. ca 1100 falve « d'un jaune tirant sur le roux » (Roland, éd. J. Bédier, 1495); 2. a) 1561 bestes fauves « animaux sauvages au pelage fauve » (J. du Fouilloux, Vénerie, éd. G. Tilander, chap. 37, 38); b) 1790 « animaux sauvages (en gén.) » (Marat, Pamphlets, C'est un beau rêve, p. 229); c) 1832 « animaux féroces » (Hugo, N.-D. Paris, p. 343); 3. 1852 odeur fauve (Gautier, Italia, p. 258). II. Subst. 1. 1176 « cheval fauve » (Chr. de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 4717), emploi isolé; 2. a) av. 1573 vén., collectif « bêtes fauves » (E. Jodelle,
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 2, p. 401); b) 1791 « animal sauvage (en gén.) » (Volney, Ruines, p. 11); c) 1859 « animal féroce » (Hugo, Légende, t. 2, p. 834); 3. 1905 B.-A. (L. Vauxcelles ds Gil Blas, 17 oct.). Du germ. occidental *falwa- « d'un jaune tirant sur le roux », cf. a. h. all. falo (Graff t. 3, col. 468; Schützeichel2), m. h. all. val « id. » (Lexer), all. falb. Le terme a prob. été introduit en b. lat., comme d'autres noms de couleurs, par les soldats germaniques, v. blanc, bleu, blond, gris; cf. aux viiie-ixes. la glose fulbus : falbus [var. dans des mss du ixes. fulvus : falvus] (CGL t. 4, p. 345, 23). Fréq. abs. littér. : 1 161. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 802, b) 3 413; xxes. : a) 1 816, b) 1 331. Bbg. Brüch 1913, p. 134. − Mat. Louis-Philippe. 1951, p. 206. − Quem. DDL t. 9. − Walt. 1885, p. 95. |