| FATIGUER, verbe. I.− Emploi trans. A.− Dans le domaine physiol. 1. [En parlant de l'homme] a) [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Provoquer une diminution des forces de l'organisme, généralement par une activité excessive ou trop prolongée. Fatiguer un malade. La chaleur nous fatigue beaucoup (Lamart., Voy. Orient,t. 1, 1835, p. 382).Des courses en ville m'avaient fatigué et je suis tombé sur mon lit où j'ai essayé de lire (Green, Journal,1945, p. 258): 1. ... je ne vous conseillerais pas de monter nos quatre-vingt-dix-sept marches, juste la moitié du célèbre dôme de Milan. Il y a de quoi fatiguer une personne bien portante, d'autant plus qu'on monte plié en deux si on ne veut pas se casser la tête...
Proust, Swann,1913, p. 105. ♦ P. métaph. Le vent, sans repos, fatigue la mer, fatigue la côte nue, rongée par lui, à peine vêtue d'herbe (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Vendetta, 1883, p. 117). − Fam. [Forme impers. + de + inf.] Celui-là ne passait jamais au soleil parce que ça le fatiguait de traîner son ombre (Pagnol, Marius,1931, I, 3, p. 30). − [Emploi fréq. au part. passé exprimant un état] Corps fatigué. Je suis fatigué à la mort (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 386). ♦ [suivi d'un compl. désignant la cause introduit par une prép.] [+ par] Il souffla un instant, fatigué par la montée du large perron (Zola, Nana,1880, p. 1282).[+ à] Fatiguée au moindre effort, Mme de Guermantes disait énormément de bêtises (Proust, Temps retr.,1922, p. 1005).[+ de + subst. ou verbe à l'inf.] Il se sentait fatigué d'avoir tant marché avec moi (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 571). b) [Le compl. d'obj. dir. désigne une partie de l'organisme] Affecter (un organe) de manière pénible au point d'en empêcher le fonctionnement normal. J'ai cruellement toussé cette nuit, ce qui m'a fatigué la poitrine, les yeux et la tête du même coup (Amiel, Journal,1866, p. 59).Mon édition de Shakespeare est en trop petits caractères et me fatiguait les yeux (Gide, Journal,1914, p. 423). − [Au part. passé exprimant un état] J'ai le cœur fatigué depuis quelques jours (Gide, Journal,1914p. 450).L'air vif pénétrait leurs poumons fatigués (Gracq, Argol,1938, p. 92). ♦ [Suivi d'un compl. désignant la cause introduit par une prép.] [+ par] L'estomac encore tout fatigué par le plantureux déjeuner que les Cattan m'avaient offert (Gide, Journal,1914p. 169).[+ de + subst. ou verbe à l'inf.] J'ai les yeux fatigués de tant chercher (Saint-Exup., Courr. Sud,1928, p. 75). c) [En parlant d'un attribut de la pers. emploi fréquent au part. passé exprimant un état] Qui manifeste la fatigue d'une personne. − [En parlant d'un comportement humain] Il faut bien en finir, dit Vallagnosc, avec un mouvement fatigué des paupières (Zola, Bonh. dames,1883, p. 453).Jacques errait à travers la chambre, d'un pas fatigué (Martin du G., Thib.,Sorell., 1928, p. 1245). ♦ P. méton. Ce n'est pas pour vous, mon cher Lefebvre, que ma plume est fatiguée (Lamart., Corresp.,1834, p. 25). − [En parlant d'une partie du corps] Air fatigué; traits, yeux fatigués; figure, voix fatiguée. Je vous trouve le visage fatigué (Arland, Ordre,1929, p. 195). ♦ P. anal. [En parlant d'une plante] Qui montre des signes d'épuisement. [Les anémones] laissaient se courber leurs tiges fatiguées (Maurois, Ariel,1923, p. 19). d) Emploi pronom.
α) [Le suj. désigne une pers.] − Se donner de la fatigue. Tu te fatigues toutes les fois que tu sors (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Soirée, 1883, p. 585).Très vite, les prisonniers se fatiguaient, épuisés par leur jeûne (Zola, Débâcle,1892, p. 469).Le malade fait signe qu'il se fatigue (Martin du G., J. Barois,1913, p. 256). ♦ [Suivi d'un compl. désignant la cause ou la finalité] [+ à + verbe à l'inf. ou + subst.] Dis à mon bon père qu'il ne se fatigue pas trop aux travaux de tête (Hugo, Corresp.,1825, p. 410).Ne te fatigue donc pas à parler (Proust, Guermantes 1,1920, p. 312).[+ en (qqc.)] Il préférait sortir, se fatiguer en promenades lointaines (Zola, Germinal,1885, p. 1351).[+ par] L'âme se fatigue par trop de contemplation (Staël, Allemagne,t. 2, 1810, p. 150).[+ pour] Comme tout chasseur qui s'est fatigué pour rien (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 380). ♦ Loc. fam., p. iron. Ne pas se fatiguer. Ne rien faire. − Pronom. réfl. indir. Provoquer la fatigue (d'un de ses organes, d'une de ses facultés). Ça permettait de manger douze heures à la file, sans se fatiguer l'estomac (Zola, Assommoir,1877, p. 567).Ils parlèrent (...) de toutes les choses courantes sur lesquelles on peut discourir indéfiniment sans se fatiguer l'esprit (Maupass., Bel-Ami,1885, p. 33).Vous allez encore vous fatiguer les yeux (Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 95).
β) [Le suj. désigne une partie du corps] Devenir fatigué. Décidément, disait-il, ma pauvre tête se fatigue (Balzac, Lys,1836, p. 75). − [Suivi d'un compl. désignant la cause, introduit par une prép.] C'était l'heure où les yeux se fatiguent à vouloir discerner les contours (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 982).Si loin et si droit fuyait la ligne du fossé que la vue se fatiguait à la suivre (Green, Journal,1941, p. 68). − P. anal. [En parlant d'une plante] Toute tête qui n'est point rafraîchie à temps par la taille se fatigue (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 1). 2. [En parlant d'un animal] Imposer un effort pénible (à un animal) au point de le rendre incapable d'exécuter plus longtemps ce qui lui est demandé. Il est inutile de fatiguer les chevaux (Mille, Barnavaux,1908, p. 291). ♦ Spéc. Manœuvrer (un animal) de façon à diminuer sa résistance pour le maîtriser. Leurs passades propres à fatiguer et éberluer le taureau (Gide, Thésée,1946, p. 1423).[En partic. d'un poisson] Cf. Schreiner 1975. − [Au part. passé exprimant un état] Des laboureurs ramènent leurs bœufs fatigués à leur chaumière (Chateaubr., Natchez,1826, p. 311). ♦ P. anal. Le canon fatigué n'aboyait plus (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 245). ♦ [Suivi d'un compl. désignant la cause, introduit par une prép.] Les flancs du cheval fatigué d'une longue course (Lamart., Voy. Orient,t. 1, 1835, p. 71). B.− P. anal. et au fig. 1. [En parlant de l'homme] a) [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] − Décourager quelqu'un, lui enlever l'envie de poursuivre ce qu'il a commencé. Fatiguer le lecteur. J'y suis dans une position fausse et avec un rôle incertain, qui me fatigue et me rend malheureux (Maine de Biran, Journal,1816, p. 109).Le paysage monotone, qui fatigue le passager, est déjà autre pour l'équipage (Saint-Exup., Terre hommes,1939, p. 153): 2. Maintenant, il préférerait être serrurier. La serrurerie le fatigua. En deux années, il tenta plus de dix métiers. Florent pensait qu'il avait raison, qu'il ne faut pas se mettre dans un état à contre cœur.
Zola, Ventre Paris,1873, p. 642. ♦ [Au part. passé exprimant un état; avec un compl. désignant le moyen ou la cause, introduit par une prép. de + subst. ou verbe à l'inf.] Fatigué de ce plaisir usé, il rentra dans son hôtel de la rue de Lille (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Rencontre, 1884, p. 937).Je suis fatigué de lire des livres qui me parlent de notre monde absurbe et criminel (Green, Journal,1943, p. 17).Un homme prématurément fatigué de l'existence (Camus, Possédés,1959, 1repart., 4etabl., p. 983). − [Avec l'idée d'une diminution du pouvoir d'attention, d'écoute ou de compréhension de qqn] Importuner, lasser. ♦ [Suivi d'un compl. de moyen introduit par une prép. de, par] Comme un voyageur qui débarque au port, et que tous les courtiers d'hôtellerie fatiguent de leurs recommandations (Balzac, Cous. Pons,1847, p. 282).Il fatiguait le ministre par ses demandes continuelles de secours (Flaub., Éduc. sent.,t. 1, 1869, p. 25).Elle a déjà dit l'an passé que vous la fatiguiez de vos avances (Proust, Prisonn.,1922, p. 277). ♦ Au passif. Elle était aussi dégoûtée de lui qu'il était fatigué d'elle (Flaub., Mme Bovary,t. 2, 1857, p. 142).Je suis fatigué de vous, Soubrier, affreusement fatigué de vous (Montherl., Ville dont prince,1951, I, 1, p. 857). b) [Le compl. d'obj. dir. désigne une faculté psychique, une attitude, un comportement, etc.] Atténuer la vivacité (de quelque chose). Elles se blasent ainsi souvent d'elles-mêmes en fatiguant leurs désirs dans le vide (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 136).Pour fatiguer mon ennui, je me donnais à mes amis politiques (Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 169): 3. Ce mot-là, je devine qu'il va bientôt prendre la place de plusieurs images que j'aime. Aussitôt je m'arrête, je pense vite à autre chose; je ne veux pas fatiguer mes souvenirs. En vain, la prochaine fois que je les évoquerai, une bonne partie s'en sera figée.
Sartre, Nausée,1938, p. 52. − Au part. passé. Pour rafraîchir les images que ma mémoire fatiguée ne retrouvait plus (Proust, Swann,1913, p. 401).Dans ses gestes, il y avait un charme fatigué (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 244).Je voyais peu de monde, entretenais la survie pénible d'une ou deux liaisons fatiguées (Camus, Chute,1956, p. 1528). ♦ P. ext. [En parlant d'un comportement social] Le goût moderne fatigué vomit les bibelots (Mauriac, Journal,1934, p. 66). c) Emploi pronom. à valeur passive − Se décourager, ne plus avoir envie de poursuivre. Ma tendresse est inaltérable et ne se fatiguera jamais (Balzac, Lettres Étr.,t. 2, 1850, p. 78). ♦ [Avec un compl. de moyen introduit par une prép. de + subst. ou verbe à l'inf.] Le petit prince se fatigua de la monotonie du jeu (Saint-Exup., Pt Prince,1943, p. 445).On se fatigue de vivre toujours seul (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 450). − Être importuné (par quelqu'un), ne plus pouvoir le supporter. Ils finissent par se fatiguer l'un de l'autre et chacun se marie de son côté (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 314).Après s'être fatigué des inconnus qu'il rencontrait (Proust, Prisonn.,1922, p. 210). 2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] a) Dans le domaine phys.[Avec l'idée d'affecter le fonctionnement normal d'une chose] Diminuer la résistance (d'une chose), sa solidité, par une trop longue ou trop violente utilisation. Sur le pont d'un esquif, qu'a fatigué la lame (Lamart., Harmonies,1830, p. 328).Tel que t'es, t'as pas dû fatiguer les bancs du catéchisme (Bernanos, Crime,1935, p. 778): 4. Je retroussai mes manches, et je me mis à fatiguer à tour de bras une espèce de pompe qui sifflait, soufflait, râlait comme un poitrinaire pour lâcher un filet d'eau pareil à l'écoulement d'une fontaine Wallace.
Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Père Mongilet, 1885, p. 542. − [Au part. passé exprimant un état; en parlant d'un obj., d'un vêtement, etc., qui n'est plus ce qu'il devrait être] Qui est usagé, voire assez usé. Reliure fatiguée; volume, ressort fatigué. Dans la rouge cabine, meublée d'un divan fatigué (Huysmans, Art mod.,1883, p. 123).Tous ces gens rassemblés là, avec leurs soutanes fatiguées (Barrès, Colline insp.,1913, p. 139).La petite glace que Juliette sortait de son sac fatigué (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 61). ♦ [Avec un compl. désignant la cause, introduit par une prép.] Il s'est allongé dans un lit fatigué par les voyageurs de commerce (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 65).C'était de vieilles machines fatiguées par la guerre (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 217). − Emploi pronom. à valeur passive. Malgré qu'il se fatigue et commence à branler, Le monument sait faire encore une assemblée (Romains, Vie unan.,1908, p. 74). − P. ext. Diminuer l'importance (d'une chose), la réduire. Ma vie de garçon a fatigué mon patrimoine encore plus que moi (Augier, Beau mar.,1859, p. 137). ♦ Emploi pronom. Ils attendaient que la chaleur se fatiguât (Beauvoir, Mandarins,1954p. 224). b) Dans le domaine abstr.,emploi factitif. Rendre fatigant. Le rôle du romancier est de voir et de dire ce qu'il a vu. S'il veut « penser », qu'il le fasse ailleurs que dans un roman. Cette parade intellectuelle alourdit et fatigue le récit (Green, Journal,1946-50, p. 213). c) Spécialement − Vx. Fatiguer la terre. La retourner plusieurs fois. L'homme en la fatiguant fertilise la terre (Lamart., Chute,1838, p. 959). − Région. Fatiguer la salade. La remuer, la tourner après l'avoir assaisonnée. Je n'aurais qu'à mettre à réchauffer le potage et à fatiguer la salade (Arnoux, Double chance,1958, p. 37). − PEINT. Retoucher à plusieurs reprises jusqu'à affadir le contraste des tons. Un peintre peut fatiguer sa toile; un écrivain ne fatigue pas son manuscrit (Martin du G., Souv. autobiogr.,1942, p. cxv). II.− Emploi intrans. A.− Rare. [Le suj. désigne une pers. ou un de ses attributs] Se donner de la fatigue par une activité ou un travail excessif. Il fatigue trop (Ac.). Ma tête fatigue encore facilement (Nerval, Corresp.,1830-55, p. 254).On ne fatigue pas. On n'a pas besoin de manger beaucoup (Renard, Journal,1906, p. 1062).Quand on débarque à Paris, continuait Louise, les premiers temps, on fatigue (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 185). − P. anal. Le moteur fatigue dans la montée (Rob.). B.− [Le suj. désigne une chose concr.] Se déformer à la suite d'un effort trop grand. Cette poutre fatigue (Ac.) − MAR. [Le suj. désigne un bateau, sa mâture] Être fortement ébranlé par l'effet du vent ou de la mer déchaînée. Un bâtiment fatigue lorsque (...) ses liaisons sont fortement ébranlées et éprouvent des actions autres que celles qu'elles devraient supporter (Gruss1952). Rem. On rencontre ds la docum. fatiguoir, subst. masc., rare. Lieu où l'on se fatigue. Dites donc, Marcel, (...) on ne peut pas le visiter en votre absence, votre petit reposoir? − Mon petit fatiguoir? (Colette, Cl. ménage, 1902, p. 232). Prononc. et Orth. : [fatige], (je) fatigue [fatig]. Ds Ac. 1694-1932. Les verbes en -guer conservent gu dans toute la conjug., même devant a et o, contrairement à la règle gén. qui veut que [g] ne se traduise par gu que devant e, i, y : nous fatiguons, il fatiguait, en se fatiguant. Les adj. verbaux (parfois subst.) se distinguent ainsi des part. prés. correspondants. Ex. : Adj. (subst.) verbal : extravagant (un homme), fatigant (un travail), fringant (un air), intrigant (un conseiller, un), navigant (le personnel, un). Part. prés. : extravaguant, fatiguant, fringuant (vx verbe fringuer), intriguant, naviguant (cf. Gak, Orth. du fr., Paris, Selaf, 1976, p. 159). Étymol. et Hist. 1. Début xives. pronom. « épuiser ses forces par un effort long ou pénible » (Aimé de Montcassin, Hist. des Normands, éd. V. de Bartholomaeis, II, 7, p. 65); 2. av. 1660 « rebuter par l'ennui » (Scarr[on] ds Rich.). Empr. au lat. class. fatigare « épuiser; tourmenter ». Fréq. abs. littér. : 1 744. (fatiguant : 37). Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 227, b) 2 857; xxes. : a) 2 664, b) 2 386. Bbg. La Landelle (G. de). Le Lang. des marins, Paris, 1859, p. 271. |