| EXPIER, verbe trans. A.− [Le compl. désigne une action, un comportement considéré comme contraire au bien, à la morale] 1. [Le suj. désigne une pers.] a) [Le suj. est l'agent de l'action désignée par le compl. d'obj.] Réparer (une faute) en acceptant ou en subissant une peine imposée. Expier une faute, un forfait; faire expier ses fautes à qqn. Meurs comme on doit mourir quand on expie un crime! (Hugo, Ruy Blas,1838, 5, 1, p. 444).Quand elle le voyait torturé, expiant si durement son dédain de la femme, il lui semblait racheté de ses fautes (Zola, Bonh. dames,1883, p. 748): 1. La peine est (...) restée pour nous ce qu'elle était pour nos pères. C'est encore un acte de vengeance, puisque c'est une expiation. Ce que nous vengeons, ce que le criminel expie, c'est l'outrage fait à la morale.
Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 56. ♦ Emploi pronom. à sens passif. À leurs dépens, quelque jour, électeurs et élus apprendront que ces honteuses défaillances s'expient (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 353). − [Avec un compl. prép. indiquant la manière d'expier] ♦ [Avec par, dans ou sous + subst.] Cette jeune femme expiait de grandes fautes par une vie ascétique (Ponson du Terr., Rocambole,t. 2, 1859, p. 76).Quelque ville des légendes expiant sa passion sous une pluie de feu (Zola, Page amour,1878, p. 911).Un purgatoire où l'on expie quelque faute de service dans des années d'ennui interminable (Gracq, Syrtes,1951, p. 11).Emploi pronom. à valeur passive. La morale pratique peut se réduire à ce précepte : tout excès et tout vice physiques aboutissent à des maladies et s'expient par plus de souffrance qu'on n'a eu de plaisir : de même toute perversité, tout crime de l'esprit préparent à l'âme des maladies qui torturent sans tuer! (Péladan, Vice supr.,1884, p. 198). ♦ [Suivi d'un gérondif] Il résolut d'expier ses torts envers elle en travaillant à propager sa gloire (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 293). − Spéc. [Dans la relig. chrét.] Réparer, se purifier de (notamment par la pénitence). Expier ses péchés. Fautes que sans lui ils auraient à expier après leur mort (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 481).Il y a des pénitents de quatre ans, expiant, peut-on croire, une tartine de confiture dérobée (Montherl., Bestiaires,1926, p. 473). ♦ [Avec un compl. prép.] Elle expie dans d'austères pratiques les tendres péchés de sa jeunesse (Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr.,1828, p. 138). Rem. La docum. atteste le part. prés. en emploi adj. Je ne serais jamais plus expiant, plus contrit et plus acceptable aux pieds de Dieu (Id., Volupté, t. 2, 1834, p. 196). Les temps, depuis la première apparition du Messie, se divisent (...) en deux périodes, la période du sauveur victimal et expiant, (...) et l'autre (...), la période du Christ (...) flamboyant dans la suradorable splendeur de sa personne (Huysmans, Là-bas, t. 2, 1891, p. 197). ♦ Emploi pronom. à valeur passive. Le remords est, dit-on, l'enfer où tout s'expie (Chénier, Iambes,1794, p. 272). − Absol. Il s'est même, dit-on, repenti; mais il n'a pas encore expié (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 2, 1823, p. 309).Jésus, (...) pardonne-moi (...). Je suis né dans un siècle impie, et j'ai beaucoup à expier (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 371).Les juges punissaient, les accusés expiaient (Camus, Chute,1956, p. 1487). b) [Le suj. n'est pas l'agent de l'action désignée par le compl. d'obj.] Réparer la faute (de quelqu'un) en acceptant ou en subissant, à la place, la peine encourue. Cette innocente qui expiait volontairement le crime de l'égoïsme humain (Rolland, J.-Chr.,Amies, 1910, p. 1228).Un foyer désuni dont elle expiait la discorde (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 403): 2. On allait la prendre pour le bouc émissaire, lui faire expier la folie de tous, les crimes des autres affaires moins en vue, de ce pullulement d'entreprises louches, surchauffées de réclames, grandies comme des champignons monstrueux dans le terreau décomposé du règne.
Zola, Argent,1891, p. 338. 2. [Le suj. désigne la manière d'expier] Permettre de réparer (une faute); constituer la réparation d'une faute. Le martyre expie tout; le suicide n'expie rien; il aggrave (Renan, Drames philos.,Abbesse Jouarre, 1886, p. 655).Oublier la faute en faveur du remords qui l'expie (Courteline, Gend. sans pitié,1899, 3, p. 170). B.− P. ext. [Le compl. désigne une action, un comportement transgressant une norme] Subir le contre-coup fâcheux (d'un comportement). Expier une erreur, une imprudence. Une douleur nouvelle s'ouvrait dans son âme, comme pour expier de suite les plaisirs fugitifs de son imagination (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 18).Il me semblait que j'expiais le malheur d'avoir été, depuis l'enfance, exagérément couvé, servi (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 33). − [Avec un compl. prép.] Le malheureux gastronome était obligé de se jeter sur un canapé, où il restait jusqu'au lendemain à expier dans de longues angoisses le court plaisir qu'il avait goûté (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 224).Expiait-elle les triomphes d'une jeunesse insolente au-devant de laquelle s'étaient rués les plaisirs par une vieillesse que fuyaient les passants? (Balzac, Goriot,1835, p. 18). Rem. La docum. atteste a) Le verbe suivi de la prép. de + inf. Je répétais toujours, comme s'il me fallait expier d'être heureux (sentiment tout aussi païen que chrétien) : Que je meure! que je meure! (Montherl., Pte Inf. Castille, 1929, p. 638). b) Expiable, adj. Qui peut être expié. Anton. inexpiable. J'ai paru haïr d'une expiable haine tout ce que tu professais (Mauriac, op. cit., p. 164). Prononc. et Orth. : [εksp(i)je], (j')expie [εkspi]. Cf. é-1. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1272 expier « réparer (une faute, un crime) » (Baude Fastoul, Congés, 418, éd. P. Ruelle, p. 118 [ici, emploi abs.]); 2. ca 1355 « purifier » (P. Bersuire, Tite-Live, BN 20312 ter, fo2 vods Littré). Empr. au lat. class. et chrét. expiare « purifier; réparer (une faute) ». Fréq. abs. littér. : 537. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 204, b) 776; xxes. : a) 706, b) 411. Bbg. Gir. 1834, p. 44. − Léon-Dufour (X.). Réflexions autour du mot expiation. Foi Lang. 1976, no1, p. 10. |