| EXISTER, verbe intrans. A.− Posséder une réalité. Synon. être au sens fort. 1. PHILOS. Surgir du néant ou avoir une cause (par exemple Dieu) : 1. Parfois on fait signifier au mot exister la même chose qu'au mot être, et parfois au mot être la même chose qu'au mot exister. Le mot exister signifie par lui-même qu'une chose a une consistance à partir de, c'est-à-dire à partir d'autre chose. Il s'agira de savoir à partir de quoi ce qui existe a son existence : à partir du néant, comme le pense Heidegger, à partir de causes, comme le pensaient les scolastiques.
J. Wahl, Traité de métaphysique,Paris, Payot, 1968, pp. 547-548. − En partic., PHÉNOMÉNOLOGIE et EXISTENTIALISME. Être, sur le mode de la conscience individuelle et particulière, libre et situé dans le monde : 2. ... l'homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie.
Sartre, Existent.,1946, p. 55. ♦ Rare, constr. trans. Exister qqc.Faire, être quelque chose en en prenant conscience. J'existe mon corps : telle est sa première dimension d'être (Sartre, Être et Néant,1943, p. 418). 2. Cour. [Assorti de coordonnées (espace, temps) et de modalités précises] Être dans la réalité, au monde. L'absolu, le bonheur existent-ils ici-bas? Exister en imagination. L'intolérance des tolérants existe, de même que la rage des modérés (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 118).Ils [les positivistes] décrètent que le satanisme n'existe point (Huysmans, Là-bas,t. 1, 1891, p. 234): 3. L'amour absolu n'existe pas plus que le parfait gouvernement, et l'opportunisme du cœur est la seule sagesse sentimentale.
Maurois, Climats,1928, p. 268. − Expr. fam. Cela, ça ne devrait pas exister : 4. − « Ces choses-là, Monsieur Antoine, ça ne devrait pas exister. » − « Quoi? » fit Antoine, qui décachetait une autre enveloppe. − « Quoi? » répéta l'autre, en écho. − « Qu'est-ce qui ne devrait pas exister? » fit Antoine, qui s'énervait. − « La mort. »
Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1311. − [L'accent est mis sur la composante « temps, présence, actualité »] Commencer à/d'exister. Apparaître. Continuer à/d'exister. Durer. Qqc. existe encore, toujours, n'existe plus. Persister, durer, être en vigueur, avoir cours. Cesser d'exister. Disparaître. Telle chose, telle qu'elle existe aujourd'hui, actuellement; exister depuis telle année : 5. ... la théorie de la cristallisation laisse peu à peu le premier rang à la cristallographie géométrique; sous l'Empire elle cessa d'exister, et fut considérée comme un pur bavardage philosophique à négliger.
Metzger, Genèse sc. cristaux,1918, p. 184. ♦ Spéc., DR. COMM. Avoir une réalité dûment constatée en un lieu et à une époque donnés. Marchandises existant en magasin (cf. existant II A 2 a). Il s'empara de tous les effets de la succession qui existaient à cette époque (Ac.): 6. Si le mobilier existant lors du mariage, ou échu depuis, n'a pas été constaté par inventaire ou état en bonne forme, il est réputé acquêt.
Code civil,1804, art. 1499, p. 276. − [L'accent est mis sur la composante « lieu, espace »] Se trouver, se rencontrer. Au cas où telle chose n'existerait pas à tel endroit. La vessie natatoire n'existe pas dans tous les poissons (Cuvier, Anat. comp.,t. 5, 1805, p. 271).La liberté est égalité, parce que la liberté n'existe que dans l'état social, et que hors de l'égalité il n'y a pas de société (Proudhon, Propriété,1840, p. 343): 7. Sur le limon roux qui les [les plates-formes du Valois et du Soissonnais] recouvre, le blé et aujourd'hui la betterave trouvent un sol à souhait. Mais l'eau n'existe qu'à une grande profondeur; et les villages, dont les noms s'accompagnent parfois d'épithètes significatives, ont-ils dû presque exclusivement choisir leur site au bord des vallées, sur les corniches entaillées dans l'épaisseur des plateaux.
Vidal de La Bl., Tabl. géogr.Fr., 1908, p. 102. − [L'accent est mis sur la composante « manière »] Sons, couleurs, parfums, n'existent que dans leur relation avec l'homme (Gide, Nouv. Nourr.,1935, p. 274).Le progrès économique n'existe donc que par rapport à des consommations de type secondaire ou primaire (Fourastié, Gd espoir du XXes.,1969, p. 23). − P. ext. (sens atténué). Être, se trouver; en partic. tournure impers. il existe « il y a ». Avoir un aperçu de ce qui existe; aucun espoir n'existe de voir telle ou telle chose changer, évoluer; la différence qui existe entre telle et telle chose. Il n'existe aucune méthode pour connaître l'amour que nous inspirons (Mauriac, Journal 2,1937, p. 121): 8. En Europe, la proportion des hommes restant célibataires est moins élevée que celle des femmes, à l'inverse de ce qui a lieu hors d'Europe; cette différence n'est pas sans rapport avec celle existant dans la proportion des veuves non remariées.
Tiers monde,1956, p. 162. B.− P. ext. Vivre (avec tous les éléments nécessaires à la vie). 1. [Envisagé du point de vue de la durée de l'existence] Commencer à/d'exister. Naître. Cesser d'exister. Mourir. Elle n'existait plus. Elle était morte. Tant que j'existerai; depuis que j'existe; exister de toute éternité. Un enfant d'abord existe longtemps dans un état de faiblesse (Bern. de St-P., Harm. nat.,1814, p. 291): 9. ... tant que sa mère existera, toutes les familles trembleront de confier à ce petit Restaud l'avenir et la fortune d'une jeune fille.
Balzac, Gobseck,1830, p. 380. 2. [Envisagé du point de vue du contenu qualitatif de la vie, de la manière de vivre, de la qualité de l'existence] Avoir une raison d'exister; la joie, le plaisir d'exister; la lassitude d'exister; le besoin d'exister; se sentir exister; exister paisiblement. Je n'existe qu'en état d'émotion; sec, je n'existe plus du tout (Du Bos, Journal,1927, p. 266): 10. Nous occupions avec nos parents, nos frères et sœurs, la demi-douzaine, petite tribu turbulente, criarde et avide d'exister...
Arnoux, Roy. ombres,1954, p. 91. − Emploi abs. Existe! 11. ... « Existe!... Sois enfin toi-même! dit l'Aurore
Ô grande âme, il est temps que tu formes un corps!
Hâte-toi de choisir un jour digne d'éclore,
Parmi tant d'autres feux, tes immortels trésors!
Valéry, Charmes,1922, p. 91. » − Péj. Avoir une vie végétative, durer : 12. ... le plus lourd fardeau c'est d'exister sans vivre. Tout ce qui doit être voulu, seulement pour moi-même, m'assomme.
Amiel, Journal,1866, p. 332. − Exister par qqn ou qqc. : 13. Il [le bourreau] n'a de place que dans les malédictions des hommes, il ne sert qu'à leurs vengeances, il n'existe que par leurs crimes.
Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 141. ♦ P. anal. C'est le propre de la musique de ne pouvoir exister que par des admirateurs exercés (Alain, Beaux-arts,1920, p. 112). − Exister pour qqn ou qqc. : 14. Je n'ai existé pleinement que pour le public. Il a eu tout de moi; il n'aura après ma mort aucune surprise : je n'ai rien réservé pour personne.
Renan, Souv. enf.,1883, p. 365. − Expr. Qui (n') a jamais existé. Il [Laurent Franconi] fut, dit-on, le plus extraordinaire écuyer de cirque qui ait jamais existé (Hist. spect.,1965, p. 1524). 3. Vivre, au sens matériel du terme. Moyens d'exister. Synon. subsister : 15. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.
Recueils textes hist.,1793, p. 68. ♦ Vieilli. Avec cette fortune on peut exister honorablement (Ac.1835, 1878) : 16. Je ne vis que du produit de mes ouvrages, à la vérité assez considérable pour me faire exister honnêtement, mais non pas pour me donner rien qui ressemble à une fortune.
Chateaubr., Corresp.,t. 1, 1789-1824, p. 71. ♦ P. anal. [Le suj. désigne une chose] Remarquons (...) qu'il y a une industrie qui ne peut exister qu'aux environs immédiats d'un port (M. Benoist, Pettier, Transp. mar.,1961, p. 214). C.− [Avec valeur intensive; le suj. désigne une pers. ou une chose] Se manifester dans la vie de manière éminente; avoir de l'importance, compter pour quelqu'un. Cesser d'exister pour qqn. La sécheresse de ceux pour qui rien n'a jamais existé que leur ambition de parvenir (Martin du G., Vieille Fr.,1933, p. 1064): 17. Je me sentais capable d'un dévouement total et même d'un esclavage. Rien au monde n'existait pour moi que toi. Une catastrophe aurait pu anéantir autour de nous tous les hommes que nous connaissions, si tu étais resté, elle ne m'aurait pas semblé grave. Tu étais mon univers.
Maurois, Climats,1928, p. 247. − C'est comme s'il (qqc. ou qqn) n'existait pas : 18. octave. − Je te dis que tu l'aimes encore.
edgard. − Ça n'est pas vrai! Je ne m'en souviens plus du tout... C'est absolument comme si elle n'avait jamais existé...
Barrière, Capendu, Faux bonsh.,1856, IV, 1, p. 141. 19. ... il [Christophe] ne parlait plus qu'à Judith, et pour Judith; des deux autres, il ne s'occupait pas plus que s'ils n'avaient pas existé.
Rolland, J.-Chr.,Révolte, 1907, p. 424. − Fam. (Telle chose) ça existe! Cela a de l'importance. Bon ou médiocre, ça existe tout de même l'esprit français (Renard, Journal,1896, p. 353).« On a beau dire, la famille ça existe! » Et il pensa avec orgueil à la santé morale des Fleurier (Sartre, Mur,1939, p. 187). − Emploi négatif. [Le suj. désigne une pers. ou une chose] Comme homme d'affaires, il n'existe pas. Il nous a soumis son travail, cela n'existe pas (Ac.1932).Ah! tu es bien le premier. Je ne te mens pas : les autres, ça n'existe pas (...) mon professeur, et, naturellement, celui-là ne compte pas (France, Hist. comique,1903, p. 105). Prononc. et Orth. : [εgziste], (j')existe [εgzist]. Cf. é-1. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. xves. « être actuellement » (P. Cochon, Chronique, éd. Vallet de Viriville, p. 345); 2emoitié xvies. (Théologie naturelle de Raym. Sebond, ch. CCXCIII, fo419 vods Gdf. Compl. : le corps de Jésus Christ, existant la meme au lieu de la substance du pain); 1760 « vivre » (Voltaire, Lettre Tressan, 12 nov. ds Littré). Empr. au lat. class. ex(s)istere « sortir de, se manifester, se montrer ». Fréq. abs. littér. Exister : 12 755. Existé : 699. Fréq. rel. littér. Exister : xixes. : a) 21 443, b) 12 884; xxes. : a) 14 390, b) 20 931. Existé : xixes. : a) 1 430, b) 785 : xxes. : a) 812, b) 842. Bbg. Wagner (R. L.). Il y a. Fr. Monde. 1964, no29, pp. 9-15. |