| EXERCER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. [En vue du maintien ou d'une amélioration des aptitudes phys. (de tout être vivant), intellectuelles, mor. (de l'homme)] Entretenir, former par un entraînement régulier et approprié. Par brusques détentes, elles [les grenouilles] exercent leurs ressorts (Renard, Hist. nat.,1896, p. 142).L'éperdu rossignol, d'avril jusqu'en septembre, Exerce un flexible gosier (Noailles, Éblouiss.,1907, p. 122): 1. Auprès d'eux, je songe irrésistiblement à ceux qui, soulevant des poids, n'auraient exercé que leurs biceps. Ce n'est pas les gros bras très forts que j'aime, c'est l'harmonie de tout le corps.
Gide, Journal,1904, p. 139. 2. Exercer qqn à (+ subst. ou inf.), dans (+ subst.).Soumettre à un entraînement méthodique en vue de créer ou de développer une aptitude ou une habitude. Exercer un soldat à manier les armes, exercer quelqu'un au (dans le) maniement des armes : 2. Mais il pouvait du moins avouer ses défaillances, et les difficultés qui l'exerçaient à des luttes si vives n'étaient pas de celles dont on rougit.
Fromentin, Dominique,1863, p. 212. 3. Exercer qqc. a) Faire sentir le poids de son pouvoir, de sa force; mettre en action ses moyens de pression, d'influence, etc. − [+ compl. d'obj. dir. seul] ♦ [Le suj. est un animé] Le peuple-roi ne peut exercer la souveraineté par lui-même; il est obligé de la déléguer à des fondés de pouvoir (Proudhon, Propriété,1840, p. 148): 3. Aujourd'hui, vous vous trouvez personnellement en mesure d'exercer une action dont les résultats peuvent être essentiels pour la libération de l'Indochine.
De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 680. ♦ [Le suj. est un inanimé] En fait, des plans dominants exercent leur influence partiellement irréversible sur des plans dominés (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 133): 4. « Tout corps, tout mouvement exerçant une action chimique sur les corps organiques avec lesquels il s'est trouvé une seconde en contact, peut-être que tout, depuis que le monde est, a été conservé en photographie... »
Goncourt, Journal,1865, p. 155. − [Suivi d'une constr. prépos.] ♦ [sur] Cf. ex. supra. ♦ [contre] Napoléon. − (...) si vous êtes connus, ce sera pour les indignités que vous aurez exercées contre moi (Dumas père, Napoléon,1831, VI, 2, p. 143). ♦ [envers] Que fût devenu ton divin aïeul, si l'on n'eût pas mieux exercé envers lui les devoirs de l'hospitalité? (Chateaubr., Martyrs,t. 1, 1810, p. 143). b) Mettre à l'épreuve et parfois soumettre à une activité pénible. Exercer son talent poétique, sa verve, son ironie. Sur la privation de l'eucharistie : « Jésus-Christ exerce davantage notre foi quand il entre dans notre cœur les portes fermées que lorsqu'il y entre en la manière ordinaire... etc. » (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 205). Rem. Dans ce dernier sens le compl. d'obj. dir. peut être, mais rarement, un animé. Dieu (...) se plaît à exercer ses serviteurs (Chateaubr., Génie, t. 4, 1803, p. 446). − En partic. Mettre à l'épreuve, essayer le bon fonctionnement du mécanisme d'un objet : 5. Monsieur du Châtelet voulait s'opposer à ce qu'on exerçât les pistolets, mais l'officier que l'on avait pris pour arbitre a dit qu'à moins de se conduire comme des enfants, on devait se servir d'armes en état.
Balzac, Illus. perdues,1843, p. 149. c) Pratiquer une activité, un métier, une profession, etc.
α) [+ compl. d'obj. dir.] C'était un vieux Polonais (...) qui était venu exercer en France (...) son métier de pharmacien (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 314).Les autres s'en étaient allés au loin pour exercer dans les villes des Achéens l'art du chanteur ou celui du charron (France, Clio,1900, p. 9).
β) Emploi abs. Un de mes gens vient me dire qu'un commis aux aides qui exerçait dans le quartier avait reconnu ma voiture (Picard, Avent. E. de Senneville,1813, II, p. 140).Il [Hirsch] avait été mandé au parquet de Corbeil et menacé de peines sévères s'il continuait à exercer (A. Daudet, Jack,t. 2, 1876, p. 321). B.− Emploi pronom. 1. à sens réfl. a) S'exercer à + inf. ou subst. − Se former par un entraînement régulier et approprié. S'entraîner. ♦ [Le suj. est un être vivant] Ce n'était plus qu'un texte la Charte sur lequel chacun s'exerçait à l'éloquence (Sand, Indiana,1832, p. 104).On devait s'exercer à bien tracer les lettres à l'antique, c'est-à-dire les caractères italiques (France, Rabelais,1924, p. 48). ♦ [Le suj. n'est pas un être vivant] Elle marchait mieux (...) son pied lui-même s'était aminci en s'exerçant à de longues courses (Fromentin, Dominique,1863, p. 113): 6. La mer s'exerce aux périodes. Elle imite Démosthène. Elle suce des cailloux. Entre temps, elle crache des méduses : immondes crachats.
Cocteau, Fin Potomak,1940, p. 162. Rem. Cet emploi peut apparaître sans constr. prép. Voici cinquante et quelques années que ma tête avant l'aube s'exerce tous les jours (Valéry, Lettres à qq.uns, 1945, p. 244). − S'essayer, se mettre à l'épreuve, voir l'effet que l'on peut produire : 7. ... quand on voulait s'esquiver [de chez MmeWaldor] pour sauter en face [chez MmeAncelot], de froids regards vous clouaient à la porte. Il fallait rester, jouer de la langue, blasonner le père Ancelot, s'exercer à de petites anecdotes scandaleuses.
A. Daudet, Trente ans Paris,1888, p. 98. b) [Constr. prépos. sur, contre] − S'appliquer sur, prendre appui sur. La mémoire n'ayant à s'exercer sur rien d'important périt ou languit (Delacroix, Journal,1824, p. 67): 8. Ses critiques bienveillantes [de Sainte-Beuve] s'exerçaient de préférence sur mon abus des grands mots en K et en Y et en S...
Verlaine,
Œuvres compl.,t. 5, Confessions, 1895, p. 139. − Produire une action contre. Son ironie s'exerça contre celui de ses collègues qui avait jadis combattu l'initiative du comte Mouraview (Bourget, Tapin,Deux épis., 1928, p. 240).Lancelot. − On dirait Gauvain manœuvré par une poigne méchante qui s'exerce sans relâche contre nous (Cocteau, Chev. Table Ronde,1937, I, p. 87). 2. à sens passif. Être pratiqué. À chaque étage, des plaques de cuivre vissées sur l'huis désignaient les arts et métiers qui s'exerçaient derrière ces portes (France, Vie fleur,1922, p. 520): 9. Nous étions en effet, parvenus à la place où s'exercent ces boucheries judiciaires qui maintiennent encore notre civilisation au niveau des lois et des mœurs des anthropophages.
Nodier, Fée Miettes,1831, p. 139. Rem. On rencontre ds la docum. a) Exerciter, verbe trans. Exercer, exécuter. Mais, malgré notre penchant naturel à tout admirer, nous ne vîmes qu'une facétie robuste, laissée là par un âge inconnu pour exerciter l'esprit des antiquaires et stupéfier les voyageurs (Flaub., Champs et grèves, 1848, p. 231). b) Exercitant, ante, part. prés. subst. Personne qui se livre aux exercices d'une retraite spirituelle. Les préludes ignatiens ne doivent durer que pendant quelques secondes; l'exercitant est pressé d'agir, de déployer ses « puissances ». Le bérullien a moins de hâte; il peut s'attarder longuement au dépouillement de lui-même, puisque, en recevant « le coup heureux de cette mort spirituelle », il commence à opérer en Jésus-Christ qui est en tous les chrétiens principe d'agir à la gloire de Dieu » (Bremond, Hist. sent. relig., t. 3, 1921, p. 463). Prononc. et Orth. : [εgzε
ʀse], [e-], (j')exerce [εgzε
ʀs]. Cf. é-1. Enq. : /egzeʀs/ (il) exerce. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1121-34 essercier « pratiquer (une discipline) » (Ph. de Thaon, Bestiaire, 2657 ds T.-L.); fin xives. spéc. une vertu, un pouvoir, etc. (Froissart, Chron., éd. S. Luce, t. 6, p. 27 : par quoi justice en soit mieuls gardée et exersée); 1340 « se consacrer à (un office, une charge, une activité professionnelle) » (doc. ds Livre Roisin, éd. Brun-Lavainne, p. 358); 2. xiiie-xives. soi exercer « se former, s'éduquer (par des exercices appropriés) » (Dist. de Catun, 903, éd. Stengel, Ausg. und Abhandl. t. 47, p. 140); 3. 1548 « mettre en jeu, en usage » (Marg. de Navarre, Comédie du Mont-de-Marsan, éd. Schneegans, 337 : Car l'ame plaine de malice Au corps exercera son vice); 4. 1551 « mettre à l'épreuve » (Calvin, Instit. chrétienne, IV, p. 196 ds Hug.). Du lat. class. exercere « mettre en mouvement; tourmenter, former par des exercices; exercer (une profession) ». Fréq. abs. littér. : 4 894. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 9 367, b) 3 913; xxes. : a) 4 657, b) 7 920. Bbg. Jourjon (A.). Rem. lexicogr. R. de Philol. fr. 1915-16, t. 29, pp. 149-150. |