| ESTIME, subst. fém. A.− [Avec une idée d'évaluation plus ou moins exacte] 1. Évaluation approximative d'une quantité nombrable. Faire une estime. (Quasi-)synon. estimation (cf. ce mot A 2).Le maire avait regardé la pendule; et, à cette estime, le baron paraissait avoir passé quarante minutes chez Lisbeth (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 177).Cf. aussi estimer ex. 1. − Loc. adv. À l'estime. À l'estime on évalue toujours l'angle du cône par très grand excès (Bouasse, Instrum. à vent,1930, p. 140).Quand il [le médecin] l'eut soupesé [le bébé] à l'estime, comme un canard sur le marché (H. Bazin, Barbe,1957, p. 28). − MAR. Calcul approximatif de la position d'un navire, de la distance parcourue, etc., par référence à des données plus ou moins sûres. Le commodore Byron n'avait navigué que d'après les méthodes fautives de l'estime (Voy. La Pérouse,t. 3, 1797, p. 177).Nous obtenons enfin des observations qui nous mettent en latitude 73o50'30" nord, ce qui s'accorde assez bien avec mon estime (Bellot, Voyage mers polaires,1863, p. 274). ♦ Loc. adv. (Gouverner, etc.) à l'estime. À défaut de boussole, cartes, portulans, tout comme l'ami Rouveret dirige son bateau à l'estime, le nez au vent, les vieux de la marine à voile faisaient usage du flair (Cendrars, Homme foudr.,1945, p. 48): 1. L'évaluation de la vitesse et la direction donnée par la boussole, vérifiée par des relèvements de la polaire, permettent de naviguer à l'estime, mais les courants, la dérive, une erreur d'appréciation dans la marche, peuvent fausser les résultats, et une réelle précision ne peut être obtenue qu'en corrigeant la route faite à l'estime par la navigation observée.
Charcot, Chr. Colomb,1928, p. 91. − P. ext., AÉRON., etc. La navigation par l'estime est l'ensemble des procédés qui permettent de suivre une route déterminée et de connaître la position de l'aéronef, sans voir le sol, ni utiliser des procédés astronomiques, radiogoniométriques ou physiques (A. B. Duval, Hébrard, Nav. aér.,1928, p. 49).Au bout de six mois de reconnaissances et de pistages miraculeux dans tous les terrains variés, ils possédaient jusqu'à la fibre, l'orientation à l'estime (Céline, Mort à crédit,1936, p. 606). 2. Au fig., vx. Jugement (favorable ou défavorable) par lequel on détermine, marque la valeur que l'on attribue ou doit attribuer à telle personne ou à telle chose abstraite. (Quasi-)synon. estimation (cf. ce mot B). ♦ Loc. adv., plus usuel. À + adj. poss. estime, à l'estime de (telle personne). À mon, etc., avis, à l'avis de (telle personne). Cette partie du livre paraîtra incontestablement incomplète à l'estime des philosopheurs (Richepin, Aimé,1893, p. 144).Des romans [de Radiguet], surtout, à mon estime, « Le Diable au Corps », phénomènes aussi extraordinaires dans leur genre que les poèmes de Rimbaud (Cocteau, Diff. d'être,1947, p. 28). B.− [Avec une valorisation affective] Appréciation positive à l'égard d'une personne ou d'une chose qui mérite l'admiration, un certain respect d'ordre intellectuel ou moral; tendance à lui accorder beaucoup de prix. Estime et/ou admiration, confiance, mépris, respect, sympathie, vénération. 1. Sentiment favorable que l'on attache, témoigne à une personne de valeur (ou considérée comme telle) et à ses qualités. Estime mutuelle; affectueuse estime; estime de ses concitoyens; estime pour (son/le) caractère, esprit, talent; attacher du prix à l'estime de (telle pers.). J'en suis au point de ne plus compter sur l'estime ni l'approbation de personne (Maine de Biran, Journal,1820, p. 281).Ils tiennent M. Zola en petite estime littéraire et le renvoient à l'école parce qu'il n'a pas fait de bonnes humanités et que peut-être il n'écrit pas toujours parfaitement bien (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 267).Cf. aussi estimable ex. 1 : 2. « Forcer l'estime, à force de vertu ».
... il semblait bien que M. Thibault eût souffert de lui-même et des mérites qu'il acquérait si durement : « L'estime n'exclut pas nécessairement l'amitié, mais il semble rare qu'elle contribue à la faire naître. Admirer n'est pas aimer; et, si la vertu obtient la considération, elle n'ouvre pas souvent les cœurs ». Amertume secrète, qui l'amenait même à écrire, quelques pages plus loin : « L'homme de bien n'a pas d'amis... »
Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1337. − [Dans une formule épistolaire] Mille assurances d'estime et d'affection (Tocqueville, Corresp.[avec Henry Reeve] 1849, p. 102). − En partic. Estime de soi. Bonne opinion que l'on a de soi-même, de sa propre valeur; satisfaction morale de pouvoir se juger irréprochable en conscience. Conserver, garder, perdre sa propre estime. Chercher sa propre estime et non point celle d'autrui (Ramuz, A. Pache,1911, p. 117).On ne se guérit de la colère qu'en se guérissant de l'estime excessive de soi et de la susceptibilité à l'injure qui en dérive (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 262). − P. anal. [À propos d'animaux] Les amateurs d'oiseaux de volière le [le Rossignol] tiennent en très haute estime à cause de sa belle voix et la façon mélodieuse et variée dont il agrémente les roucoulades de son chant (Coupin, Animaux de nos pays,1909, p. 149). 2. Opinion avantageuse que l'on attache, témoigne à une chose de valeur (ou considérée comme telle). Si l'on entend par humilité le peu de cas que l'homme ferait de sa nature, la petite estime dans laquelle il tiendrait sa condition, je refuse complètement à un tel sentiment le titre de vertu (Renan, Avenir sc.,1890, p. 355).« Celle-là a l'air d'être découpée dans la doublure de mon manteau », dit-elle à Swann en lui montrant une orchidée, avec une nuance d'estime pour cette fleur si « chic » (Proust, Swann,1913, p. 221). SYNT. (relatifs à B 1 et B 2). Estime générale, particulière, publique, universelle; estime profonde, respectueuse; grande, haute, moindre, sincère estime; digne d'estime; estime des (honnêtes) gens, du monde; marque, preuve, sentiments, témoignage d'estime; conquérir, gagner, garder, mériter, obtenir, perdre, regagner l'estime; accorder son estime; avoir droit à l'estime; baisser, remonter dans l'estime; avoir, concevoir, éprouver, inspirer, jouir de l'estime; tenir en grande, médiocre, piètre estime. − Loc. verbales. Faire estime de qqn, qqc. Faire cas de (cf. Sand, Maîtres sonneurs, 1853, p. 215); être en (haute) estime (cf. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 5, 1859, p. 389); mettre en grande estime (cf. Erckm-Chatr., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 51). C.− [P. oppos. à admiration] Opinion avantageuse mais limitée que l'on témoigne à quelqu'un ou à quelque chose en raison de ses qualités moyennes, normalement attendues, et généralement appréciées. De vieux Allemands (...) traitaient les évadés avec une correction où se marquait l'estime. Pour eux, un prisonnier qui s'évadait jouait le jeu (Ambrière, Gdes vac.,1946, p. 229).La vie n'est pas très passionnante. Du moins, on ne connaît pas chez nous le désordre. Et notre population franche, sympathique et active, a toujours provoqué chez le voyageur une estime raisonnable (Camus, Peste,1947, p. 1219). − [À propos d'un ouvrage littér., artistique] Succès d'estime. Succès limité, sans enthousiasme, obtenu par exemple dans un cercle restreint de connaisseurs ou d'amateurs. Les caractères étaient vigoureusement tracés, l'observation habilement saisie dans nos mœurs, et le style remarquable par beaucoup d'élégance et de facilité. Il paraissait impossible qu'un pareil ouvrage n'obtînt pas au moins un succès d'estime (Jouy, Hermite,t. 2, 1812, p. 197).Ollendorff m'a fait le discours connu sur le succès d'estime qui m'attend certainement, et le succès d'argent qui m'attend aussi, mais avec moins d'impatience (Renard, Journal,1891, p. 99). Prononc. et Orth. : [εstim], [e-]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. xiiies. [d'apr. FEW t. 24 p. 232a] « estimation du prix, de la valeur de quelque chose » (Compt. de S. Germ. l'Aux., Arch. LL 535, fo7 rods Gdf.); 2. ca 1500 d'extime « de valeur, méritant la considération » (Commynes, Mém., VIII, 23, éd. J. Calmette, t. III, p. 284), Déverbal de estimer*. Fréq. abs. littér. : 2 298. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 400, b) 2 754; xxes. : a) 2 466, b) 3 054. Bbg. Dauzat Ling. fr. 1946, p. 15. − La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 163. |