| ESSENCE1, subst. fém. A.− PHILOS. Ce qu'un être est. 1. [P. oppos. à accident, attribut] Fond de l'être, de nature idéale, conceptuelle ou divine. Essence éternelle, universelle; pénétrer l'essence des choses : 1. ... il semble que ce philosophe [Spinoza] ait cherché à établir entre l'éternité et ce qui dure la même différence que faisait Aristote entre l'essence et les accidents...
Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 352. − Essence première. Celle qui est la cause : Dieu. Leur [ces fils] venue en ce monde n'a dépendu que de Dieu, de l'essence première, dont ils étaient des parties, et à laquelle ils peuvent par conséquent retourner comme ils en sont descendus (P. Leroux, Humanité,t. 2, 1840, p. 441).Essence seconde ou dérivée : créature. 2. [P. oppos. à existence] L'être idéal. − P. ext. [P. oppos. à la réalité vécue] L'être comme concept. L'apparence ne cache pas l'essence, elle la révèle; elle est l'essence (Sartre, Être et Néant,1943, p. 12): 2. L'idée-limite clairement posée serait ici celle d'un individu qui ne serait pas l'individuation secondaire d'une forme, d'un type, d'une essence primaire, mais celle d'un individu qui « s'individue » lui-même en choisissant à chaque instant son existence; selon la formule contemporaine : l'existence prime l'essence.
Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 166. − PHÉNOMÉNOLOGIE (en partic. chez Husserl). Idées, structures universelles de la conscience en acte : 3. Les essences de Husserl doivent ramener avec elles tous les rapports vivants de l'expérience, comme le filet ramène du fond de la mer les poissons et les algues palpitants. Il ne faut donc pas dire avec J. Wahl que « Husserl sépare les essences de l'existence ». Les essences séparées sont celles du langage. C'est la fonction du langage de faire exister les essences dans une séparation qui, à vrai dire, n'est qu'apparente, puisque par lui elles reposent encore sur la vie antéprédicative de la conscience.
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. X. B.− Cour. Caractère ou qualité propre et nécessaire d'un être; ensemble des caractères constitutifs de quelque chose. 1. [En parlant d'une chose] Ce qui n'est pas loi, est hors de l'essence du gouvernement (Chateaubr., Essai Révol.,t. 2, 1797, p. 334).La contradiction est l'essence des choses humaines (Renan, Drames philos.,Eau jouvence, 1881, V, 3, p. 508): 4. L'amour se fane dans une atmosphère de contrainte. Son essence est la liberté.
Maurois, Ariel,1923, p. 17. 2. [En parlant d'une pers.] Son essence étant la bonté, elle [Claire] ne peut cesser de faire le bien qu'en cessant de vivre (Cottin, C. d'Albe,1799, p. 201): 5. Clément était d'essence aérienne. Il ne savait pas marcher; il avançait par petits bonds, en se jetant de côté, et semblait le jouet des vents.
France, Pt Pierre,1918, p. 257. SYNT. Il est de (dans) l'essence de qqc. ou qqn, de + inf., que; l'essence de qqc. est dans + subst., de + inf.; les éléments qui constituent font l'essence de qqc.; être l'essence de qqc.; avoir qqc. pour essence; c'est là son essence! Examiner qqc. en son essence; être transformé dans son essence; épuiser, réaliser l'essence de qqc.; réduire qqc. à son essence; être de telle façon de, dans, en, par son essence. − Loc. adv. Par essence. Par définition, par nature. L'ambitieux est par essence mécontent de tout ce qu'il possède (Maine de Biran, Journal,1816, p. 164).L'histoire narrative est inexacte par essence (France, Vie littér.,1890, p. 124). 3. P. ext. a) Ce qu'il y a de plus important. Contenir l'essence de qqc., dégager l'essence de qqc. Synon. essentiel.Telle pensée qui contient l'essence d'un livre tout entier (Joubert, Pensées,t. 2, 1824, p. 147): 6. J'aurais voulu d'un tel livre [les Éblouissements de la comtesse de Noailles] (...) essayer de dégager d'abord l'essence et l'esprit.
Proust, Chron.,1922, p. 187. b) Ce qu'il y a de plus pur, de plus original. J'ouvris quelques-uns de ces livres, c'étaient de plats romans de 1780 mais pour moi c'était l'essence de la volupté (Stendhal, H. Brulard,t. 1, 1836, p. 197): 7. Quel étrange contraste! Gavarni, − ce Gavarni que la postérité se figurera comme le maître et l'essence de l'élégance, lui qui a chiffonné dans ses dessins tant de soie, tant de luxe, le dessus du panier de Paris...
Goncourt, Journal,1863, p. 1361. c) Expr. [Le plus souvent en parlant d'une pers.] Être, se croire d'une essence autre, différente, supérieure. Nous te regardions comme fait d'une autre essence que nous (Mille, Barnavaux,1908, p. 289): 8. Il [un lieutenant] était sûr de soi, satisfait, gras, et puis, officier français, petit bourgeois à la tête d'une compagnie de la Légion étrangère, il se croyait d'une essence supérieure...
Cendrars, Main coupée,1946, p. 101. Rem. On rencontre ds Rob. Suppl. 1970 le verbe trans. essentialiser, qui signifie en philos. « tirer une essence d'une existence ». Le propre de l'existence, c'est de se donner à elle-même une essence, c'est-à-dire de retrouver un accès vers cet être qui est le lieu même de l'essence. Ce n'est pas à l'essence qu'il appartient de s'existentialiser. C'est plutôt à l'existence qu'il convient de s'essentialiser (L. Lavelle, Introduction à l'ontologie, Paris, P.U.F., 1947, p. 83). Prononc. et Orth. : [esɑ
̃:s]. Prononc. [εs(s)ɑ
̃:s] ds Fér. 1768, Fér. Crit. t. 2 1787, Land. 1834 [ss], Nod. 1844, Besch. 1845 [ss], Littré [ss], DG [ss], Barbeau-Rodhe 1930 [s] ou [ss], et, à titre de var., ds Warn. 1968. Cf. essai. Enq. : /esãs/. Le mot est admis ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. V. essence3. |