| ESQUIVER, verbe trans. A.− Emploi trans. 1. Éviter habilement une attaque, un obstacle. Esquiver un choc, un coup, un écueil. Rocambole esquiva l'épée en se jetant de côté, et porta la fameuse botte (Ponson du Terr., Rocambole,t. 3, 1859, p. 530).D'une embardée instinctive, Fabrizio avait esquivé les salves (Gracq, Syrtes,1951, p. 238). − [Le compl. désigne une pers.] Éviter de la rencontrer. Mais, entrée seule quelque part pour une visite, au lieu de reprendre ensuite le coin où je l'attendais, elle [madame R] m'esquivait par un autre (Sainte-Beuve, Volupté,1834, p. 240).Il [Bonaparte] s'embarque avec son corps expéditionnaire. En passant, il cueille Malte et les trésors de l'Ordre... Il esquive Nelson qui le cherche fiévreusement et qui arrive trop tard partout (Morand, Route Indes,1936, p. 140). 2. Au fig. [Le compl. désigne une notion abstr.] Se soustraire à. Esquiver une corvée, une obligation, un rendez-vous. Faut-il esquiver la réflexion comme une ennemie, au lieu d'y livrer toute son âme? (Staël, Corinne,t. 1, 1807, p. 22).Plus moyen d'éluder, d'esquiver, d'ajourner la leçon du temps. Il faut bien voir que tout s'en va et qu'on s'en va soi-même (Amiel, Journal,1866, p. 474): 1. Le consciencieux garçon, qui durant des années n'avait pas manqué, même malade, une leçon, ni une répétition d'orchestre, trouvait de mauvais prétextes pour esquiver le travail.
Rolland.J.-Chr.,Adolesc., 1905, p. 267. − En emploi abs. J'ai consenti, mais j'ai écrit à M. de Nadaillac pour avoir de suite une entrevue. Je ne veux pas qu'il croie que j'ai esquivé (Constant, Journaux,1855, p. 446). ♦ Esquiver une difficulté, une question. Y échapper par un faux-fuyant, sans la résoudre. Synon. éluder.Phœbus était enchanté que la première question l'aidât à esquiver la seconde (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 390).La crainte de la vérité fit que le gouvernement de ce Félix Faure, fuyant la preuve, esquiva le débat (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 43): 2. En ce qui concerne les Lettres, cet enseignement est un monument d'absurdité et d'erreur. Il consiste à fausser l'usage des œuvres et à esquiver tous les problèmes réels des rapports du langage avec les diverses fins qu'il vise à atteindre.
Valéry, Lettres à qq.-uns,1945, p. 225. B.− Emploi pronom. réfl. Se retirer discrètement, sans être remarqué. Synon. s'éclipser, filer à l'anglaise, prendre la tangente (fam.).Quand les fontaines de vin, l'illumination et le feu d'artifice seront bien en train, tu t'esquiveras prudemment (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 371).Omer s'esquiva dans le corridor, pour n'être pas vu du visiteur qui sortait (Adam, Enf. d'Aust.,1902, p. 280): 3. Nous profitâmes de l'ahurissement qui régnait pour nous esquiver. Nous exécutâmes tous les trois une sortie tout à fait discrète, évitant les convives assoupis et gentiment parsemés autour de l'accordéon de la patronne.
Céline, Voyage,1932, p. 500. Rem. On rencontre chez Montherlant la construction s'esquiver de + compl. au sens de « échapper à ». La marquise était sans cesse en train de partir pour la Sologne, prétexte à s'esquiver de tout ce qui l'ennuyait (Célibataires, 1934, p. 871). Prononc. et Orth. : [εskive], (j')esquive [εski:v]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. Ca 1600 esquiver de « faire échapper à » (A. Hardy, Alcée, IV, 4, 1493, éd. E. Stengel, t. 2, p. 273); 1613 intrans. abs. « s'échapper » (Régnier, Sat. 8 ds Hug. : J'esquive doucement et m'en vais à grands pas). Empr., soit à l'esp. esquivar « éviter, rejeter, éluder » (dep. 1330-43, J. Ruiz; déjà en 1250 au part. passé, Poema de Alexandre d'apr. Cor.), soit à l'ital. schivare « éviter, fuir » (dep. fin xives., Fioretti de S. Francesco d'apr. DEI) : A. Hardy s'est inspiré aussi bien des auteurs esp. qu'ital. (v. R. Garapon ds Dict. Lettres XVIIes., p. 490). L'esp. esquivar est dér. de esquivo « dédaigneux », prob. issu d'un got. *skiuhs signifiant à la fois « craintif » et « insolent » (v. Cor.); l'ital. schivare est empr. à l'a. fr. eschuir, eschiver « éviter, fuir » (dep. ca 1100, Roland, 1096) de l'a. b. frq. *skiuhjan « craindre », cf. l'a. h. all. sciuhen « id.; éviter » (Graff t. 6, col. 417; Schützeichel2); v. également échiffe. Fréq. abs. littér. : 425. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 406, b) 753; xxes. : a) 557, b) 718. Bbg. La Landelle (G. de). Le Lang. des marins. Paris, 1859, p. 106. − Wind 1928, p. 38, 172, 205, 207. |