| ESQUINTER, verbe trans. Familier A.− 1. [Le compl. d'obj. désigne une pers.] Mettre à mal, blesser. Protège la vertu des femmes, ça vaudra mieux que d'assommer Grenais et Beuillard, de faire esquinter par tes flics roumains la pauvre petite garce qui les a donnés... (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 141). ♦ Se faire esquinter. Gaspard, en avançant, regarda son pied, son unique pied, et il dit à mi-voix : − Nous, on s'ra fait esquinter, pis ces gosses-là qu'auront l'profit, ils nous grimperont dessus!... (Benjamin, Gaspard,1915, p. 158).Sa fureur était telle qu'il se demandait s'il n'allait pas, au risque de se faire esquinter, foncer dans le tas [d'étudiants] (Magnane, Bête à concours,1941, p. 401). 2. En constr. pronom. a) réfl. indir. [Avec un obj. dir. désignant une partie du corps] Blesser. Il s'est esquinté la cheville en dégringolant d'un tas de pierres (Aymé, Uranus,1948, p. 36). b) réfl. dir. Se blesser. J'ai rien eu en sautant du train, et je m'esquinte comme un couillon en tombant d'un mur d'un mètre de haut!... (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 253). c) réciproque, arg., vx. Se battre au point de se blesser. J'ai bien cru qu'ils [des voleurs] s'esquintaient, rapport au pèze (Carco, Jésus-la-Caille,1914, p. 196). B.− P. hyperb. 1. [Le compl. désigne une pers. ou un attribut de la pers.] a) Fatiguer à l'excès. Synon. éreinter, vanner (fam.).Ô paysan cassé sur tes sillons, Pâle ouvrier qu'esquinte la machine (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 1, Sagesse, 1881, p. 204).Elle a les nerfs délicats; sa sensibilité est extraordinaire (...) un rien l'esquinte, et quand elle est exténuée, vous la trouverez incertaine (Morand, Homme pressé,1941, p. 169): Il dirige le jet sur Brunet, flageole et repose soudain le tuyau. Il dit : « Ça me fatigue. » Ils se rhabillent. (...). Lambert s'est réveillé, il les regarde en rigolant : « Vous ne marchez pas droit; vous avez l'air bourrés. » Le frisé se laisse choir sur la toile de tente, il grogne : « Ça m'a esquinté, on ne m'y reprendra plus. »
Sartre, Mort ds âme,1949, p. 228. b) En constr. pronom. − réfl. indir. [Avec un obj. dir. désignant un attribut de la pers.] ♦ Loc. fig. S'esquinter le tempérament. Se fatiguer à l'excès, se faire beaucoup de soucis. Quand on a des rentes, sacristi! il faudrait être jobard pour s'esquinter le tempérament (Maupass., Pierre et Jean,1888, p. 323). − réfl. dir. Se fatiguer beaucoup. Synon. se crever (fam.).Des journées passées comme ça, à faire le feignant, ça vaut mieux que les journées où l'on s'esquinte sans profit (Zola, Terre,1887, p. 205).C'est qu'on est trop bête après tout, de s'esquinter ainsi et crever à la peine, quand les gens se moquent de vous (Ramuz, A. Pache,1911, p. 179). ♦ S'esquinter à + verbe à l'inf.Quand on les [les cultivateurs] envoie chez eux, ils s'esquintent à travailler dans les champs pour vous revenir un peu plus malades (Aymé, Jument,1933, p. 198). 2. [Le compl. désigne une chose concr.] Abîmer, détériorer. Elle avait esquinté sa robe sur ces mousses (Montherl., Encore inst. bonh.,1934, p. 706).« Esquintez surtout pas mes gogs! j'ai vu la cuvette! elle était intacte! faites attention à mon évier! ça coûte deux cents francs pour un neuf!... » (Céline, Mort à crédit,1936, p. 558). − Spéc., arg., vx. Fracturer, voler avec effraction (d'apr. Dict. arg., 1847, p. 160 et France 1907). C.− Au fig. [Le compl. désigne une pers., une œuvre] Critiquer violemment. Synon. éreinter (fam.).Je vois ce que c'est. C'est la mère Taupin qui m'a esquintée auprès de Madame, parce que j'ai connu l'histoire du grenier (L. Daudet, Bacchantes,1931, p. 204). Rem. On rencontre ds la docum. a) Le part. présent en emploi adj. esquintant, ante, fam. Qui fatigue beaucoup. Le bourreau du bagne a une poigne esquintante (Sers, Intérieur bagnes, 1842, p. 55). Les samedis et dimanches et jours de fête c'est esquintant, mais les autres jours on est assez peinard (Queneau, Pierrot, 1942, p. 104). b) Le subst. masc. esquintement. Grande fatigue. Peuple qu'on pousse et qu'on abuse (...) le vaincu des balles et de la privation dans l'esquintement (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, Mes hôp., 1891, p. 316). Arg., vx. Effraction. Cambriolle tu maquilleras Par carouble et esquintement (Vidocq, Voleurs, t. 1, 1836, p. XXXV). c) Le subst. fém. esquinte, arg., vx. Synon. d'esquintement. Vol à l'esquinte (Rigaud, Dict. arg. mod., 1881, p. 156). Prononc. et Orth. : [εskε
̃te], (j')esquinte [εskε
̃:t]. Ds Ac. 1932. Étymol. et Hist. 1800 « démolir, abîmer » (ds Esn.); 1861 pronom. « se fatiguer à l'extrême » (ibid.). Empr. au prov. esquinta « déchirer, fatiguer » (a. prov. esquintar « déchirer », P. Cardenal ds Bartsch Chrestomathie, p. 193, 22) qui suppose un lat. vulg. *exquintare proprement « mettre en cinq » (lat. quintus « cinquième », préf. ex-). Fréq. abs. littér. : 28. Bbg. Chautard (É.). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 591. − Sain. Arg. 1972 [1907], p. 238. − Sain. Lang. par. 1920, p. 317, 511. |