| ESCAMOTER, verbe trans. A.− Faire disparaître, dissimuler (quelque chose ou plus rarement quelqu'un) par une manœuvre habile. 1. a) Dans le domaine du spectacle,vieilli. Faire disparaître par un tour de passe-passe, un artifice qui échappe à l'observation des spectateurs. Escamoter des boules, des dés, un mouchoir. Escamoter une muscade (vieilli). Des charlatans qui escamotent aux regards des spectateurs les objets qu'ils leur présentent (Staël, Allemagne,t. 2, 1810, p. 246).Le souffle des saltimbanques (...) lorsqu'ils veulent faire disparaître un objet qu'ils escamotent, est un acte certainement venu des lieux de ténèbres (Bloy, Journal,1894, p. 146).Jean Borlin, vêtu comme le prestidigitateur Méliès, escamotait ses poursuivants avant de s'escamoter lui-même (Sadoul, Cin.,1949, p. 188). − Absol. Ce prestidigitateur escamote bien (Ac.1932). b) Usuel
α) Soustraire à la vue (en changeant de place, en dissimulant). Il va pour lui offrir la chaise de droite, y trouve sa pipe et l'escamote en replaçant vivement la chaise sous la table (Sardou, Rabagas,1872, II, 11, p. 77).Avant qu'elle ne l'escamote derrière son dos, j'ai vu le portefeuille (...) dont elle a résolu de m'imputer le vol (H. Bazin, Vipère,1948, p. 260): 1. Il [le photographe] est soumis à la tyrannie du sujet; il doit compter avec une cheminée en zinc, un panneau-réclame, et des poteaux télégraphiques, que le peintre ne verrait pas; et pour escamoter ces accidents, il lui faut accéder (...) à des lieux où le peintre se transporte par le seul effort de l'imagination.
Prinet, Phot.,1945, p. 117. ♦ Emploi pronom. réfl. D'un pas de côté, il démasqua son compagnon, jusqu'alors rigoureusement invisible (...). Je me rendis compte (...) du trait essentiel qui caractérise ce personnage si habile à s'escamoter lui-même (Farrère, Homme qui assass.,1907, p. 62).Cf. aussi Sadoul, loc. cit. − [Le suj. désigne ce qui dissimule] Le col empesé, haut et large, escamotait les bajoues et les fanons (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 54).Un tunnel que l'on achève de creuser va escamoter les automobiles dont la présence détruirait l'illusion d'une ville du dix-huitième siècle (Green, Journal,1941, p. 107).Le mimétisme non seulement les dissimule [les ocelles], mais escamote en même temps leur propriétaire. Il le confond avec le milieu, il empêche qu'on l'en distingue (R. Caillois, Méduse et Cie,Paris, Gallimard, 1960, p. 137). ♦ Emploi pronom. passif. Les portiques nécessaires à la manutention pourront s'escamoter dans des constructions spéciales situées aux extrémités du barrage (Romanovsky, Mer. source én.,1950, p. 99).
β) P. ext. Faire disparaître de façon plus ou moins définitive. (Quasi-)synon. effacer, éliminer.L'impératrice Catherine escamota son mari, pour le déposer (Audiberti, Mal court,1947, III, p. 195). 2. Spéc. Effacer, replier (une chose, notamment l'organe saillant d'une machine) par un dispositif conçu à cet effet. Les autres [meubles], plus légers peuvent être transportés, escamotés, échangés, selon les besoins du moment (Serrière, T.N.P.,1959, p. 87). − Emploi pronom. passif. Peugeot avec son coach à toit métallique pouvant s'escamoter entièrement dans la pointe arrière de la voiture (Tinard, Automob.,1951, p. 334). 3. En partic. Faire disparaître (une chose) furtivement pour s'en emparer. (Quasi-)synon. subtiliser.Il [le baron] eut l'idée lumineuse d'escamoter les petits carrés de papier portant les votes d'un des partis (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 258).Quelle peine il avait eue pour escamoter la facture, sous le nez d'Auguste (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 238): 2. ... Georges, bondissant par-dessus son banc, avait réussi à escamoter l'arme sans être remarqué de personne; il l'avait d'abord repoussée en arrière, d'un coup de pied, tandis que les autres se penchaient vers Boris, s'en était prestement emparé et l'avait dissimulée sous sa veste, puis subrepticement passé à Ghéridanisol.
Gide, Faux-monn.,1925, p. 1245. − P. ext. S'emparer par fraude, par d'habiles manœuvres. Le gouvernement escamote les droits et l'argent du populaire tout en jurant tous les matins de les respecter (Stendhal, L. Leuwen,t. 2, 1835, p. 256).En en [des Affaires Étrangères] sortant je dédaignai d'escamoter les fonds secrets (Chateaubr., Mém.,t. 4, 1848, p. 230): 3. Je pourrais, à ce sujet, vous citer cent traits d'infidélité de MM les Académiciens de Paris, (...) cent mémoires escamotés et publiés sans façon, sous le nom de ces déhontés plagiaires...
Marat, Pamphlets,Charlatans mod., 1791, p. 294. ♦ Emploi pronom. réfl. indir. Que de bassesses n'ont-ils pas faites à l'Académie des Sciences, de 1815 à 1830 et depuis, pour s'escamoter des croix (Stendhal, H. Brulard, t. 2, 1836, p. 265). B.− P. anal. ou au fig. 1. Passer quelque chose sous silence; cacher abusivement quelque chose. C'est à nous, maintenant, à faire assez de bruit autour de l'incident pour qu'on ne puisse pas l'escamoter (Martin du G., J. Barois,1913, p. 408).Pour éviter la tentation d'escamoter, en les hachant menu, n'importe quelles pertes d'exploitation, un décret a précisé, en 1955, l'objet de ces contrats (Chenot, Entr. national.,1956, p. 71).Beaucoup de morts cardiaques sont escamotées sous d'autres rubriques vagues, telles qu'urémie et, surtout, sénilité (R. Schwartz, Nouv. remèdes et mal. act.,1965, p. 79). − Escamoter qqc. dans qqc. : 4. On a dérobé le réel et le grandiose sous des enveloppes plus ou moins splendides, on a escamoté le cortège impérial dans le cortège militaire, on a escamoté l'armée dans la garde nationale, on a escamoté les chambres dans les Invalides, on a escamoté le cercueil dans la cénotaphe.
Hugo, Choses vues,1885, p. 27. 2. (Quasi-)synon. éluder, esquiver, tourner. a) Faire en sorte, par des manœuvres habiles ou des artifices, que quelque chose (de gênant) ne se produise pas, ne se déroule pas normalement. D'abord, il tâcha d'escamoter le vote en plaisantant, selon sa manœuvre adroite (Zola,
Œuvre,1886, p. 304): 5. Son discours (...) est de ceux qui peuvent le mieux éclairer l'opinion; un de ceux, par conséquent, qu'il importe d'escamoter si l'on veut conserver la direction de celle-ci.
Gide, Journal,1917, p. 615. b) Se soustraire à (une chose difficile, ennuyeuse ou délicate); éviter de traiter (un sujet délicat). Escamoter un problème, une difficulté. Les anomalies que tout rationalisme escamote ou dont il se détourne plus ou moins visiblement pour tisser sa toile conceptuelle (Marcel, Journal,1923, p. X).Il faut nous élever contre l'excès de profondeur qui escamote les questions (Nizan, Conspir.,1938, p. 65).Si je me mêle d'apporter à un problème sa solution, il ne faut pas du moins que j'escamote par cette solution même un des termes du problème (Camus, Sisyphe,1942, p. 49). 3. a) Effectuer, réaliser de façon trop rapide. À Paris on a l'habitude d'escamoter les enterrements qui se font toujours dans les vingt-quatre heures (Flaub., Corresp.,1872, p. 435).Scène que Céard a cherché à escamoter avec de la non-accentuation et de la célérité (Goncourt, Journal,1885, p. 500). b) Écourter (un processus, une action en plusieurs temps) en omettant d'(en) exécuter des étapes. Elle (...) se rendait au piano avec une sorte de hâte crispée, pour jouer, si l'on peut dire, certains airs dont elle escamotait toutes les finales (Céline, Voyage,1932, p. 149). − En partic., dans le domaine de l'expr. verbale.Ils rompaient, escamotaient, dénaturaient les alexandrins (Gide, Journal,1934, p. 1202).Il escamota la fin de sa phrase dans un accès de toux (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 246).Ma gorge en feu m'obligeait à escamoter des syllabes (Abellio, Pacifiques,1946, p. 322). − Par brachylogie, ARM., vieilli. Escamoter l'arme. ,,Supprimer, dans le maniement du fusil, certains mouvements voulus par l'ordonnance, afin d'exécuter les temps avec plus de promptitude`` (Ac. 1835, 1878). Rem. La docum. atteste le part. passé en emploi adj. Quand les heures s'enveloppent de causeries, on ne peut plus les mesurer, même les voir, elles s'évanouissent, et tout d'un coup c'est bien loin du point où il vous avait échappé que reparaît devant votre attention le temps agile et escamoté (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 350). Prononc. et Orth. : [εskamɔte], (j')escamote [εskamɔt]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1558 « faire disparaître subrepticement un objet » (P. Boaistuau, Théâtre du monde, 1. 2, fo40 ro; cf. Gdf. Compl.). Prob. empr. à un prov. escamo(u)tar qui n'est attesté qu'en prov. mod. (1785 d'apr. FEW t. 12, p. 216a), dér. de escamar « effilocher » qu'on suppose avoir signifié d'abord « écailler » (cf. ital. squamare, esp. port. escamar « écailler »), dér. de escama « écaillé » (dep. xiiies. d'apr. Pansier), issu d'un lat. vulg. d'abord *scama pour lat. class. squama (écaille*); à l'appui de cette hyp., v. ds FEW t. 12, p. 215b et 216a d'autres dér. occitans de escamar ayant tous en commun le sens « faire disparaître, ôter quelque chose ». Fréq. abs. littér. : 190. Bbg. Hotier (H.). Le Vocab. du cirque et du music-hall en France. 1973, p. 105. − Sain. Sources t. 1 1972 [1925], p. 328, 329, 409; t. 3 1972 [1930], p. 114, 350. |