| ENTENTE, subst. fém. A.− Rare. [Correspond à entendre I] Action d'entendre. Des hallucinations de l'ouïe, comme l'entente de la criée de la démission du Président (Goncourt, Journal,1896, p. 969). B.− [Correspond à entendre II] Compréhension de caractère intellectuel. 1. Domaine de la communication.[La compréhension a pour obj. un mot, un propos, un signe] Les lieux communs, clichés et grands mots, s'ils peuvent à tout instant prêter aux deux « ententes » opposées, sont une langue étrange, et comme double (Paulhan, Fleurs Tarbes,1941, p. 116). ♦ À double entente. Qui peut donner lieu à deux interprétations. (Quasi-)synon. ambigu.J'ai pendant la dernière heure une conversation à double entente avec Adèle et MmeRebuffet (Stendhal, Journal,1802, p. 49): 1. ... il régnait entre les neveux et l'oncle, une complicité, des plaisanteries occultes, des mots à double entente, tout un mystère où elle n'entrait pas.
Mauriac, Le Mystère Frontenac,1933, p. 111. − [Suivi d'un compl. désignant la pers. qui comprend ou les pers. qui (se) comprennent] Les mots, étiquettes des idées, ont été façonnés pour l'entente réciproque des humains (Huyghe, Dialogue avec visible,1955, p. 235). ♦ Proverbe, vx. L'entente est au diseur. ,,Celui qui parle, sait le véritable sens qu'il a voulu donner à ses paroles`` (Ac. 1798-1878). 2. Domaine de l'action a) [Avec déterm.] − [La compréhension a pour obj. une chose et peut se traduire dans le comportement] Une meilleure entente de qqc.; une fausse entente de qqc.; l'entente des affaires, du métier. Guerrier par le courage, par l'esprit de discipline, par l'entente des opérations et la science consommée du détail (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 8, 1863-69, p. 392): 2. Un ancien libertaire [A. Dunois dans l'Avenir international no6] a eu raison d'écrire :
« Ce qui manque à Marx, c'est une certaine entente de la psychologie. Il n'a eu le sens très affiné ni de l'individu, ni des valeurs morales, ni de la liberté ».
Bloch, Destin du Siècle,1931, p. 244. − [La compréhension, a pour obj. une techn. et peut se traduire dans la création artistique] Entente dramatique; l'entente du coloris, du clair-obscur, de la composition. (Quasi-)synon. compétence (en matière de), le sens (de).Delacroix (...) montre une entente de la peinture décorative que nul n'a surpassée (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 24).Une œuvre des plus curieuses atteignant souvent à la perfection dans l'entente décorative (Mauclair, Maîtres impressionn.,1904, p. 192). b) [Sans déterm.] J'avais montré de l'entente dans des matières qu'on m'avait supposé ignorer (Chateaubr., Mém.,t. 3, 1848, p. 255).Toute la partie du costume, du mobilier, et des autres accessoires, est traitée avec ce tact, ce goût, cette entente qui n'appartiennent qu'à l'artiste (Castagnary, Salons,1863, p. 112). C.− [Correspond à entendre II A 2 b] Accord. Entente de qqn et de qqn, de qqn avec qqn; entente de plusieurs pers., entre qqn et qqn, entre plusieurs pers. 1. [Entre particuliers] a) Domaine des relations affectives.Fait de s'accorder en raison d'une communauté de vues, d'une conformité de sentiments; état d'accord profond. Bonne entente; entente parfaite; l'entente règne. (Quasi-)synon. affinité, harmonie, union.Jamais je n'avais vu entre un homme et une femme une entente aussi entière : ils répondaient exactement à mon idéal du couple (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 298): 3. À chacune de leurs paroles, ils s'approuvaient d'un léger signe, comme si toutes leurs pensées eussent été communes. C'était une entente absolue, intime, venue du fond de leur être...
Zola, Une Page d'amour,1878, p. 882. − État de bonne intelligence, plus ou moins durable. Rétablir l'entente. La bonne entente ne durait guère. Bientôt on les entendait se chamailler (Dabit, Hôtel Nord,1929, p. 134). − En partic., domaine de l'amour ♦ Accord de caractère physique. Entente charnelle. Lente découverte de l'amour. Entente des corps (Maurois, Climats,1928, p. 181). ♦ Liaison (avec une idée de durée et de précarité dans la durée). Elle avait du sang américain et nous connûmes à l'époque même de notre entente une mésentente profonde (Cocteau, Potomak,1919, p. 316). − P. métaph. Harmonie qui s'établit entre des choses. Entre le fauteuil crapaud et l'austère bibliothèque, une entente s'était créée de bonne grâce (Colette, Pays connu,1949, p. 38).Vieille entente, parfois en sommeil, jamais oubliée de la pierre, de la ville et son peuple (Arnoux, Roi,1956, p. 11). b) Fait de se mettre d'accord sur un point particulier, accord temporaire ou durable fondé sur une communauté de principes ou d'intérêts. Entente sur qqc., contre qqc.; entente amiable. Comme il faut de l'ordre et de l'entente contre le feu, contre l'eau, contre le banditisme, contre les maladies (Alain, Propos,1912, p. 141). SYNT. Établir, négocier, nouer une entente; arriver à une entente, après entente avec. ♦ Expr. fig. (Chercher, trouver un) terrain d'entente. Base, sujet sur lequel un accord peut être réalisé entre deux parties qui s'opposent. Je n'éprouvais aucune hostilité contre les Juifs, mais entre eux et moi le terrain d'entente se réduisait à peu de chose (Green, Journal,1936, p. 51). c) Complicité. − Sans idée péj. Compréhension réciproque entre des êtres. Entente secrète, tacite. Il existait entre Nicolas et sa proie [la Péchina] la même entente qu'entre le chasseur et le gibier (Balzac, Paysans,1844-50, p. 203). ♦ (Air, regard, sourire) d'entente. Synon. complice.Après un sourire d'entente au porteur ahuri, le Tarasconnais (...) s'allongea sur la planche (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p. 188). ♦ Au plur., rare. Moyens permettant à des personnes de se mettre d'accord pour régler leur conduite à l'insu des autres. Bientôt ils eurent leurs ententes. Guillaume était prévenu des heures où la Sarrasine se promenait dans les jardins (Barrès, Jard. Oronte,1922, p. 57). − Péj. Complicité qu'un individu noue au détriment du milieu auquel il appartient. Soupçonner, accuser qqn d'entente avec l'ennemi. Comment expliquer cette entente monstrueuse entre un traître et notre chef d'état-major? (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 361). 2. [Entre particuliers et administrations ou groupements professionnels] ADMIN. MÉD. ♦ Entente directe. Mode de fixation des honoraires par accord direct entre le praticien et l'assuré, s'opposant au système conventionnel (cf. Organ. hospit. Fr., 1957, pp. 16-18). ♦ Entente préalable. Procédure d'accord entre une Caisse de Sécurité sociale et un assuré concernant le remboursement d'actes médicaux inhabituels ou particulièrement coûteux (d'apr. Sournia 1973 et Méd. Flamm. 1975). Demande d'entente préalable. 3. [Entre administrations] ADMIN. Entente interdépartementale. Organisme créé par plusieurs collectivités départementales pour la gestion de services communs (cf. Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p. 331). 4. [Entre entreprises ou firmes] ÉCON. Accord (implicite ou explicite, limité ou global) entre deux ou plusieurs entreprises pour harmoniser leur politique en vue de limiter la concurrence (d'apr. Bern.-Colli 1975). Ententes économiques, industrielles, professionnelles; entente des producteurs; cartels d'entente. (Quasi-)synon. cartel, consortium.Il rêvait une alliance, une entente des petits détaillants pour tenir tête au colosse (Zola, Bonh. dames,1883, p. 411).Il faudrait s'entendre entre débitants, mais l'entente est si difficile, même dans l'intérêt général! (Barbusse, Feu,1916, p. 86): 4. Le monopole partiel peut très vraisemblablement imposer une entente aux petites firmes satellites ou y prendre des participations, en employant ses réserves accumulées.
Perroux, L'Écon. du XXes.,1964, p. 151. − Avec une nuance péj. (on considère le tort que l'entente occasionne soit à un particulier, soit à une collectivité) : 5. Les marchands de bestiaux (...) s'entendent pour faire des propositions en baisse à mesure que l'heure avance. Le paysan constate que les occasions de faire une bonne vente à la foire se raréfient, il prend conscience de son impuissance face à l'entente des maquignons qui concrétise pour lui la puissance des mécanismes rigides du marché.
Wolkowitsch, L'Élev. dans le monde,1966, p. 168. ♦ Prohibition des ententes (stipulation du Traité de Rome de 1957 en matière de Marché commun, art. 85 et 86, cf. Cida 1973 et Barr. 1974). 5. [Entre nations] POL. Rapprochement, parfois stipulé sous forme de traité ou d'alliance, entre deux ou plusieurs gouvernements pour suivre une politique commune. Entente franco-anglaise; entente militaire; l'entente des puissances. (Quasi-)synon. accord diplomatique, alliance, coalition, coopération.L'homme de gauche croit (...) à l'entente internationale qui empêchera les guerres (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 168): 6. Un ancien président du Conseil roumain, M. Carp, avait annoncé qu'une entente verbale existait entre la Roumanie, l'Autriche et l'Allemagne contre la Russie. Le prix de cette entente devait être la Bessarabie.
Joffre, Mémoires,t. 1, 1931, p. 110. ♦ L'entente cordiale (souvent avec une majuscule au sens mod.). [Au xixes.] Bons rapports établis entre l'Angleterre et la France après 1840. [Au déb. du xxes.] Rapprochement franco-britannique sanctionné par des accords en 1904. Il m'est très difficile d'aller à Londres, car, depuis l'entente cordiale, la police Bonaparte-Palmerston nous guette (Hugo, Corresp.,1854, p. 187).L'entente cordiale fut un chef-d'œuvre de la diplomatie, tout artificiel (Mauriac, Nouv. Bloc-notes,1961, p. 242). ♦ La Triple(-)Entente ou absol. l'Entente. Alliance établie entre la France, l'Angleterre et la Russie avant la guerre de 1914. Cette révolution leur a paru faire plus ou moins le jeu des puissances dites libérales : France et Angleterre; de la Russie indirectement, étant donnée la Triple-Entente (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 107).P. méton. Le groupement constitué par l'Entente. Les armées, les forces, les puissances de l'Entente; la politique de l'Entente. Wilson aura fort à faire contre les hommes d'État de l'Entente, pour peu que la victoire des Alliés ne soit pas exclusivement américaine (Martin du G., Thib.,Épil., 1940, p. 992). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃tɑ
̃:t]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1121-34 « attention, préoccupation » (Ph. de Thaon, Bestiaire, 2897 ds T.-L.) − 1660, Oudin Fr.-Esp.; 2. a) ca 1170 « intelligence, compréhension » (M. de France, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 157); b) fin du xiiies. « sens, interprétation » (Isopet de Lyon, 441 ds T.-L.); 3. 1831 « accord, bonne intelligence » (Balzac, Peau chagr., p. 268). Du part. passé fém. subst. lat. *intendita, pour intenta, de intendere (entendre*) (cf. le part. intenditus relevé chez Fronton ds TLL s.v. intendo, 2113, 23). Fréq. abs. littér. : 772. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 179, b) 444; xxes. : a) 1 349, b) 2 080. |