| ENTENDRE, verbe trans. I.− Domaine de l'audition A.− [Le suj. a une attitude passive, son oreille est frappée par un son ou un bruit perceptible dans son aspect purement physique ou dont on ne retient que l'aspect physique] Percevoir par l'oreille. 1. [Le compl. d'obj. est un subst.] a) [L'objet de la perception est un bruit dont on identifie plus ou moins bien l'orig., la nature]
α) [L'obj. désigne le bruit directement, souvent en le spécifiant] Entendre un cri; entendre un bruit (de), n'entendre aucun bruit. Le tiers-point et la lime sonnent, et on entend aussi le cliquetis des anneaux bruts d'aluminium (Barbusse, Feu,1916, p. 191).Bientôt je commençai à entendre sa respiration égale (Proust, Prisonn.,1922, p. 360).Sans doute, en entendant des pas, l'homme suivant mon conseil s'était réfugié dans les granges (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 238).
β) [L'obj. désigne le bruit indirectement par la source de ce bruit (personne, animal, élément naturel, instrument, arme, machine, etc.)] Entendre le rossignol, les grillons, le tonnerre, le cor, la cloche. J'entendais les grives dans le lierre du peuplier carolin (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 19).Elle n'était descendue qu'en entendant la voiture (Sagan, Bonjour tristesse,1954, p. 28). SYNT. Entendre les battements de son cœur, un râle, une toux; entendre des aboiements, un bourdonnement, des clameurs, des sanglots, des craquements, un grincement, un piétinement, un sifflement, le ronron (d'une voix), le tic-tac (d'une montre); pénible à entendre; empêcher d'entendre; entendre à peine, confusément, faiblement, vaguement, clairement, distinctement, nettement, parfaitement. − Emploi pronom. à sens passif : 1. Ainsi secoué par elle, le vieil instrument, dont les cordes frisaient, s'entendait jusqu'au bout du village si la fenêtre était ouverte, ...
Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, p. 46. ♦ Se faire entendre. (Quasi-)synon. de être entendu (mais plus expressif, avec insistance sur l'effort ou sur l'événement qui se produit).Enfin, un mouvement de pas se fit entendre en dehors du cachot (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 546).Mais vient un moment où un chant trop uniforme ne se fait plus entendre et où il faut un cri pour attirer l'attention (Mounier, Traité caract.,1946, p. 732). − Expressions ♦ Faire entendre un son (un cri, un rire). Faire en sorte qu'on l'entende. (Quasi-)synon. émettre.Augustin fit entendre ce léger hum! nasal qui ressemble à un petit rire triste (Malègue, Augustin,t 2, 1933, p. 254). ♦ Entendre qqc. de ses (propres) oreilles (pour souligner l'authenticité d'un témoignage). Je ne fais que raconter en témoin ce que j'ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles (Tocqueville, Corresp.[avec Henry Reeve], 1851, p. 122): 2. En ce moment-là, ô prodige! j'ai entendu, mais entendu de mes propres oreilles, ce qui s'appelle entendu, un vague frémissement métallique, le son faible et à peine distinct d'une cloche, ...
Hugo, Le Rhin,1842, p. 131. − Proverbe. Qui n'entend qu'une cloche n'entend (ou n'a) qu'un son. Une opinion qui ne se fonde que sur une seule version des faits est sujette à caution : 3. Il paraît que ce grabuge a été causé précisément par votre bonhomme de musicien, qui a voulu déshonorer, par vengeance, la famille du président. Qui n'entend qu'une cloche n'a qu'un son... Votre malade se dit innocent, mais le monde le regarde comme un monstre...
Balzac, Le Cousin Pons,1847, p. 183. b) [L'objet de la perception est la parole hum.]
α) [L'obj. désigne une pers.] Mais entrez donc, on nous entend de tout l'escalier (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 151).− Oui, docteur... Allo, docteur, je ne vous entends pas bien (Simenon, Vac. Maigret,1948, p. 164). ♦ Emploi pronom. réfl. : 4. Il est rare que l'on reconnaisse sa propre voix, voyez-vous, lorsqu'on l'entend pour la première fois.
− Le phono déforme?
− Ce n'est pas cela, car chacun reconnaît sans peine la voix des autres. Mais on n'a pas l'habitude, voyez-vous, de s'entendre soi-même...
Malraux, La Condition humaine,1933, p. 190. − Expression ♦ [Avec une idée d'agacement] On ne s'entend pas/plus. ,,Le bruit empêche ceux qui veulent converser d'entendre mutuellement leurs paroles`` (Ac. 1835-1932). − Avec le vacarme de la rue, on ne s'entend plus (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1060).On n'entend que (qqn). C'est toujours la même personne (dans un groupe) qui parle. À jeun, je parle. À jeun on n'entend que moi (Giraudoux, Électre,1937, I, 4, p. 78).Il faut l'entendre : 5. ... à présent, elle tremblait, car son affaire était claire, si on la pinçait encore. Il fallait l'entendre. Les agents, pour avoir des gratifications, arrêtaient le plus de femmes possible; ...
Zola, Nana,1880, p. 1314. ♦ [Avec une idée de réprobation, parfois iron.] Si (qqn) vous entendait. − Voulez-vous vous taire? Si ma femme vous entendait! (Proust, Sodome,1922, p. 922).
β) [L'obj. désigne ce qui est dit] Entendre une conversation, un mot, une question, une réponse; n'avoir jamais rien entendu de pareil, d'aussi drôle. Leurs yeux sont morts et leurs lèvres sont molles, Et l'on entend à peine leurs paroles (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 1, Fêtes gal., 1869, p. 97).« Assassin!... Assassin! » qu'elle m'a appelé (...). La fille en entendant ça elle avait comme peur que je la bute sur place sa mère (Céline, Voyage,1932, p. 560). − Expressions ♦ [Avec une idée d'authenticité] Entendre qqc. de la bouche de qqn. Beaucoup de gens allèrent se faire inscrire chez Mmede Villefort afin d'avoir le droit de renouveler leur visite en temps utile et d'entendre alors de sa bouche tous les détails de cette pittoresque aventure (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 702). ♦ [Avec une idée de divulgation large, mais indéterminée] Dire à qui veut l'entendre. Je disais aussi, à qui voulait l'entendre, mon regret qu'il ne fût plus possible d'opérer comme un propriétaire russe dont j'admirais le caractère (Camus, Chute,1956, p. 1520). − [Dans des énoncés de la lang. parlée, souvent fam.] ♦ En entendre. Essuyer des reproches. Il eût fait beau voir qu'un camarade invoquât l'amour pour s'excuser d'un retard dans le service, il en eût entendu (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 242). ♦ En entendre de vertes et de pas mûres, en entendre de raides (p. ell. de histoires). Les quatre messieurs avaient fini par verser du vin fin à une demi-douzaine de ménages, rêvant de les griser, pour en entendre de raides (Zola, Nana,1880, p. 1303). ♦ En entendre (bien) d'autres (p. ell. de choses). Parlez-moi comme on parle à un mur (...). D'ailleurs, j'en ai entendu bien d'autres! (Bernanos, Joie,1929, p. 641). ♦ Ce qu'il faut entendre! Qu'est-ce qu'il faut pas entendre! Cf. Queneau, Zazie, 1959, p. 117. ♦ Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd! (p. iron. pour marquer son désaccord avec ce qui vient d'être dit). Et le gaullisme peut être un régime anticapitaliste si des hommes de gauche en prennent les commandes. − Il faut mieux entendre ça que d'être sourd, dit Henri; mais c'est tout juste! (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 459). 2. [Le compl. d'obj. est une forme verbale ou un syntagme verbal] a) [Le suj., agent du procès (différent de celui d'entendre), n'est pas exprimé] En m'entendant annoncer, elle se leva par un mouvement brusque (Balzac, Gobseck,1830, p. 424).J'ai entendu remuer dans les broussailles, et il m'a semblé que c'était un pas de biche (Musset, On ne badine pas,1834, II, 5, p. 37). ♦ Entendre dire qqc. Tout à l'heure j'ai entendu dire que les pêcheurs venaient de ramasser dans l'eau une jeune fille (Claudel, Soulier,1929, 4ejournée, 11, p. 927).Ce qu'il faut entendre dire! et par une jeune personne qui dit au premier venu qu'il est beau! (Giraudoux, Apollon,1942, 5, p. 58). ♦ Entendre parler de qqn, de qqc. Avoir des nouvelles de quelqu'un, être informé de quelque chose. Je serais venu sûrement, si j'avais entendu parler d'un crime dans le quartier (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 134).Vous n'entendriez plus parler de moi, si vous le désiriez (Montherl., J. filles,1936, p. 1001). ♦ Ne pas vouloir en entendre parler. Rejeter quelque chose sans même l'examiner. Cette visite m'effraye (...). Tu m'as dit que ta mère ne voulait pas en entendre parler. Une minute après, elle se décide (Cocteau, Par. terr.,1938, II, 1, p. 236). b) [Le suj., agent du procès, est exprimé]
α) [Dans une prop. rel.] Je l'entendis qui parlait longuement à son cheval (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 168): 6. On n'entend aucun ruisseau, aucune chute; on n'entend que le vent qui souffle là rude et violent, ...
Pesquidoux, Le Livre de raison,1925, p. 178.
β) [Dans une constr. part.] Rare. Ne t'ai-je pas entendu causant avec Lisbeth du baron Montès (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 361).
γ) [Dans une constr. inf.] − [Le suj. précède l'inf.] On n'entendait que la pluie tomber sur le pavé (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 233).Quand il entendait son fils chanter dans la maison, il lui semblait que la maison volait par les airs (Montherl., J. Filles,1936, p. 989). ♦ Expressions ♦ Ne pas entendre Dieu tonner (pour souligner que quelqu'un est sourd ou que le bruit environnant est assourdissant). Faisant un vacarme à ne pas entendre Dieu tonner (Mérimée, Carmen,1847, p. 32). ♦ Entendre qqn venir avec ses gros sabots. Au fig. (pour souligner que les intentions de quelqu'un sont trop claires) : 7. Dès lors Mathilde avait été en alerte : Félicité n'avait jamais su cacher son jeu, et sa belle-fille se flattait de « l'entendre toujours venir de loin avec ses gros sabots. »
Mauriac, Génitrix,1923, p. 367. − [Le subst. suit l'inf.] Je me mis au travail, sans répondre; et bientôt on entendit craquer la paille, et grincer le rouleau sur son essieu de fer (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 163). ♦ Expr. Entendre voler une mouche (au cond., pour souligner le silence régnant dans un lieu). Si profond était le recueillement de la foule immobile sur les gradins, qu'on eût entendu voler une mouche dans l'enceinte (Cladel, Ompdrailles,1879, p. 136). Rem. 1. Quand l'inf. qui suit entendre est un verbe d'affirmation l'agent du procès qu'il exprime peut être construit soit directement entendre qqn dire qqc., l'entendre dire qqc., soit indirectement entendre dire à qqn qqc., lui entendre dire qqc., la constr. indir. présentant un caractère plus recherché. J'ai entendu dire la même chose au roi, il y a seize ans (Vigny, Journ. poète, 1846, p. 1243). Cf. aussi dire ex. 1. 2. Comme le souligne Littré, la constr. j'ai entendu dire à qqn, je lui ai entendu dire est amphibologique, car elle peut signifier aussi bien j'ai entendu qu'il disait que j'ai entendu qu'on lui disait. Ainsi dans l'ex. de Vigny (supra) seul le cont. permet de déterminer qu'il s'agit d'une phrase prononcée par le roi et l'ambiguïté de la phrase : je m'entendis répondre : − oui ... (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 364) n'est levée qu'à l'aide du cont. qui fait apparaître que le suj. de répondre est le même que celui d'entendis.
δ) [Dans une prop. complétive (+ ind. ou cond.)] − [L'obj. de la perception est un bruit] Le silence de la seule voix qui importât pour eux, les détournait d'entendre que le reste du monde les acclamait (Mauriac, Journal 1,1934, p. 6). − [Le compl. d'obj. désigne ce qu'on apprend par ouï-dire] Ayant entendu des médecins qu'un air salubre exercerait une action bienfaisante sur sa santé (D'Esparbès, Chevauchée Gd S.,1937, p. 11).
ε) [Le compl. d'obj. désigne ce qu'on apprend par ouï-dire : Par un énoncé en discours dir. (p. ell. de ces mots ou du verbe dire)]. De temps en temps, on entendait : « passez-moi le sel. » (Renard, Journal,1895, p. 259): 8. Et tout à coup je faisais silence, je m'arrêtais, attentif, quand dans le lointain j'entendais : − gâteaux, gâteaux, mes bons gâteaux tout chauds!
Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 102. 3. Emploi abs. Percevoir les sons produits par les ondes sonores qui frappent le tympan : 9. L'audition est l'impression produite par les mouvements oscillatoires sur les organes de l'ouïe; (...) s'ils arrivent jusqu'à notre oreille nous en percevons une image exacte et fidèle en un mot, nous entendons; ...
Kastner, Gramm. mus.,1837, p. 1837. a) [En réponse à la question implicite : son ouïe fonctionne-t-elle normalement? Fait habituel (ant. et post. à la situation présente) qui concerne le fonctionnement normal du sens de l'ouïe] Jouir (plus ou moins bien) du sens de l'ouïe. ♦ Entendre exactement, juste. Synon. de avoir l'oreille musicale.Oui, il faut entendre d'abord, entendre bien exactement et juste, pour pouvoir reproduire (Melchissédec, Pour chanter,1913, p. 121). ♦ Entendre mal (usuel), entendre dur (vx). Être un peu sourd. Les étourdissements surtout m'inquiètent, la vue baisse, j'entends mal (Bernanos, Imposture,1927, p. 489). Rem. Le part. prés., empl. subst. s'écrit en 1 mot un malentendant*. ♦ Ne pas entendre. Être sourd. Mais moi, je suis sourde et je n'entends pas! (Claudel, Annonce,1912, III, 3, p. 77). − Au fig., vieilli. Ne pas entendre de cette oreille. Feindre d'ignorer une demande, agir à l'encontre de ce qui est souhaité. Il était le gendre rêvé. Malheureusement, Gaspard ne paraissait pas entendre de cette oreille (Sandeau, Sacs,1851, p. 11). − Loc. Avoir des oreilles pour ne pas entendre, p. allus. à la Bible (notamment Ézéchiel XII 2, Marc VIII 18). Se refuser par obstination au témoignage de l'évidence : 10. Eveline (...) sortit de cette épreuve méconnaissant la grâce de Dieu et plus entêtée qu'auparavant, pareille à ceux que signale l'Écriture, qui ont des yeux pour ne point voir, des oreilles pour ne pas entendre...
Gide, Robert,1930, p. 1340. − Proverbe. (Il n'y a ou il n'est) point de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre : 11. « L'Empereur sait − mieux que personne − l'innocence de Dreyfus; et (...) il cherche à le crier aussi souvent et aussi haut qu'il le peut. « Il n'y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre... »
Martin du Gard, Jean Barois,1913, p. 423. b) [En réponse à la question implicite : perçoit-il ce qui est dit au moment du discours? Fait relatif à la situation actuelle, le compl. est suggéré par le cont. ant. et concerne en gén. des paroles] Ne pas avoir bien entendu, avoir entendu de travers. J'ai du coton dans les oreilles, j'ai peut-être mal entendu, répète ce que tu as dit (Hugo, Travaill. mer,1866, p. 420).Otto attendit une réflexion de Christophe; mais celui-ci semblait n'avoir pas entendu (Rolland, J.-Chr.,Matin, 1904, p. 164).San Antonio entend très mal à cause des parasites. J'entends mal aussi (Saint-Exup., Vol nuit,1931, p. 114). − En partic. [En prop. incise sous forme interr. ou exclam., avec ou sans inversion du suj., pour attirer l'attention de l'interlocuteur sur un mot, un propos, pour appuyer un avertissement] Vous entendez? Entendez-vous? Vous entendez (bien)! Tu n'as rien d'elle, rien de rien, entends-tu? ni la couleur des cheveux, ni le grain de la peau, ni l'odeur, ni un geste, ni une inflexion de voix (Mauriac, Mal Aimés,1945, p. 194).Qu'est-ce qu'il dit, qu'on va rentrer chez nous, bien sûr qu'on va rentrer chez nous, merde, Julien, t'entends, on rentre chez nous (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 202): 12. « Julie, dit-il, je ne te permets point de parler ainsi de ta maîtresse. Tu entends, n'est-ce pas? ne l'oublie plus à l'avenir. »
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 2, M. Parent, 1886, p. 590. Rem. Dans cet emploi, à l'idée de la perception du propos, s'ajoute celle de sa compréhension (on pourrait parfois remplacer la formule par le synon. fam. compris?). 4. P. ext. a) [L'obj. de la perception par le suj. n'est pas contrôlable par autrui] Je ne dois pas mourir sans avoir fait rugir quelque part un style comme je l'entends dans ma tête (Flaub., Corresp.,1852, p. 440).Vous développerez votre faculté d'entendre dans le silence les sonorités simultanées que font les accords (Koechlin, Harm.,t. 1, 1927, p. 2). ♦ Entendre des cloches. Avoir la tête qui bourdonne (souvent après un coup). De prêter comme ça l'oreille lui faisait entendre des cloches (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 170). ♦ Entendre des voix. Elle était immobile, l'œil fixe, comme si elle avait entendu des voix (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 344). b) [L'obj. de la perception est un fait de mémoire ou d'anticipation] ♦ (Croire) entendre encore, toujours; il me semble entendre encore. Mais le bon chevalier (...) me fit un signe de la tête Et me cria (j'entends encore cette voix) : « Du moins, prudence! Car c'est bon pour une fois. » (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 1, Sagesse, 1881, p. 182). ♦ Entendre d'avance, d'ici, déjà. J'entends d'avance l'objection (Flaub., Corresp.,1859, p. 363).J'entends le lecteur qui se récrie (Thibaudet, Réflex. litt.,1936, p. 258): 13. J'entends d'ici MmeLouise : « Votre neveu s'est toqué de MmeAlfieri... »
Bernanos, Un Mauvais rêve,1948, p. 878. c) P. anal. Percevoir une chose par une voie autre que celle de l'oreille. L'œil qui entend (Pourtalès, Vie Liszt,1925, p. 88).Vous avez devant vous des spectateurs-auditeurs qui entendent aussi bien par les yeux que par les oreilles (Wicart, Orateur,1936, p. 382). − En partic. Percevoir une chose dont l'appréhension ne relève pas du sens de l'ouïe (inanimé concret, pensées, désirs). Entendre pousser l'herbe, entendre son âme. Il [l'ouvrier] marche sous l'averse, sans la sentir, n'entendant que sa faim (Zola, Contes Ninon,1864, p. 113).C'est aux repas qu'il [le « Monsieur-seul »] me gêne le plus, parce que je l'entends penser à moi pendant qu'il mange (Colette, Entrave,1913, p. 12).Il y a tout d'un coup tellement de silence qu'on entend marcher la fumée (Giono, Gd troupeau,1931, p. 248). B.− [Le suj., tout en percevant par l'oreille des sons, a une attitude active en prêtant attention au contenu de ce qu'il perçoit] 1. Prendre connaissance de quelque chose. a) [L'obj. désigne soit un propos, un message, un rapport destiné au suj., soit la pers. qui le lui adresse] Ce sont là de ces choses qu'il ne faut pas entendre (Sainte-Beuve, Poisons,1869, p. 24).Chaque compagnie était convoquée immédiatement à l'effet d'entendre son capitaine (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 4, L. Leclercq, 1886, p. 132): 14. Jean Valjean l'écoutait sans l'entendre. Il entendait la musique de sa voix plutôt que le sens de ses paroles; ...
Hugo, Les Misérables,t. 2, 1862, p. 729. − Spécialement ♦ ADMIN. Le Conseil (des Ministres/d'État) entendu, après consultation du Conseil. Le Président de la République française, sur le rapport du Ministre des Travaux publics; vu la loi du (...); le Conseil d'État entendu, décrète (Code pêche fluv.,1875, p. 53). ♦ DR. Recueillir les dépositions d'un témoin, d'un accusé dans une des phases de la procédure de jugement. Citoyens, je demande que la citoyenne Tison soit entendue; je demande qu'elle parle (Dumas père, Chev. Maison-Rouge,1847, II, 3, p. 86).− Non, non, il convient d'entendre d'abord la fille de vaisselle. Nous allons savoir par elle (Giraudoux, Ondine,1939, III, 4, p. 208).Une cause est entendue. Une cause est jugée (après audition des témoins, du procureur, des avocats et des juges). Cf. cause I B 1 et, pour le sens p. ext., entendu II C 2. ♦ RELIG. [En parlant d'un prêtre] Entendre qqn (en confession); entendre la confession de qqn. Elle l'entraîna dans la chapelle, où fra Cattaneo l'entendit en confession (France, Puits ste Claire,1895, p. 252).Je n'ai pas besoin de confidences qui vous font souffrir et je ne suis pas un prêtre pour entendre votre confession (Bloy, Femme pauvre,1897, p. 201). b) [Le suj. assiste comme auditeur à une représentation, qui ne lui est pas particulièrement destinée] Entendre une conférence, un concert, un opéra. Et cette merveille du grand rire, « Les Héritiers de Rabourdin, » quatre actes de Zola, qu'il faut entendre (Mallarmé, Dern. mode,1874, p. 790). ♦ Entendre la messe. Assister à sa célébration. Petite pièce terrible où ils entendaient la messe avant de se mettre en route [pour l'échafaud] (Green, Journal,1935, p. 31). − [P. méton. de l'obj.; le compl. désigne un acteur, un conférencier, un musicien] Entendre qqn jouer, parler. Quand j'ai entendu Talma, j'attends que le feuilleton me dise qu'il a bien joué (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 65).On m'a dit que vous étiez musicien, et j'ai eu envie de vous entendre... Voulez-vous vous mettre au piano? (Feuillet, Scènes et prov.,1851, p. 157). 2. Accueillir avec sympathie les propos de quelqu'un et agir en conséquence. a) [Entendre + compl. d'obj. dir.]
α) De manière à comprendre quelqu'un, à donner son adhésion à ce qu'il dit. Quelqu'un m'avait entendu, compris. Nous nous étions rejoints (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 286). ♦ À l'entendre. Si on l'en croit. La semaine ne pouvait, à l'entendre, se passer sans que nous allions à Doncières (Proust, J. filles en fleurs,1918, p. 867).
β) De manière à satisfaire une demande. − [Le compl. désigne une pers.] :
15. − Oh! encore, dit Rodolphe. Ne partons pas! restez! (...) − J'ai tort, j'ai tort, disait-elle [Emma]. Je suis folle de vous entendre.
Flaubert, Madame Bovary,t. 1, 1857, p. 183. − [Le compl. désigne une chose] ♦ Ne vouloir rien entendre. Mais je suis un infirme aussi, de ces mauvais qui ont leur idée et qui ne veulent rien entendre (Claudel, Otage,1911, II, 1, p. 252). ♦ Entendre la voix de la raison, entendre raison. Prêter attention à des conseils judicieux, avoir un comportement dicté par la raison. − Puisque tu ne veux entendre raison, je saurai bien te soustraire à cette influence (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 145): 16. C'est le malheur des temps où toutes les passions sont follement déchaînées qu'on ne veut pas entendre la voix de la raison, qu'on s'injurie, qu'on s'accuse.
Clemenceau, L'Iniquité,1899, p. 208. ♦ ,,N'entendre ni rime, ni raison. Refuser par humeur, par entêtement, etc. de se rendre aux propositions les plus raisonnables`` (Ac. 1798-1878).
γ) [En parlant de la puissance divine] De manière à exaucer quelqu'un, une prière. Dieu vous entende! Que le ciel vous entende! Oh! que le ciel et l'enfer m'entendent, et qu'ils soient tous maudits (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 446).Dans un jour de prospérité qui ne tardera pas à se lever pour toi, si Dieu daigne entendre les prières que je lui adresserai journellement (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 335). b) [Entendre + compl. d'obj. indir.] Vieilli ♦ Ne savoir auquel entendre. ,,Avoir affaire à plusieurs personnes à la fois et éprouver quelque embarras à les satisfaire`` (Ac. 1835-1932). Synon. ne savoir à qui entendre (Ac. 1932).Et son idée lui réussissait, car il ne savait plus auquel entendre. En effet, les villageois, qui avaient chaud, se disputaient ces sièges (Flaub., MmeBovary,t. 1, 1857, p. 159). ♦ Ne vouloir entendre à rien. Et elle dit tout ce qu'elle put imaginer pour le consoler. Il ne voulait entendre à rien (Sand, Pte Fad.,1849, p. 36). II.− Domaine de l'intellection, en gén. dans la lang. soutenue A.− Comprendre, indépendamment de la perception physique. 1. [Le compl. désigne une chose] Saisir intellectuellement la signification, la portée de quelque chose. a) [Le compl. est un subst.] Daubenton le représente [Buffon] comme n'ayant pas bien entendu la méthode de Linné (E. Perrier, Philos. zool. av. Darwin,1884, p. 56): 17. Ces hommes qui passent leur temps à établir des textes, l'idée ne leur viendra jamais de servir un texte, d'entendre un texte...
Péguy, Clio,1914, p. 199. − Emploi pronom. à sens passif. Être compris. Il se gardera pourtant de la frapper [sa femme] et de la maltraiter (...) car elle a deux vengeances toutes prêtes. L'une s'entend assez; l'autre est le poison (France, Rabelais,1924, p. 15). b) [Le compl. est une prop. interr.] Il fut besoin d'un peu de temps pour que Madeleine entendît ce que son mari voulait dire (Sand, F. le Champi,1850, p. 77). − P. ext. Comprendre quelque chose par intuition. Qui l'obligeoit à se battre, ce vieux roi aveugle? L'honneur : toute l'armée entendra ceci (Chateaubr., Mél. pol.,1816-24, p. 126). − Expressions ♦ Entendre (qqc.) au premier mot. Comprendre dès la première explication. À six ans, M. le curé lui enseigna lui-même à lire [à Méniquette] (...) je la menais garder la chèvre dans les champs, lui montrant à coudre, à tricoter, à filer (...) Elle entendait toutes choses au premier mot, cette petite tête (Fabre, J. Savignac,1863, p. 167). ♦ Entendre la plaisanterie, entendre raillerie. Savoir accepter une plaisanterie, une raillerie quand on en est l'objet. Bon! bon! Riez à votre aise; j'entends raillerie (Ponsard, Honn. et argent,1853, II, 7, p. 46).On le blaguait. Il entendait la plaisanterie (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 102).P. ext. Ne pas entendre raillerie sur qqc. Ne pas admettre que l'on prenne quelque chose à la légère. Cf. assassiner ex. 6. ♦ Entendre (ou n'entendre pas) la devise (vx). ,,Se laisser (ou non) conter fleurette`` (Rat, Vieilles loc., mais qui vivent toujours ds Déf. Lang. fr., 1965, no27, p. 10). ♦ Faire entendre, donner à entendre, laisser entendre (qqc. à qqn). Induire plus ou moins explicitement quelqu'un à comprendre quelque chose. Il ne veut même point dire, ni laisser entendre que le miracle lui fera plaisir (Alain, Propos,1923, p. 467).Il m'a fait entendre quelque chose de ce genre une fois, à sa manière étrange et détournée (Claudel, Soulier,1929, 1rejournée, 5, p. 670).Quelques mots brefs, presque durs, m'ont aussi donné à entendre qu'elle regrettait ses confidences de l'autre nuit (Gracq, Beau tén.,1945, p. 44). Rem. 1. Au lieu de laisser entendre, on dit aussi, plus rarement, laisser à entendre, p. anal. avec donner à entendre. Je laisse donc à entendre dans mon article que... (Musset, Lettres Dupuis Cotonet, 1837, p. 751). 2. On rencontre ds la docum. un emploi subst. de l'inf. laisser entendre. Il n'y a cependant rien d'officiel, tout est en demi-mots; même moins que cela : en laisser entendre (Stendhal, Journal, 1805, p. 197). − Loc. fam. Entendre ce que parler veut dire. Comprendre la signification d'une chose dite à mots couverts. Synon. plus cour. savoir ce que parler veut dire.Il me faut du poussier (...) ou si tu aimes mieux, je t'enverrai des chalands de la préfecture... Tu entends ce que parler veut dire (Vidocq, Mém.,t. 2, 1828-29, p. 227). 2. [Le compl. désigne une pers.] a) Par un acte d'attention particulier, réussir à comprendre la pensée de quelqu'un, les mobiles de ses actes. Mais vous ne m'entendez guère, si vous vous imaginez que je crois à l'effondrement final, parce que je montre les plaies et les lézardes (Zola, Dr Pascal,1893, p. 98): 18. ... il m'a, sans doute, mal entendu, quoique je pense m'être expliqué très-clairement; ce mot de Brutus, isolé de ce que j'ai dit, pourroit présenter une équivoque qui n'étoit ni dans mes pensées, ni dans mes paroles...
Robespierre, Discours,Sur la guerre, t. 8, 1792, p. 146. ♦ Se faire entendre. Faire en sorte qu'on soit compris. Mais que ce terrain est brûlant! Qu'il est difficile de se faire entendre entièrement! (Barrès, Cahiers,t. 10, 1913, p. 31). ♦ Je vous entends (bien). Je comprends ce que vous voulez dire (sans avoir besoin d'un discours plus explicite). Lieutenant, ma patience est plus courte que mon épée. − Je vous entends, mon brave damoisel (Hugo, Han d'Isl.,1823, p. 60).Oh! vous m'entendez bien! Oh! vous savez comme on y vient (Laforgue, Poés.,1887, p. 141). ♦ Entendre (qqn) à demi-mot. Comprendre ce que quelqu'un veut dire sans qu'il se soit entièrement expliqué. Gaspard n'avait parlé que de soupçons sur le bossu, mais elle l'avait entendu à demi-mot (Pourrat, Gaspard,1931, p. 215).P. ext. (pour d'autres moyens d'expression que la parole). Plus Mozart est pur et parfait et moins il supporte l'enflure. Il faut savoir l'entendre à demi-mot (Ghéon, Prom. Mozart,1932, p. 154). ♦ Emploi pronom. à valeur réciproque. Se comprendre mutuellement. Tous retranchés dans leur façon de s'entendre à demi-mot, de se référer à des rites connus d'eux seuls (Montherl., J. filles,1936, p. 1061). ♦ Emploi pronom. à valeur réfl. Saisir sa propre pensée. À force de vouloir s'écarter des opinions reçues (...) on finit par ne plus s'entendre soi-même (Fontanes,
Œuvres,t. 2, Litt. et crit., 1821, p. 192).Je m'entends (pour indiquer que l'on refuse de s'expliquer plus clairement ou que l'on en est incapable). Synon. je sais ce que je veux dire.− Pour vivre! interrompit Marius. Vous n'avez pas besoin de ce nom pour vivre? − Ah! je m'entends, répondit Jean Valjean (Hugo, Misér.,t. 2, 1862, p. 667): 19. « (...) Les femmes honnêtes... c'est-à-dire nos femmes... sont... ne sont pas... manquent de... enfin ne connaissent pas assez leur métier de femme. Voilà... Je m'entends. »
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Porte, 1887, p. 1077. − En partic. Avoir une pleine compréhension de l'œuvre d'un artiste et de sa personnalité. À Venise, on penche pour Véronèse; en Flandre, on entend mieux Rubens (Fromentin, Maîtres autrefois,1876, p. 11). b) Emploi pronom. réciproque. [La compréhension va au-delà de l'acte d'intellection et vise l'action; l'accent est mis sur l'idée d'accord]
α) Se mettre d'accord avec quelqu'un − par la discussion, à propos de l'emploi ou du sens d'un mot, en vue de prévenir un malentendu. Mais, si le fer est « prescrit », − non « proscrit », entendons-nous bien (Viollet-le-Duc, Archit.,1872, p. 125).Enten-dons-nous d'ailleurs. Je n'appelle pas beyliste quiconque écrit sur Stendhal (Thibaudet, Réflex. litt.,1936, p. 256). ♦ Fam. Il faut, il faudrait s'entendre! (pour souligner la contradiction entre les affirmations de deux antagonistes) : 20. − Alors, qu'il dit comme ça Gabriel, alors comme ça vous êtes flic?
− Jamais de la vie, s'écria l'autre d'un ton cordial, je ne suis qu'un pauvre marchand forain.
− Le crois pas, dit Zazie, c'est un pauvre flic.
− Faudrait s'entendre, dit Gabriel mollement.
Queneau, Zazie dans le métro,1959, p. 79. − en nouant une entente momentanée avec quelqu'un. S'entendre à l'amiable. C'est « avant » qu'on risque de compromettre une femme (...) Après, on s'entend, on se concerte, on s'avertit (France, Pt bonh.,1898, p. 12): 21. Un jour, lorsqu'il aurait monté au Matterhorn une charge suffisante de clients, il aurait peut-être assez d'argent pour s'entendre avec son beau-frère, et exhausser le chalet. On s'arrangeait ainsi, dans les familles.
Peyré, Matterhorn,1939, p. 38. ♦ Péj. Être de complicité avec quelqu'un. S'entendre avec les ennemis. Seuls les faux coupables qui s'entendent répondent par les mêmes mots (Giraudoux, Ondine,1939, III, 4, p. 203).Loc. S'entendre comme larrons en foire (pour faire qqc., gén. pour des actions plus ou moins malhonnêtes) : 22. Albrecht et lui étaient bons camarades, s'entendaient comme larrons en foire pour piller les produits de la ferme.
Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 23.
β) Avoir des affinités de caractère l'un avec l'autre, vivre en bonne intelligence. Notre différence d'âge s'effaçait d'année en année. On s'entendait à merveille (Martin du G., Confid. afric.,1931, p. 1116). − Loc. fam. S'entendre comme chien et chat. Ne pas vivre en bonne intelligence (cf. chat II A 4). B.− Comprendre quelque chose dans un sens donné. 1. Interpréter d'une certaine manière (un mot, une phrase). Ce que nous entendons en France par type espagnol n'existe pas en Espagne, ou du moins je ne l'ai pas encore rencontré (Gautier, Tra los montes,1843, p. 92).Si l'on entend ce mot selon l'usage, l'imagination n'est pas seulement (...) un pouvoir contemplatif de l'esprit, mais surtout l'erreur et le désordre (Alain, Beaux-Arts,1920, p. 15). ♦ Entendre (par là) que. Si le seigneur vivait mieux que le paysan, il faut surtout entendre par là qu'il était nourri plus abondamment (Bergson, Deux sources,1932, p. 318). − Emploi pronom. à sens passif. (Devoir) être interprété d'une certaine manière. Cette dernière expression [puissance de la pauvreté] peut surprendre, mais pas longtemps. Pauvreté s'entend dans un sens relatif (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 585).Ces prix (...) s'entendent retouches éventuelles en sus (Jours de France, no1240, 22 sept. 1978, p. 115). ♦ (Cela) s'entend. Que cela soit bien entendu, cela va de soi. Et vous, monsieur l'abbé, il ne vous déplaira pas sans doute de traduire du grec : moyennant salaire, s'entend (France, Rôtisserie,1893, p. 60). − Expr. Ne pas entendre finesse/malice à qqc. Faire ou dire quelque chose sans mauvaise intention, ne pas voir de mal dans quelque chose qui est dit ou fait par autrui. Bon, sans défiance, je n'y entendais pas finesse (Restif de la Bret., M. Nicolas,1796, p. 180).Il se souvint d'une parole que Solange avait dite à sa mère, et que celle-ci avait répétée sans y entendre malice (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1418). 2. En partic. Se faire de quelque chose une certaine conception qui retentit sur le comportement. Entendre la vie d'une certaine façon. Est-ce comme cela que vous entendez la justice? (Chateaubr., Lib. presse,1818, p. 155).Parbleu, pour un début, voici qui n'est pas mal, et vous entendez vos futures fonctions comme il faut (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1040): 23. Ceux-ci et Désaugiers le dernier, dans leur manière d'entendre le vin, c'est-à-dire de le boire et de le chanter, tenaient un peu plus directement (...) des façons du bon Homère et de celles du bon Rabelais.
Sainte-Beuve, Portraits contemporains,t. 5, 1846-69, p. 45. 3. Donner une interprétation précise à un terme, à une phrase lorsqu'on s'exprime et vouloir la faire partager par ses auditeurs (pour éviter un malentendu). Par « sentiment national », M. Boulenger entend le sentiment du pays, le sentiment de la terre natale (Thibaudet, Réflex. litt.,1936, p. 226): 24. célimare. − Je dis que madame Bocardin est une femme un peu légère.
emma. − Qu'est-ce que tu entends par là?
célimare. − Elle a des intrigues...
Labiche, Célimare le bien-aimé,1863, III, 7, p. 114. ♦ J'entends (par là). Synon. je veux dire, comprenez.Cet effort suprême, pour la victoire, la liberté et le renouveau, exige l'union de tous les Français. J'entends l'union sincère et fraternelle (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 421): 25. ... un artiste consommé dans le bel art de faire des vers à l'état pur. Je dis : Faire des vers à l'état pur, et j'entends par là qu'il n'y a de lui dans l'œuvre dont je parle, exactement que la façon de la forme.
Valéry, Variété V,1944, p. 178. C.− Bien comprendre une technique ou une activité, être compétent dans un domaine donné. 1. [Entendre + compl. d'obj. dir. (désignant un art, une science)]Entendre l'architecture, entendre les affaires. Ah! la duchesse entendait à merveille son métier de femme (Balzac, Langeais,1834, p. 255).Personne n'entend, comme Boucher, l'art de la lumière et des ombres (Nolhac, Boucher,1907, p. 168): 26. Don Juan me donne à l'esprit le fin et délicat plaisir que doit donner, je suppose, à ceux qui entendent la musique, la musique de Rossini.
Goncourt, Journal,1859, p. 523. Rem. On rencontre ds la docum. un emploi de entendre avec un compl. désignant des pers. − Ce bon docteur! Voilà un homme qui entend les malades! (Zola, Hérit. Rabourdin, 1874, I, 1, p. 139). 2. [Entendre + compl. d'obj. indir.]Entendre qqc. à, ne rien entendre à.Le XVIIIesiècle n'a rien entendu à la poésie, rien entendu au cœur humain (Flaub., Souv.,1841, p. 52).Comment! Vous avez entendu quelque chose à toute cette science, madame? (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie,1869, II, 1, p. 81). Rem. On rencontre chez Fabre l'emploi région. adj. du part. prés. entendant à, synon. de entendu (cf. ce mot II A 1 b) : entendant aux bêtes (Chevrier, 1867, p. 223); entendant à la terre (ibid., p. 241). 3. Emploi pronom. à valeur subjective − [Le compl. est un subst.] S'entendre à, en.S'entendre aux affaires. Il ne s'entendait guère plus en culture qu'en indienne (Flaub., MmeBovary,t. 1, 1857, p. 5).« Vous entendez-vous aux vers? (...) Feriez-vous rimer trône et couronne? » (France, Servien,1882, p. 162): 27. Et comment se mêler de peindre la femme, si l'on ne s'entend un peu aux paniers, aux rubans et aux mouches : MM. de Goncourt s'y entendent beaucoup.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 4, 1863-69, p. 5. − [Le compl. est un syntagme verbal] S'(y) entendre à.Elle s'y entendait déjà, l'Évangéliste, à détacher les âmes de leurs affections naturelles (A. Daudet, Évangéliste,1883, p. 82). 4. En partic. [L'obj. désigne une langue] Connaître, après avoir étudié : 28. Il ne suffit pas d'entendre l'anglais pour comprendre ce grand homme, il faut entendre le Shakespeare, qui est une langue aussi. Le cœur de Shakespeare est une langue à part.
Vigny, Le Journal d'un poète,1838, p. 1098. ♦ N'entendre un (traître) mot de/à qqc. Ne pas comprendre un mot de/à quelque chose (en raison de l'ignorance d'une langue ou de la difficulté d'une science). Que je sois pendu, dit-il, si j'entends un mot de ce patois infernal! (Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 130).Les personnes qui ont introduit sa gloire [celle de Sidney Webb] en France n'entendaient pas un mot au socialisme (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 175).Tu lisais avidement, sans y entendre un traître mot, les privilèges hollandais des in-folio de Diafoirus (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 134). III.− Domaine de la volition, dans la lang. soutenue.Avoir une certaine conception de quelque chose et vouloir faire partager son point de vue à autrui. A.− [Dans des loc. figées] ♦ Faire, agir comme on l'entend. Faire, agir comme on le juge à propos, comme il vous plaît. Chacun fait comme il l'entend (Ac.1798-1932) : 29. Enfin, Grandet, vous ferez comme vous l'entendrez. Nous sommes de vieux amis : il n'y a pas, dans tout Saumur, un homme qui prenne plus que moi d'intérêt à ce qui vous concerne; j'ai donc dû vous dire cela. Maintenant, arrive qui plante, vous êtes majeur, vous savez vous conduire, ...
Balzac, Eugénie Grandet,1834, p. 209. ♦ Ne pas l'entendre ainsi. Avoir sur un point donné une volonté différente de celle d'autrui. D'Athis (...) voulut prendre la chose en riant et ramener tout de suite ses deux fugitifs avec lui. Mais Irma ne l'entendit pas ainsi (A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 218). Rem. On rencontre aussi, par croisement entre ne pas l'entendre ainsi et ne pas entendre de cette oreille (cf. entendre I A 3 a), l'expr. ne pas l'entendre de cette oreille-là « refuser de faire ce qui est demandé, en raison d'une volonté contraire » : 30. Isabelle (...) fixait sur lui ses yeux bleus pleins de caresses et de supplications muettes pour arracher le serment désiré; mais le baron ne l'entendait pas de cette oreille-là, ...
Gautier, Le Capitaine Fracasse,1863, p. 253. B.− [Le compl. est un inf.] Avoir la ferme intention, la volonté arrêtée de faire une chose. Il [Fred] sait qu'à sa majorité il sera duc de Nevers, et il entend porter haut ce titre et ce nom (Gyp, M. Fred,1891, p. 7): 31. Et Françoise, en bonne et honnête servante qui entend faire respecter son maître comme elle le respecte elle-même, s'était drapée de cette majesté qui ennoblit les entremetteuses dans les tableaux des vieux maîtres, ...
Proust, La Prisonnière,1922, p. 141. C.− [Le compl. est une prop. complétive dont le verbe est au subj.] Avoir la volonté arrêtée qu'une chose se réalise. La France qui combat entend que la victoire soit le bénéfice de tous ses enfants (De Gaulle, Mém.,1954, p. 677). − [En tournure négative] Ne pas admettre, refuser absolument qu'une chose se fasse. Or la grande Mademoiselle n'entendait pas qu'on la plaisantât de la sorte (...) son premier soin fut de chasser impitoyablement Lully (Grillet, Ancêtres violon,t. 2, 1901, p. 51). Rem. Entendre dénote gén. une volonté plus nettement affirmée que vouloir, exiger, impliquant le refus de toute objection, de toute discussion. Prononc. et Orth. : [ɑ
̃tɑ
̃:dʀ
̥], (j')entends [ɑ
̃tɑ
̃]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1050 « percevoir par l'ouïe » (Alexis, éd. C. Storey, 422); 2. a) ca 1100 « prêter attention, obéir à » (Roland, éd. J. Bédier, 3782); b) 1636 jur. (Monet); c) 1668 « exaucer » (La Fontaine, Fables, V, 1 ds
Œuvres, éd. F. Gohin, t. 1, p. 172). B. 1. a) ca 1100 « comprendre » (Roland, éd. cit., 2098); b) 1549 pronom. « se comprendre, se mettre d'accord » (Est.); 2. 1225-50 pronom. soi entendre de (Venus, 180c ds T.-L.); 3. 1370 « vouloir dire » (Oresme, Ethiques, 1. III, chap. 14, note 6, éd. A. D. Menut, p. 205). C. Ca 1121 « avoir l'intention de » (Voyage de Saint Brendan, éd. E. G. R. Waters, 160). Du lat. class. intendere « étendre, tendre (quelque chose) vers », fig. « tendre, diriger (regard, esprit, attention, etc.) vers »; intrans. « se tourner vers, se diriger vers; viser à »; lat. chrét. « faire attention à, comprendre; vouloir, décider; écouter, entendre ». Fréq. abs. littér. Entendre : 42 421. Entendant : 1 340. Fréq. rel. littér. Entendre : xixes. : a) 54 478, b) 62 698; xxes. : a) 64 121, b) 61 768. Entendant : xixes. : a) 2 212, b) 2 349; xxes. : a) 1 964, b) 1 369. Bbg. Darm. Vie 1932, p. 53, 136. − Gottschalk (F.). Lat. audire im Französischen. Giessen, 1921. − Gougenheim (G.). Chang. lex... J. de psychol. normale et pathol. 1966, t. 63, pp. 309-315. − Johansson (A.). Ét. syntaxique sur le verbe faire en fr. mod. In : [Mél. Wahlund (K.)]. Mâcon, 1896, pp. 102-103. − Laboriat (J.). Un Arrêté mal compris. Déf. Lang. fr. 1973, no67, pp. 16-18. − Margerie (C. de), Moirand (S.), Porquier (R.). Les Constr. verbales avec faire, laisser voir, etc. Fr. Monde. 1973, no98, pp. 33-41. − Rat (M.). Vieilles loc., mais qui vivent toujours. Déf. Lang. fr. 1965, no27, pp. 9-10. − Rivière (P.). Fantaisie sur le part. passé. Déf. Lang. fr. 1972, no65, pp. 10-11. − Stefenelli (A.). Der Synonymenreichtum der altfranzösischen Dichtersprache. Wien. 1967. |