| ENGROSSER, verbe trans. A.− Pop. [Le compl. d'obj. dir. désigne une femme] Mettre en état de grossesse. Quand ce n'est pas Madame qui les renvoie [les femmes de chambre], c'est Monsieur qui les engrosse... Un homme terrible, M. Lanlaire... Les jolies, les laides, les jeunes, les vieilles... et, à chaque coup, un enfant! (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 59).Celui qui considère la femme exclusivement comme un instrument de plaisir et ne voit en elle que l'amante possible, se soucie fort peu de l'engrosser (...) l'homosexuel marié trouve son compte dans l'occupation de sa femme par la grossesse (Gide, Journal,1936, p. 1259): Loménie avait poussé l'audace jusqu'à enlever le laideron, et à l'engrosser. (...). Comme on s'étonnait qu'il fût parvenu à la mettre enceinte, il disait que c'est tout simple quand on n'est pas feignant, il n'y a qu'à bien viser.
Aragon, Les Beaux quartiers,1936, p. 17. B.− P. anal. 1. [Le compl. d'obj. dir. désigne une terre] Rendre fertile, faire porter des fruits. C'était cette force, c'était cette puissance qui montaient du domaine entier, l'œuvre de vie enfantée, créée, le travail de l'homme engrossant la terre stérile (Zola, Fécondité,1899, p. 604).La bonne terre reste, et nous pour l'engrosser. D'une seule ventrée, elle aura réparé (Rolland, C. Breugnon,1919, p. 34). 2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr.] Faire prendre une forme qui évoque l'apparence d'une femme enceinte. Les vieilles voiles rapiécées que le baiser du vent engrosse (L. Daudet, Voyage Shakesp.,1896, p. 6). C.− P. métaph. [Le compl. d'obj. dir. désigne gén. une chose abstr.] S'adjoindre, se mêler intimement à telle chose pour lui donner de l'ampleur, l'améliorer, l'enrichir, etc. Moisson d'hommes (...) dont les visages (...) rendent par tous les pores l'esprit, les désirs, les poisons dont sont engrossés leurs cerveaux (Balzac, Fille yeux d'or,1835, p. 321).Et pourtant, ces catins immondes, les Idées, On les engrosse pour enfanter le Savoir (Richepin, Blasphèmes,1884, p. 47).La connivence avec une longue lignée d'ancêtres (...) frappait de caducité tout raisonnement que n'engrossait pas la considération de cette durée immuable et fertile dont l'accroissement semblait seul donner à chacun son véritable poids (Gracq, Syrtes,1951, p. 314). − Emploi pronom. à sens passif. Le silence s'engrossait d'une sentimentalité confuse (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 271). Rem. On rencontre ds la docum. a) Engrossé, ée, en emploi adj. fém. (Quasi-)synon. fécondé, enceinte. Pour qu'il [Arsène] éprouva le besoin de s'approcher de la Sainte Table deux mois après ses Pâques, il fallait qu'il en eût sur la conscience. Une fille engrossée ou un scandale dans un ménage (Aymé, Vouivre, 1943, p. 51). b) Engrossement, subst. masc. Action d'engrosser; résultat de cette action. J'ai été assez vexé pour toi de l'engrossement de Rachel (...) si j'ai un conseil à te donner, c'est d'attendre qu'elle ait pondu son enfant pour lui donner le tien (Flaub., Corresp., 1847, p. 53). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃gʀose], (j')engrosse [ɑ
̃gʀo:s]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1130-40 engrosser « grossir (en parlant d'une femme enceinte) » (Wace, Conception ND, 880 ds Keller, p. 51b); 1155 engroissier « devenir gros, s'enfler » fig. (Id., Brut, 14625, ibid., p. 289a); 2. ca 1240 engroissier « devenir enceinte » (G. Le Clerc, Joies de ND, 283 ds T.-L.). Altération d'apr. l'adj. gros* de l'a. fr. engroissier, dér. avec préf. en-* et dés. -er, de l'a. fr. groisse « grosseur, épaisseur » (1155, Brut, 6984 ds Keller, loc. cit.), issu d'un lat. vulg. *grossia « grosseur », de l'adj. lat. grossus, v. gros. Fréq. abs. littér. : 22. |