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ENDORMIR, verbe.
I.− Emploi trans.
A.− [Le suj. désigne gén. une pers.; l'obj. désigne une pers. ou un animal]
1. Faire dormir, entraîner au sommeil :
1. Nulle ne berce mon chagrin et ne me parle. Ailleurs, je le sais bien, au fond de claires chambres, Les mères ont des voix apaisantes qui chantent Pour endormir les enfants tristes dans leurs larmes. Guérin, Le Cœur Solitaire,1904, p. 86.
P. anal. [Le suj. désigne un état de la pers.] La fatigue qui l'endormait debout (Zola, Joie de vivre,1884, p. 382).
Usuel, emploi pronom. subjectif
[Aspect inchoactif] Commencer à dormir, avoir envie de dormir. Synon. s'assoupir :
2. La lumière, dans cet air humide et épais, colorait les objets de teintes un peu pâles et en émoussait les angles, comme il arrive quand on s'endort et que rien ne se voit plus distinctement. Michelet, Journal,1820, p. 95.
[Aspect inchoactif et duratif] Commencer à dormir et dormir. S'endormir dans les bras de, sur les genoux de; s'endormir paisiblement, profondément; finir par s'endormir. Quand la fatigue les accablait, ils s'endormaient pendant une ou deux heures dans des fauteuils, pour s'éveiller en sursaut (Zola, Th. Raquin,1867, p. 148).Les oiseaux chantaient avant de s'endormir (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 185):
3. Il [Christophe] tombait de sommeil et s'endormit à peine rentré. Mais il fut réveillé deux ou trois fois dans la nuit, comme par une idée fixe. Il se répétait : « J'ai un ami »; et il se rendormait. Rolland, Jean-Christophe,Le Matin, 1904, p. 154.
P. métaph. Le lobélia bleu s'endort comme un mulot, L'anémone se ferme (Noailles, Éblouiss.,1907, p. 205).
[Avec un compl. d'obj. interne] S'endormir du sommeil du juste*. Elle s'endormit d'un sommeil de plomb jusqu'au lendemain matin (Huysmans, Marthe,1876, p. 69).
[Aspect imperfectif] Être dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil :
4. « − Il faut vous dire que je dors très mal. Quand il m'arrive de m'endormir, je ne perds pas le sentiment de mon sommeil. Ce n'est pas vraiment dormir, n'est-ce pas? Celui qui dort vraiment ne sent pas qu'il dort; simplement, à son réveil, il s'aperçoit qu'il a dormi. (...) » Gide, Les Faux-monnayeurs,1925, p. 1218.
2. En partic. [Le suj. désigne une pers. ou un moyen physique ou chimique; l'obj. désigne une pers. ou un animal] Provoquer artificiellement le sommeil de.
a) (Quasi-)synon. de anesthésier.Le narcotique endormit le parfumeur (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 351).On endormait les malades avec du chloroforme (Feydeau, Dame Maxim's,1914, I, 18, p. 21).
b) (Quasi-)synon. de hypnotiser.Il [Janet] endormait les serpents (Giono, Colline,1929, p. 63).Les médecins réussirent à endormir et à réveiller sur ordre mental leur sujet (Amadou, Parapsychol.,1954, p. 101).
B.− P. ext. Donner envie de dormir à, faire dormir une personne à force d'ennui. Synon. fam. barber, raser.Il m'endormait avec son Brahma, ce vieux bonze (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie,1869, II, 1, p. 80).Sermon fort ennuyeux qui, la chaleur aidant, endormait les plus fanatiques (Green, Journal,1937, p. 96).
Emploi pronom. Je lis sans m'endormir ,,La Tentation de Saint Antoine`` (Renard, Journal,1890, p. 58).
C.− P. anal. [L'obj. désigne un membre ou un organe] Diminuer ou supprimer la sensibilité de. (Quasi-)synon. anesthésier, insensibiliser.
P. ext. Altérer la mobilité ou la sensibilité de. Synon. ankyloser, engourdir.Ne pas savourer du faux bien-être qui vous endorme les jambes et vous attache à votre chaise (Huysmans, En mén.,1881, p. 61).
P. métaph., emploi pronom. Les mouvements des hommes de quart s'endormaient ralentis par les épaisseurs d'eau (Gracq, Syrtes,1951, p. 213).
D.− Au fig.
1. [L'obj. désigne une sensation ou un sentiment pénibles] Atténuer ou supprimer. Synon. calmer.Endormir la souffrance. Paroles magiques, qui endorment toutes les douleurs (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 183).
J'endors les brûlures rien qu'avec la salive (Giono, Solit. Pitié,1932, p. 154).
P. métaph. Les neuf vierges de l'île de Sain, endormaient à leur volonté, ou éveillaient la tempête (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 235).
2. [L'obj. désigne une pers.] Tromper la vigilance de quelqu'un par la ruse ou en lui faisant illusion; le bercer d'illusion. Les citoyennes de Rome allaient endormir, à Capoue, Annibal entre leurs bras (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Boule de Suif, 1880, p. 144).On ne pouvait pas ruser avec lui, ni l'endormir (Romains, Copains,1913, p. 283):
5. Mais voici quelque chose qui me tourmente encore plus, c'est le reproche que vous me faites sans cesse d'endormir des gens qui ne sont déjà que trop somnolents. Si je les endors, ce n'est pas en les caressant, toutefois. Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1856, p. 258.
Emploi pronom. réfl. Se laisser aller à, se relâcher. Le sultan Mustapha s'endormait dans les voluptés (Lamart., Voy. en Orient,t. 2, 1835, p. 371).Il s'agit de prendre un nouveau départ, de ne pas s'endormir dans le terminus de la réussite (Mauriac, Journal,1934, p. 63).
S'endormir sur le fricot, le rôti. Négliger l'occasion propice. Tu vois, (...) que je ne m'endors pas sur le fricot (Flaub., Corresp.,1871, p. 291).Ne nous endormons pas sur le rôti (Giono, Bonheur fou,1957, p. 143).
P. ext. [L'obj. désigne un sentiment, une disposition d'esprit] Atténuer ou supprimer l'effet d'une attitude. Endormir les soupçons. Il réussit à endormir la vigilance de ses chefs et de ses gardiens (Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 196).Je m'applique à endormir sa méfiance par des propos anodins (Aymé, Vaurien,1931, p. 212).V. berlinois ex.
Absol. Manquer de vigilance, d'attention. Mon amitié ne s'endort pas (Balzac, Corresp.,1839, p. 576).
Rem. On rencontre la constr. rare endormir à. Les rabbins forcent les riches à donner, quand nos curés les endorment à tout garder (Jouhandeau ds Vie Lang., 1973, p. 44).
II.− Emplois pronom. spécifiques, au fig.
A.− Littér. [Le suj. désigne une pers.] Mourir. Les héros grecs ne s'endorment pas comme les patriarches bibliques à côté de leurs pères (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 222).
[Gén. accompagné d'un compl. prép. indiquant qu'il s'agit du dernier sommeil] Six cents ans ont passé depuis que le vieil Alighieri s'est endormi, à Ravenne, sous le marbre sépulcral (Ozanam, Philos. Dante,1838, p. 282).
Lang. relig. S'endormir dans le Seigneur. Mourir chrétiennement :
6. ... ils s'endormirent dans le Seigneur tous trois presque en même temps; le comte Longin trépassa le premier, Romulus mourut deux mois plus tard... A. France, L'Étui de nacre,Sainte Euphrosine, 1892, p. 76.
B.− [Le suj. désigne un inanimé concr.]
1. [Le suj. désigne un lieu habité où la nuit tombe] Entrer dans le repos de la nuit. Les lueurs et les bruits allaient toujours en se mourant, la ville s'endormait (Zola, Curée,1872, p. 454).Un coin de forêt, qui s'endormait dans la poussière chaude du couchant (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 110).
2.− [Le suj. désigne un élément de la nature] Diminuer de force, d'intensité, offrir les apparences du sommeil. À l'automne, quand la feuille tombe et la sève s'endort (Michelet, Insecte,1857, p. 10).Quand je vois s'éteindre ces lumières et tous ces feux s'endormir sous la cendre (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 583).
P. métaph. La rivière s'endort aux caresses des prés (Jammes, Clairières,1906, p. 133).
3. [Le suj. désigne un inanimé abstr.] Perdre de sa vivacité, de son importance. Synon. s'atténuer, s'estomper.Un souvenir ne meurt jamais, il s'endort simplement (Maeterl., Sablier,1936, p. 95).
Prononc. et Orth. : [ɑ ̃dɔ ʀmi:ʀ], (j')endors [ɑ ̃dɔ:ʀ]. Enq. : /ãdoʀ/ (il) endort. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Cf. dormir. Comme lui, perd au sing. du prés. de l'ind. la consonne finale du radical. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 part. passé adj. « qui dort » (Roland, éd. J. Bédier, 2520); ca 1135 réfl. « entrer dans le sommeil » (Cour. Louis, éd. E. Langlois, 2090); b) 1176 part. passé subst. fém. « potion soporifique » (Chr. de Troyes, Cligès, 5244 ds T.-L. : bëu a de l'andormie); 1572 « jusquiame » (R. Huloet, Dictionarie ds Roll. Flore t. 8, p. 94); 1577 trans. méd. (Junius, Nomencl., p. 318 ds Gdf. Compl. : medecine qui endormit les malades); c) ca 1170 part. passé adj. « engourdi » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 105 [2 Sam. 23, 10]); d) 1820 part. passé adj. « calme, inactif » (Lamart., Médit., p. 160 : le monde endormi); 2. a) ca 1175 fig. « tromper » (B. de Sainte-Maure, Chron. des Ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 11241 : E od beiau parler endormir); b) 1erquart du xiiies. part. passé adj. « relâché, négligent » (Renclus de Molliens, Miserere, CXIV, 3, éd. A.G. van Hamel, p. 194 : N'est pas perechous n'endormis); c) av. 1539 réfl. « perdre sa force, son acuité » (Gringore, Œuvres, t. 1, p. 47 : mon esprit [...] s'endormit); d) av. 1577 réfl. « s'atténuer, se calmer (d'une sensation, d'un état violent, intense) » (Belleau, Œuvres, t. I, p. 23 : mon esmoy S'endort); 3. xiiies. réfl. « mourir » (Psautier, Ms. Paris B. Maz 58 [anc. 258, ms. déb. 14es.], fo19 ds Littré); 1753 trans. arg. « tuer » (J.-J. Vadé, Bouquet du Roy, p. 8 : Que Charlot vous endorme), 4. 1660 trans. « ennuyer » (Boileau, Satire I, 148, éd. A. Cahen, p. 38 : Allez de vos sermons endormir l'Auditeur). Du lat. class. indormire « dormir sur; être relâché, négligent », b. lat. « s'engourdir (d'un membre) ». Fréq. abs. littér. : 3 151. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 677, b) 5 461; xxes. : a) 5 491, b) 4 033. Bbg. Guiraud (P.). Le Ch. morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, pp. 96-109. − Sain. Lang. par. 1920, p. 414.