| ENCHANTEUR, ERESSE, subst. et adj. I.− Substantif A.− [Dans les croyances populaires et les fictions (épopée, roman, théâtre)] Personnage doué de pouvoirs surnaturels dont il use pour opérer des prestiges en faveur des mortels ou à leur détriment. 1. [Emploi abs. pour désigner la qualification quasi professionnelle du personnage] Majesté d'enchanteur, voile de l'enchanteur, charme de l'enchanteresse. (Quasi-)synon. mage, magicien, sorcier.Il croyait à la lampe merveilleuse, aux enchanteurs (Balzac, Illus. perdues,1843, p. 414).On m'y mettait souvent en garde contre un vieil enchanteur génial et cruel (Cocteau, Chev. Table Ronde,1937, I, p. 98): 1. ... dans Chateaubriand, il y a de temps en temps l'enchanteur qui passe avec sa baguette et son talisman...
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 4, 1863-69, p. 82. Rem. Enchanteur ainsi que mage appartiennent à la lang. littér. où ils fonctionnent à côté de magicien sans pour autant être de simples substituts de ce dernier. Au mage est attachée traditionnellement une dignité que ce personnage tire d'un vaste et profond savoir. Dans la représentation de l'enchanteur dominent plutôt les traits d'une prestance phys. qui en impose et du pouvoir d'illusionner les mortels par des prestiges. À sorcier est dévolue une valeur péj. en raison du pacte que ce personnage est censé avoir lié avec le diable et du caractère maléfique de ses pouvoirs. 2. [Déterminé par un nom propre qui identifie le personnage] L'enchanteur Merlin, l'enchanteresse Armide, Merlin l'Enchanteur. La fille du soleil, Circé, l'enchanteresse qui change les hommes en bêtes, c'est la puissance redoutable et sinistre qui dégrade et asservit les âmes par l'attrait magique de la volupté (Ménard, Rêv. païen,1876, p. 89). 3. [Suivi d'un compl. précisant l'obj. qu'affecte le charme] Rare. Enchanteur de serpents (cf. Montherl., Démon bien, 1937, p. 1340), variante de charmeur de serpents. B.− P. anal. Homme, femme dont un trait pertinent dans le caractère, les dons, les attitudes, évoque un enchanteur : 2. À cette époque, j'entendais parfois des catholiques affirmer que les ballets russes étaient l'œuvre du démon et l'on comprend ce qu'ils voulaient dire, mais les ballets d'hier soir les auraient pleinement rassurés, car il est assez clair que le vieil enchanteur [Diaghilew] ne s'y intéresse plus.
Green, Journal,1945, p. 237. − P. plaisant. Angélique, en sueur dans les fumées de cuisine, un madras autour de la tête, superbe enchanteresse, tenait la poêle dont, pour ne pas se brûler les doigts, elle avait emmailloté la queue dans un mouchoir de dentelle (Morand, Homme pressé,1941, p. 62). C.− P. ext. Homme, femme dont le charme captivant s'exerce irrésistiblement sur un être. Belle enchanteresse. Je crois que vous êtes un grand enchanteur, car il est impossible de ne pas faire ce que vous voulez (Musset, Quenouille Barb.,1840, II, 3, p. 310): 3. Elle [madame Elliott] a été galante, elle a été légère, elle a ébloui les yeux des princes et de ceux qui sont devenus rois; elle n'a pas cru qu'on dût résister à la magie de sa beauté (...) elle a obéi à cette destinée d'enchanteresse comme à une volonté de la nature et du sang...
Sainte-Beuve, Causeries du lundi,t. 15, 1851-62, p. 190. II.− Adjectif A.− Qui a la force d'enchanter magiquement : 4. ... le croissant vaporeux de cet astre m'ordonne de prendre un instant, comme le sujet de méditatives réflexions, les conséquences funestes qu'entraîne, après lui, l'inexplicable talisman enchanteur que la Providence m'accorda.
Lautréamont, Les Chants de Maldoror,1869, p. 306. − P. ext., rare. Qui a le caractère illusoire, trompeur d'un enchantement. Illusion enchanteresse. Une inquiétude et même une épouvante, si elle est sincère, est bonne; au lieu qu'une espérance enchanteresse est mauvaise. Ne nous laissons pas bercer (Péguy, Grippe II,1900, p. 25). B.− Au fig. 1. Qui agit à la manière, avec la force d'un enchantement. Je connaissais enfin la beauté sans prétextes, que j'attendais sans le savoir. Tout, ici, ne reposait que sur la vertu enchanteresse du langage (Valéry, Variété III,1936, p. 15). 2. Qui captive, qui ravit les sens, le cœur, l'esprit. a) [En parlant d'une chose] Lieu, spectacle, style enchanteur; douceur, musique, voix enchanteresse; aspect (...) enchanteur (cf. désillusion A, Loti, Mariage, 1882, p. 215).Elle a dans ses regards un air de douceur et d'intelligence, son sourire est enchanteur (...) On voit qu'elle a moins le désir de plaire que l'envie que vous soyez content d'elle (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p. 1724).Ils [Angélo et son amie] firent au moins deux lieues de plus sur la droite (...) en terrain facile et dans un paysage enchanteur (Giono, Hussard,1951, p. 274): 5. L'air du Heute noch est un des plus enchanteurs, un des plus grisants que Bach ait écrits. J'y voyais, en 1926, le balancement de hautes frégates à voilure déployée.
Green, Journal,1955-58, p. 94. b) [En parlant d'une pers.] Tout était séduction dans cette femme enchanteresse (Chateaubr., Avent. dern. Abenc.,1826, p. 218). Rem. La docum. atteste le fém. enchanteuse : Il fait bon courir dans cette nature enchanteuse, parmi fleurs, oiseaux et verdure, sous ce ciel large et bleu du Nivernais (E. de Guérin, Journal, 1839, p. 262). R. de Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p. 148 note à propos de ce néol. : ,,Enchanteuse, qui était inévitable, n'est pas déplaisant. Quant à la logique des féminins attribués aux mots en eur, il suffit de citer cantatrice, enchanteresse et chanteuse pour montrer que, dans cet ordre de finales, la langue se permet toutes ses fantaisies``. Prononc. et Orth. : [ɑ
̃
ʃ
ɑ
̃tœ:ʀ], fém. [-tʀ
εs]. Ds Ac. 1694-1932. Peut être écrit avec une majuscule quand il est postposé dans des expr. du type : Merlin l'Enchanteur (peut-être p. anal. avec les surnoms : Pépin le Bref, Philippe le Bon, etc.). Étymol. et Hist. Ca 1100 subst. masc. encanteür (Roland, éd. J. Bédier, 1391); ca 1165 adj. drap enchanteor (B. de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 13342); ca 1175 subst. fém. enchanterresse (Id., Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 708); 1552 « celui qui séduit, charme » (Ronsard, Les Amours, éd. P. Laumonier, IV, 65); 1578 adj. (R. Garnier, M. Antoine, éd. W. Fœrster, I, p. 175). Dér. du rad. de enchanter*; suff. -eur2*; suff. -eresse (-eur2*). Fréq. abs. littér. : 510. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 285, b) 690; xxes. : a) 417, b) 450. Bbg. Gall. 1955, p. 48. |