| EMPIRIQUE, adj. A.− Vieilli, MÉD. [Correspond à empirisme A] Médecine, thérapeutique empirique. Médecine, thérapeutique qui a recours uniquement à l'expérience. Anton. rationnel, scientifique.Rien n'était plus décourageant, cela se conçoit, qu'une telle croyance, qui ne permettait qu'une physiologie approximative et une médecine empirique. Ce fut Claude Bernard qui, s'appuyant sur l'autorité de ses propres expériences, imposa aux physiologistes la notion d'un « déterminisme » rigoureux et sans réserves (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p. 142). − Médecin empirique. La chirurgie exercée par des barbiers empiriques (France, Bonnard,1881, p. 421): 1. ... si le médecin empirique possède le sens ou l'esprit scientifique, il aura conscience de son ignorance, il ne considérera plus l'empirisme que comme un état transitoire de la science qu'il faut se hâter de traverser; mais, si le médecin empirique n'a pas le sens scientifique qui lui donne conscience de son ignorance, il croira que l'empirisme est l'état définitif de la médecine, il tombera nécessairement dans l'empirisme non scientifique et deviendra charlatan.
C. Bernard, Principes de méd. exp.,1878, p. 48. ♦ P. ell. Un empirique. Il [le prêtre] ne la toucha pas, ne lui prescrivit aucun remède. Je sortis, persuadé que cet empirique était ou un fumiste ou un fou, mais quand trois jours après, les bras se levèrent, quand cette fille ne souffrit plus et qu'au bout d'une semaine elle put marcher, je dus bien me rendre à l'évidence; j'allai revoir ce thaumaturge (Huysmans, Là-bas,t. 2, 1891, p. 212).Souvent péj. Celui qui exerce la médecine sans la connaître. Synon. charlatan (cf. ex. 1).Saint-Ernest s'était fait empirique et charlatan, marchand de panacées, d'onguent pour la brûlure (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 87). Rem. À l'époque mod., en méd. vétér., empirique, subst. masc., désigne une pers. ne possédant pas le diplôme de méd. vétér. mais pouvant pratiquer certaines interventions sans que ses actes tombent sous le coup de la loi. B.− Cour. Qui ne s'appuie que sur l'expérience. 1. [Dans quelque domaine que ce soit, en parlant d'une méthode ou d'un mode de connaissance] La sociographie, dans laquelle l'accent est mis sur l'observation empirique des sociétés (Hist. sc.,1957, p. 1584): 2. Ces conceptions nouvelles ne sont pas nées de l'observation empirique mais, au contraire, de l'étude précise, chez le nourrisson, des anticorps qui sont, on le sait, les facteurs de l'immunité et dont la présence permet à l'organisme de lutter contre les maladies infectieuses.
R. Schwartz, Nouv. remèdes et maladies d'actualité,1965, p. 125. − Emploi subst. masc. à valeur de neutre. L'équilibre du conceptuel et de l'empirique (Traité sociol.,1968, p. 124). − En partic. Qui repose sur l'expérience du métier, des autres ou de la vie. Connaissance, morale, précepte, sagesse, vérité empirique. Choix et amélioration empirique des fruits, des céréales et des troupeaux (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 227): 3. Elle [Céleste] posa sur la table le bol bouillant, toisa le clergeon du même regard empirique, infaillible dont elle estimait le poids d'un poulet de grain, haussa les épaules et sortit.
Bernanos, Un Crime,1935, p. 759. − Péj. Approximatif, confus, routinier. Recettes, tâtonnements empiriques. Une politique d'humeurs, et une petite politique au jour le jour, empirique et bornée (Montherl., Malatesta,1946, III, 4, p. 496). − [En parlant d'une sc.] Stade empirique. Qui constitue la première étape d'une démarche scientifique dont la seconde étape serait celle de l'abstraction, de la déduction, du raisonnement. La médecine, plus que toutes les autres branches des connaissances humaines a été forcée d'être pratique et empirique avant d'être scientifique (C. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p. 297).Puis, la décoration du corps humain, des outils et des instruments, l'art du potier, les préoccupations architecturales qui surgirent quand l'homme se mit à construire, impliquaient quelques considérations géométriques qui souvent en restèrent au stade purement empirique, mais qui d'autres fois atteignirent un niveau plus élevé (Gds cour. pensée math.,1948, p. 513). Rem. En ce sens, synon. de expérimental; s'oppose par contre à expérimental quand le stade empirique d'une science est une fin et non une étape, par refus de la théorie ou du raisonnement (cf. ex. 1). − Spéc., PHYS. Formule, loi empirique. Loi fondée exclusivement sur l'expérience. Les lois empiriques des sciences physiques et naturelles (Poincaré, Valeur sc.,1905, p. 24).Lois empiriques indiquées par Bragg comme expression approximative des faits (Friedel, Cristallogr.,1926, p. 341). 2. [En parlant d'une pers.] Qui fait des découvertes fortuites, ne reposant sur aucun système ou théorie. La liste des sociologues américains à la fois théoriciens et chercheurs empiriques (Traité sociol.,1967, p. 63): 4. ... beaucoup d'inventions retentissantes furent accomplies non par des spécialistes, mais par de simples amateurs, généralement plus riches d'imagination que de savoir technique, et souvent contre l'avis même des professionnels. C'est ainsi que la fabrication moderne de l'acier fut mise au point par deux bricoleurs empiriques, Bessemer et Thomas, en dépit des pontifes de la métallurgie...
P. Rousseau, Hist. des transp.,1961, p. 204. − Le plus souvent avec une nuance péj. Il faut laisser l'enluminure aux Italiens et le clinquant aux architectes empiriques (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 244). ♦ Emploi subst. masc. Un empirique. Il serait certes injuste de ne voir dans ces hyperchimistes que de vulgaires empiriques (Caron, Hutin, Alchimistes,1959, p. 95). C.− PHILOS. [Correspond à empirisme C] École, philosophie empirique. Qui professe l'empirisme. Philosophe empirique et p. ell., un empirique. Philosophe partisan de l'empirisme : 5. La philosophie tout entière n'est que la science de la « cause », du « moyen » et de l'« effet ». Elle est purement rationnelle, si elle s'élève aux causes; empirique ou expérimentale, si elle se borne aux « effets ».
Bonald, Législ. primitive,t. 1, 1802, p. 292. − Spéc., dans la philos. kantienne de la connaissance.Intuition empirique. L'intuition sensible est empirique, l'intuition spatiale est pure ou a priori (M. Alexandre, Lecture de Kant,Paris, P.U.F., 1961, p. 25). − P. anal. Le moi empirique (p. oppos. au moi* transcendantal). Il ne faut pas traiter le Je transcendantal comme le vrai sujet et le moi empirique comme son ombre ou son sillage (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 488).Le moi empirique, le sujet psychologique de nos états de conscience vécus dans le monde de la représentation (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 71). Rem. On rencontre ds la docum. a) Empiriquement, adv. D'une manière empirique.
α) [Correspond à empirique A] Anton. rationnellement, scientifiquement. Aujourd'hui, le médecin se sert empiriquement, c'est-à-dire à peu près au hasard, de la plupart des moyens thérapeutiques puissants qu'il a entre les mains (C. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 8).
β) [Correspond à empirique B] Une grande équitation arabe, qui d'ailleurs ne se transmet qu'empiriquement (Morand, Extrav., 1936, p. 80).
γ) [Correspond à empirique C] Les autres hommes qui existent empiriquement (Merleau-Ponty, op. cit., p. 511). Le moi posé comme un objet, empiriquement composite (Mounier, Traité caract., 1946, p. 576). b) Anempirique, adj. Indépendant de l'expérience. La conscience de l'intervalle onctueux et de l'épaisse continuation n'a prise à tout moment que sur des motivations et des déterminations, la détermination étant à la fois particularité représentable et relation nécessaire; une indétermination qui serait neutralité pure ne peut être qu'anempirique (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 245). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃piʀik]. Ds Ac. 1694-1932. Fér. Crit. t. 2 1787 signale : ,,Plusieurs à caûse de l'étymologie grecque, ont cru qu'il falait écrire ces mots avec un y; mais ils n'en ont point dans l'origine``. Étymol. et Hist. 1314 (H. de Mondeville, Chirurgie, 1739, ds T.-L.). Empr. au gr.
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́ « les médecins empiriques »), lat. class. empiricus subst. « médecin empirique ». Fréq. abs. littér. : 732. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 159, b) 1 730; xxes. : a) 367, b) 1 829. Bbg. Gohin 1903, p. 313, 364. |