| EMBRUMER, verbe trans. A.− Couvrir de brume : 1. Le lendemain matin régnait à Paris un de ces épais brouillards qui l'enveloppent et l'embrument si bien que les gens les plus exacts sont trompés par le temps.
Balzac, Le Père Goriot,1835, p. 47. − Emploi pronom. passif. Le soir, quand tombe la nuit (...) je regarde le paysage du Bois au loin qui s'embrume (Léautaud, Journal littér.,1, 1893-1906, p. 143). B.− P. anal. Couvrir, envelopper quelque chose (comme le ferait la brume ou le brouillard) en la rendant moins nette à la vue. Une draperie légère de gaze embrume son corps nu (Régnier, Jeux rust.,1897, p. 59).De Scève ouvrit une fenêtre, car la fumée de trente cigares nous embrumait (Vercel, Cap. Conan,1934, p. 144). C.− Au fig. 1. Rendre moins net, estomper. Le temps n'adoucit rien, principalement la rancune, mais il estompe, il embrume tout (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 5, Confessions, 1895, p. IV).Certes les vingt ans écoulés depuis la mort de mon frère avaient, hélas! beaucoup embrumé son souvenir (Loti, Prime jeun.,1919, p. 73). ♦ Emploi pronom. passif. Je rentrai pour l'hiver à Paris et les souvenirs de mon automne lorrain ne tardèrent pas à s'embrumer (Barrès, Serv. All.,1905, p. 57): 2. Avec quel recueillement triste je les passe en revue, ces figures aimées ou vénérées (...); la plupart ont disparu et leurs images, que je voudrais retenir, malgré moi se ternissent, s'embrument, vont s'en aller aussi...
Loti, Le Roman d'un enfant,1890, p. 101. − Spécialement a) Embrumer le cerveau, la tête, les idées, etc. Y mettre de la confusion. Cerveau embrumé par l'insomnie, par le vin. Le mysticisme embrume les cervelles (Zola,
Œuvre,1886, p. 393).Les grands mots me remontaient à la gorge : Justice, Droit (...). C'était comme un vin trop fort qui m'embrumait le cerveau (Vialar, Pt jour,1947, p. 428). ♦ Emploi pronom. passif. Comme on est vulnérable, dans ces moments-là! C'est le moment où l'on s'enrhume (...) où votre esprit s'embrumerait si on avait une décision à prendre (Montherl., Malatesta,1946, p. IV, 9, p. 528). b) Embrumer le regard. Le rendre moins vif. Un regard tout embrumé par la digestion (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 120).Elle [Elzélina] embruma son regard, en noya la fixité (Arnoux, Roi,1956, p. 229). 2. Rendre triste, assombrir. Des regards qui implorent et des fronts qu'embrume le souci d'une préoccupation commune (Courteline, Ronds-de-cuir,1893, 5etabl., p. 163): 3. Ce spectacle m'avait embrumé le paysage, et la joie calme où s'ébaudissait mon âme avant d'avoir vu ces petits hommes avait totalement disparu...
Baudelaire, Petits poèmes en prose,1867, p. 79. − Emploi pronom. passif. Il prenait (...) « son air funèbre ». Sa moustache devenait plus noire et plus terne, son regard s'embrumait. (...) sa voix semblait éteinte (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 134). Rem. On rencontre ds la docum. a) S'embrumailler, verbe trans. Synon. de s'embrumer (supra A). Le 3 février, au matin, la vigie vient à peine de signaler « Terre, à bâbord! » que le temps s'embrumaille (Cendrars, Confess. Dan Yack, 1929, p. 119). b) Embrumement, subst. masc. Action d'embrumer. La seconde [femme], quoique à demi présente, est déjà moins nette; son parfum se dilue, son contour s'estompe (...). Et puis, après elle, l'éloignement indistinct s'accuse encore, l'embrumement se précipite et s'étoffe (Arnoux, Visite Mathus., 1961, p. 131). Prononc. et Orth. : [ɑ
̃bʀyme], (j')embrume [ɑ
̃bʀym]. Ds Ac. 1932. Étymol. et Hist. 1298 part. passé « couvert de brume » (Voy. de Marc Pol., CLXXXV, Roux ds Gdf.); 1837 fig. « attrister, assombrir » (Balzac, Cath. de Médicis, Confid. Ruggieri, p. 304); 1867 part. passé « rendre confus » (Baudel., Curios. esthét., p. 318). Dér. de brume*; préf. en-*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 28. |