| DÉTREMPE1, subst. fém. A.− [Correspond à détremper1A p. anal. ou au fig.] 1. [L'idée dominante est celle d'un corps solide soumis à l'action de l'eau] :
1. On me nettoyait hebdomadairement à la maison. ... On m'avait fourbi le samedi; le dimanche on me passait à la détrempe; ma mère me jetait des seaux d'eau, en me poursuivant comme Galatée, ...
J. Vallès, Jacques Vingtras,L'Enfant, 1879, p. 127. 2. [L'idée dominante est celle du ramollissement intervenant lorsque l'on détrempe qqc.] :
2. − Soigne-le, dit la foule, tanne-le! Heureux d'obéir, « maître rageur » le soigna, le tanna comme un vrai mégissier, et quand « Cuir-Tanné », qu'une pareille détrempe à l'écorce de chêne avait amolli singulièrement, eut assez mangé de poussière (...) le rude ouvrier (...) se mit sur pattes, ...
Cladel, Ompdrailles,1879, p. 335. B.− [Correspond à détremper1B 1] ART CULIN. Mélange de farine et d'une substance liquide : 3. ... passez au tamis un litron de farine, séparez-en le quart, que vous disposez en fontaine, mettez au milieu trois gros de bonne levure et un peu de crème tiède, délayez ce mélange en y joignant peu à peu la farine. Rassemblez, bien mollette, cette détrempe.
Les Gdes heures de la cuis. fr., Carême, 1833, p. 150. Rem. Pour Mont. 1967, détrempe ,,désigne expressément le mélange de farine et d'eau servant à préparer une pâte. (...) Faire la détrempe du feuilletage``. C.− [Correspond à détremper1B 2] PEINT. 1. Solution colorante, obtenue à partir d'une couleur généralement détrempée, délayée dans de l'eau additionnée d'un agglutinant (colle, gomme, blanc d'œuf...) de manière à en augmenter l'adhérence. Couche à la détrempe; peindre en détrempe, à la détrempe. Un corridor où la détrempe jaune et la plinthe chocolat vous suivaient avec un acharnement paisible (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 573).On retouchait la fresque à sec, à la détrempe, c'est-à-dire avec de la peinture à l'œuf (Moreau-Vauthier, Peint.,1933, p. 18): 4. Pour peindre en détrempe une toile à l'huile, et par conséquent pour retoucher un tableau à l'huile : mêler à la détrempe de la bière...
Delacroix, Journal,1857, p. 128. − Détrempe commune (cf. Bouillet 1859, Bach.-Dez. 1882 et Adeline, Lex. termes art, 1884).Détrempe au vernis, vernie, vernissée ou chipolin (cf. Bouillet 1859, Chabat t. 1 1875, Bach-Dez. 1882 et Adeline, loc. cit.). Détrempe à la chaux (cf. Chabat t. 1 1875) ; v. aussi blanc mat, blanc de roi ou blanc Le Roi et blanc des Carmes ds Bouillet 1859 et Chabat t. 1 1875). 2. P. méton. a) Peinture exécutée avec une telle solution (supra C1). Synon. peinture a tempera.Cette peinture, cette détrempe relevée d'or, s'illuminait comme d'elle-même (La Varende, Homme aux gants,1943, p. 41). b) Procédé même de la peinture consistant dans l'emploi de couleurs détrempées, de détrempes. Pratiquer la détrempe; couleurs à détrempe; peinture à (la) détrempe, en détrempe. Synon. peinture a tempera.La détrempe est une peinture couvrante, et l'aquarelle une peinture transparente (Ovio, Vision coul.,1932, p. 208): 5. Les peintures mixtes sont celles où l'on rencontre à la fois la détrempe à l'huile et la détrempe à l'eau.
Coffignier, Couleurs et peintures,1924, p. 674. Rem. Pour Gay 1967, détrempe désigne ,,Toute matière à détremper les couleurs servant à la peinture``. 3. P. ext. Phénomène se produisant lorsque certains films de peinture sont étendus sur des films appliqués antérieurement mais encore humides (cf. Lar. encyclop.). − Détrempe d'une couleur sur une autre. Dans le but d'éviter [en peinture à la gouache] la détrempe d'une teinte sur l'autre, on emploie le fiel de bœuf, préalablement traité (Coffignier, Couleurs et peintures,1924p. 568). 4. Au fig., fam., péj. [Correspond à l'emploi A 2 supra; p. allus. au fait que par la détrempe une couleur perd les qualités naturelles de pureté, d'intensité... qui font sa valeur et son intérêt] En/à la détrempe. a) [Avec un subst. et une valeur adj.] Médiocre, sans vigueur, sans consistance, sans éclat, insipide, etc. [En parlant d'un écrivain] . Barbouilleur à la détrempe. Les cireurs de bottes des gloires à la détrempe et des statues en mie de pain (Goncourt, Journal,1864, p. 21). − Loc. En détrempe : 6. Nos plus grands ennemis sont les méchants poètes
...
Et leur faire énervé, leur peinture en détrempe
...
Semblent mettre en son droit le censeur goguenard
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A. Pommier, Crâneries et dettes de cœur,1842, p. 20. 7. Je dois faire voir, par des succès littéraires, par des chefs-d'œuvre, en un mot, que ses
œuvres [d'Eugène Sue] en détrempe sont des devants de cheminée, et exposer des Raphaël à côté de ses Dubufe.
Balzac, Lettres à l'Étrangère,t. 2, 1850, p. 433. − Spéc. Mariage en/à la détrempe (vieilli). Union extra-légale à laquelle est donnée l'apparence du mariage. Cf. concubinage : ♦ P. ext. Amant de ta tante, je ne suis ton oncle qu'en détrempe (Raban, Myst. Palais-Royal,t. 1, 1845, p. 37). b) [Avec un verbe et une valeur adv.] Médiocrement, assez mal : 8. Tant qu'il y avait de l'argent, on noçait : quand il n'y en avait pas, on dînait en détrempe, comme disait papa Crétu à cause de son état de peintre [= en mangeant du pain sec à la lecture d'un livre de cuisine].
Sue, Les Mystères de Paris,t. 4, 1842-43, p. 98. Prononc. et Orth. : [detʀ
ɑ
̃:p]. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. destrempe; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. 1231 destempre « infusion, breuvage obtenu après délayage » (Gautier de Coincy, Mir., éd. F. Kœnig, II, ch. 9, 2358); 2. 1304 faire destrempre as couleurs (Trav. des chât. d'Art., A.N. KK 393, fo24 ds Gdf. Compl.); 3. 1636 « peinture faite en détrempe » (Monet). Déverbal de détremper*. Fréq. abs. littér. : 18. Bbg. Appellations trompeuses. Vie Lang. 1971, pp. 220-221. |