| DÉTOUR, subst. masc. A.− Tracé sinueux d'une voie, d'un cours d'eau. Synon. lacet, méandre.La rue du Serpent (...) mérite bien son nom par les détours qu'elle fait (Mérimée, Carmen,1847, p. 33): 1. Tôt levé, chaque matin, j'allais contempler au cœur d'un bois de pins le détour mystérieux de la route dont jamais ne s'ouvriraient pour moi les bouleversants méandres.
Gracq, Un Beau ténébreux,1945, p. 103. − P. ext. 1. Endroit précis où une voie forme un coude. Le détour d'un chemin. Synon. coude, virage, tournant.À un détour de la Seine, un coin comme un vieux pastel effacé, où les blancs ont seuls survécu (Goncourt, Journal,1858, p. 543): 2. À deux pas de ma porte, il y a un détour, puis un second, puis un troisième; arrivés au bout du zigzag nous avions, − à droite, la rue qui conduit au Dar-Sfah; et, devant nous, un couloir profond, plein d'eau, menant directement vers le sud entre les jardins...
Fromentin, Un Été dans le Sahara,1857, p. 211. ♦ Au fig. Au détour d'une phrase, d'une conversation. Ce qu'elle m'avait avoué un jour, par mégarde, au détour d'une histoire (Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 132).Pourquoi, à chaque détour de la conversation, un heurt se produisait-il? (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 66).Attendre qqn au détour. S'apprêter à profiter des difficultés que peut rencontrer un adversaire : 3. On l'attendait au détour, dans le quartier sa femme avec tous les cancans accumulés de l'affaire précédente qui restaient sur le carreau.
Céline, Voyage au bout de la nuit,1932, p. 461. 2. Au plur. Ensemble de voies sinueuses et d'une complexité telle qu'on peut s'y égarer. Les détours d'un labyrinthe, d'une ville. Je connois les détours de la forêt, notre fuite est facile (Genlis, Chev. Cygne,t. 1, 1795, p. 163).De loin je les suivais dans les sombres détours de ce vaste palais (Constant, Wallstein,1809, V, 13, p. 171): 4. Il lui semblait qu'elle montait depuis des heures, au milieu d'un tel dédale, parmi une telle complication d'étages et de détours, que jamais elle ne redescendrait.
Zola, L'Œuvre,1886, p. 11. − Au fig., littér. Les détours du cœur, de l'âme : 5. Les détours du cœur sont si bizarres (...) qu'il y a des femmes qui craignent plus de paraître maltraiter un prétendant que de le maltraiter en réalité.
Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 134. B.− Action de s'écarter du chemin direct pour se rendre en un endroit donné et, p. ext., itinéraire qui s'écarte du chemin direct. Faire un détour; un grand, un petit détour. Ces messieurs firent un détour de six lieues pour aller voir les ruines de la célèbre abbaye de N. (Stendhal, L. Leuwen,t. 3, 1836, p. 97).Il fut justement obligé de faire un détour pour éviter sa belle-mère (Zola, Conquête Plassans,1874, p. 1120): 6. ... je passe par le village de Bussières, mon cheval, habitué à ce détour, quitte le grand chemin vers une petite croix, monte un sentier rocailleux qui passe derrière l'église...
Lamartine, Les Confidences,1849, p. 344. − Au fig. Moyen indirect de dire, de faire ou d'éluder quelque chose. Ses sentiments sont toujours réfléchis, ses volontés semblent n'aller au but que par des détours (Stendhal, Hist. peint.,t. 2, 1817, p. 61): 7. C'est seulement par un détour, par un biais, que l'éloquence parlée est élevée à une valeur littéraire et durable.
Thibaudet, Réflexions sur la litt.,1936, p. 53. ♦ Parler, être sans détour. Parler d'une manière directe, être franc. Et quand le jour viendra où je ne te serai plus rien, écris-le, comme tu le dis, sans détour (Flaub., Corresp.,1847, p. 66).Élisabeth préférait (...) la jovialité sans détour de ses cousines (Green, Journal,1928-34, p. 279). Prononc. et Orth. : [detu:ʀ]. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. destour; ds Ac. 1740-1932. Étymol. et Hist. 1. Ca 1165 [en un] destor « endroit écarté » (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 5487); début xiiies. en destour « en cachette » (Reclus de Molliens, Carité, 123, 8 ds T.-L.); 2. 1remoitié xiiies. destour « prétexte, faux-fuyant » (Reclus de Molliens, Miserere, éd. A. G. van Hamel, 4, 5) et « subterfuge, ruse » (Id., ibid., LXXVI, 11); 3. 1538 destours et entortillements : volumina sortis humanae, au fig. « sinuosité » (Est.); 1548 le grand destour du chemin (F. Rabelais, Le Quart Livre, éd. R. Marichal, XXIX, 11). Déverbal de détourner*. Fréq. abs. littér. : 1 757. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 187, b) 2 349; xxes. : a) 2 226, b) 3 007. Bbg. Guiraud (P.). Le Champ morpho-sém. du mot tromper. B. Soc. Ling. 1968, t. 63, no1, pp. 96-109. − Wagner (R.-L.). Direction = détour chez J.-J. Rousseau. Fr. mod. 1943, pp. 61-62. |