| DÉTACHER1, verbe trans. I.− Domaine concr. A.− [Le compl. désigne un être animé ou une chose] Les libérer en enlevant le lien auxquels ils sont fixés; les dégager d'un lien. Essayer de détacher. Détacher un forçat (Ac. 1798-1878). Détacher un tableau (Ac. 1798-1932). Un palefrenier vint détacher le cheval, et le fit entrer à l'écurie du logis (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 429). ♦ Détacher de.Zoé détacha de son cou la petite croix (Genlis, Chev. Cygne,t. 1, 1795, p. 92). ♦ Emploi pronom. réfl. Les roues des chars se détachèrent (Gautier, Rom. momie,1858, p. 341). − P. méton. [Le compl. désigne le lien] Enlever, défaire. Détacher un bracelet, une ceinture, des liens. Il détache l'agrafe et le nœud. Il ouvre l'étoffe (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 229). ♦ P. métaph. Je ne puis détacher les chaînes de la vengeance, je ne puis ouvrir les verrous (Nerval, Faust,1840, 2epart., p. 178). ♦ Emploi pronom. réfl. Une épingle se détacha et une longue spirale se déroula sur sa robe de drap (Huysmans, Marthe,1876, p. 46). B.− P. ext. 1. [Le compl. désigne gén. une chose] La séparer de ce à quoi elle adhère, avec quoi elle est en contact; la couper d'une autre, d'un tout. Dans les angles, la moisissure détachait le papier (Mauriac, Th. Desqueyroux,1927, p. 260). − Emploi pronom. réfl. Se détacher facilement; se détacher et tomber; une pierre se détache. Les magnolias étaient en fleur et leurs lourdes corolles épanouies se détachaient une à une (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 369). ♦ Se détacher de.Le brouillard commençait à se détacher de la terre et à devenir diaphane (M. de Guérin, Journal,1833, p. 178). ♦ Au fig. Elle [l'astrologie] se détache définitivement de ses origines religieuses (Divin.1964, p. 171). 2. Spécialement a) BOURSE. Détacher un coupon (cf. About, Roi mont., 1857, p. 86). b) [Le compl. désigne une pers. ou une partie du corps] Écarter. Détachez vos bras du corps (Ac.1835-1932).La détachant [Anna] doucement de sa poitrine, il se recula, pour la voir tout entière (Reider, MlleVallantin,1862, p. 162). − Emploi pronom. réfl. Se détacher d'un mur, d'une muraille; se détacher brusquement. Avec mes doigts raides et qui ne se détachent pas les uns des autres (Gyp, Souv. pte fille,1927, p. 135). II.− P. anal. [À propos de liens abstr.] A.− Séparer, isoler un élément d'un autre, d'un tout. Détacher les notes du texte par un filet (Ac.1835-1932).Presque toutes les terres [d'un manoir] en furent détachées et vendues (Vigny, Mém. inéd.,1863, p. 40).C'est ce qui m'a permis de détacher facilement cet épisode et d'en faire un tout qui se suffit (Montherl., Pasiphaé,1936, p. 104). − Emploi pronom. réfl. Une grande vallée (...) se détache à Chambéry du nœud des Alpes (Lamart., Raphaël,1849, p. 134). B.− En partic. 1. [Avec une idée de mise en relief, d'attention attirée par rapport à ce qui est plus banal] a) [Le compl. désigne un élément de l'expression orale, une note de mus., jouée ou chantée] Ne pas lier, séparer par un court silence, marquer un arrêt entre chaque élément. Détacher chaque mot, chaque syllabe. Elle chanta elle-même (...) : « Plus tremblant que vous », en détachant les notes (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 184). b) GRAMM. [Le compl. désigne un terme] Le séparer du noyau propositionnel auquel il se rapporte par l'intonation, la ponctuation ou une forme verbale. Détacher, sous forme exclamative, l'antécédent du relatif (G. Mauger, Gramm. pratique du fr. d'auj.,Paris, Hachette, 1968, p. 172). c) [Le compl. désigne un être animé, une chose] Les faire ressortir d'un ensemble.
α) Domaine des sens.(Se) détacher de, dans, parmi, sur + qqc.; (se) détacher en + compl. de manière. − Domaine de la vue.Faire ressortir par la forme, la couleur. Un large rayon coulait (...), détachant en lumière ce coin de la ville sur un ciel très pur (Zola, Assommoir,1877, p. 450). ♦ Emploi pronom. réfl. Se détacher du, dans, sur le ciel; se détacher vivement, en noir, en vigueur, çà et là; une silhouette se détache : 1. Les hauts troncs des érables, leurs branches nues et grises où scintillaient des gouttes d'eau, se détachaient déjà dans la demi-clarté du square.
Roy, Bonheur d'occasion,1945, p. 169. ♦ Spéc., B.-A. (peint., sculpt., arts mineurs). Le Corrège (...) détache trop souvent des membres très clairs sur un fond sombre (Delacroix, Journal,suppl., 1864, p. 377).Emploi pronom. réfl. Tapis de Smyrne, dont les dessins compliqués se détachaient sur des fonds rouges (Zola, Bonh. dames,1883, p. 471). − Domaine de l'ouïe.Faire ressortir un bruit parmi d'autres bruits : 2. C'était bien le grelot qui, distinctement, détachait ses notes grêles et saccadées sur les rumeurs bourdonnantes du silence mariées aux crépitements d'insectes.
Pergaud, De Goupil à Margot,1910, p. 36. ♦ Emploi pronom. réfl. Des apartés se formaient se fondant dans la conversation générale ou s'en détachant (Péladan, Vice supr.,1884, p. 185). − Domaine de l'odorat, emploi pronom. réfl. L'ébénier radieux dont les parfums vivifiants se détachaient à tous les frissons de l'air (Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Un Fils, 1882, p. 316).
β) Domaine du sens esthétique, moral − [Le compl. désigne une pers.] La faire ressortir par les qualités physiques, les façons de faire, la personnalité morale : 3. ... elle [Mme Kockert] a résolument supprimé de sa vie le lieu commun et le verbiage usuel, ce qui la détache nettement des femmes du monde et même de la plupart des personnes de son sexe...
Amiel, Journal intime,1866, p. 196. ♦ Emploi pronom. réfl. À Paris, (...) sur les plages de l'Océan, partout elle [Éva] se détachait, (...) merveilleuse (Chardonne, Attach.,1943, p. 16). − Domaine littér.,emploi pronom. réfl. Dans ses quarante-deux volumes (...), jamais une expression qui attire et qui fixe, qui reluise ou se détache (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 176). d) Fam. En détacher. Exercer un art, une profession avec habileté, abattre du travail. Cf. Vidal, Delmart, Caserne, 1833, p. 112. 2. [Avec, le plus souvent, une idée de mission partic. à remplir] a) Séparer quelqu'un d'un ensemble généralement dans un but particulier, pour remplir une mission dans un autre lieu; p. ext., envoyer en mission. Détacher des gendarmes, des archers, etc., contre quelqu'un (Ac. 1835, 1878). Je reçus la visite de M. Mac Millan, ministre d'État britannique, que son gouvernement détachait à Alger (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 77). − Emploi pronom. réfl. Une jeune femme se détacha du groupe des faneuses (Malègue, Augustin,t. 1, 1933, p. 207). b) Spécialement − ADMIN. [Le compl. désigne un fonctionnaire, un militaire] Affecter à un poste différent de celui d'origine. Cf. Encyclop. éduc., 1960, p. 357. − ARM. [Le compl. désigne un soldat, un ensemble de soldats, des bâtiments de guerre] Il voulait que, pendant le combat, ils détachassent contre l'ennemi toutes leurs chaloupes (Mérimée, Don Pèdre Ier,1848, p. 264). ♦ Emploi pronom. réfl. Il fit signe à une escouade de se détacher et de le suivre, sans armes (Vogüé, Morts,1899, p. 376). − SP., emploi pronom. réfl. [Le suj. désigne un coureur cycliste] Prendre de l'avance sur d'autres coureurs, sur le peloton. Il a démarré, il s'est détaché seul (La Croix,30 juin 1976, p. 13). c) Fam. [Le compl. désigne un geste rude, de mécontentement (coup de pied, ruade, soufflet, etc.)] Donner. L'homme détache un coup de pied à l'échelle, qui dégringole (Sardou, Rabagas,1872, II, 5, p. 60). − Emploi pronom. réciproque. Ils (...) se détachaient des bourrades à assommer un bœuf (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 144). C.− Au fig., domaine de la pers., des facultés hum. 1. [Le compl. désigne un inanimé relatif au regard] Le détourner de quelqu'un, de quelque chose. Je ne pouvais détacher mes regards du village que j'apercevais encore dans l'éloignement (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 191). − Emploi pronom. réfl. Voilà un ouvrage admirable et dont les regards ne peuvent se détacher (Delacroix, Journal,1858, p. 172). 2. [Le compl. désigne une pers., une faculté intellectuelle] L'amener à se séparer de quelque chose, de quelqu'un auquel elle était attachée par des liens de dépendance, d'intérêt, ou, plus souvent, moraux (affectifs, intellectuels, etc.). Ne pas arriver à, ne pas pouvoir détacher son attention, sa pensée de. Le roi aurait détaché le khan de son alliance avec les cosaques (Mérimée, Cosaques d'autrefois,1865, p. 139). − Emploi pronom. réfl. : 4. Si Nicole s'est détachée de son mari et qu'elle aime ailleurs, le mieux est d'éclaircir la situation.
Aymé, Les Quatre vérités,1954, p. 26. − Spéc. Une piété tendre et presque céleste la détache entièrement de la terre (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 251). ♦ Emploi pronom. réfl. Se détacher de la vie : 5. ... la rue qui se fait en ce moment a changé de direction et chasse la pauvre femme de chez elle. « Cela m'aidera à me détacher du monde », dit-elle tristement...
Green, Journal,1931, p. 65. Rem. L'emploi pronom. est fréq.; on le rencontre, à qq. exceptions près, pour tous les sens de l'emploi trans.; il a même qq. sens qui lui sont propres. Prononc. et Orth. : [detaʃe], (je) détache [detaʃ]. Ds Ac. 1694-1740, s.v. destacher; ds Ac. 1762-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. 1165 destachier « délier, dégager d'une attache » (Benoit de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, éd. L. Constans, 1969); 1640 au fig. « dégager d'attaches affectives » (Corneille, Horace, III, 4); 1640 d'un œil si détaché (Id, Polyeucte, V, 3); 2. 1616-20 « séparer un élément d'un ensemble » le mareschal destacha de ses bataillons ... huit files (A. d'Aubigné, Hist., II, 37 ds Littré); av. 1696 « envoyer en détachement » terme milit. (Mme de Sévigné, 231 ds Littré); 3. 1676 « faire ressortir les contours d'un objet; faire apparaître sur un fond » (Félibien Dict., p. 398). Anton. de attacher*; préf. dé(s)-*; cf. ca 1165 desatachier « détacher » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, 58621). Bbg. André (P.). Le Vocab. du violoniste. Vie Lang. 1973, p. 52. |