| DÉSESPÉRER, verbe. A.− Emploi intrans. Perdre l'espoir, la foi; perdre courage; cesser d'avoir confiance en l'avenir. 1. Constr. indir. Désespérer de qqn ou de qqc.; désespérer de soi-même, de la victoire. − Quand Jérémie désespérait de Jérusalem, quand Jésus pleurait sur elle (Péladan, Vice supr.,1884, p. 334): 1. Ma mère m'avoit conçue dans le malheur; je fatiguois son sein, et elle me mit au monde avec de grands déchiremens d'entrailles : on désespéra de ma vie.
Chateaubriand, Génie du christianisme,t. 2, 1803, p. 237. SYNT. Désespérer du salut de la patrie, de la santé de qqn; désespérer de recevoir des nouvelles, de se faire comprendre de qqn. − Se sentir incapable de. Nos sculpteurs désespèrent d'égaler les statutaires de la Grèce antique (Bonald, Législ. primit.,t. 1, 1802, p. 226). − À la forme négative. Ne pas désespérer de + subst., de + inf. Présumer que, être sûr, être certain. Ne pas désespérer de la bonté divine; ne pas désespérer de trouver une occasion favorable, de voir qqn. Un de ses écuyers examine ses blessures, et ne désespère pas de le guérir (Cottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 24).Il ne faut jamais désespérer de rien, dit le proverbe (Dumas père, Monte-Cristo,1846, p. 128). 2. Absol. On avait confiance, et puis on désespérait (Erckm.-Chatr., Hist. paysan,t. 1, 1870, p. 212).Les civilisations désespéraient; elles avaient perdu la foi (Arnoux, Calendr. Fl.,1946, p. 315): 2. − Ne puis-je donc vivre? reprit-elle. Veut-on que je désespère? N'y a-t-il donc nulle part une place pour moi?
Bernanos, La Joie,1929, p. 697. − Expr. C'est à désespérer. C'est décourageant, il n'y a rien à espérer, il n'y a plus rien à faire. Il est riche à désespérer. Belle à désespérer, ayant ce regard qui fascine et éblouit, cette voix qui enchante (Ponson du Terr., Rocambole,t. 2, 1859, p. 245). − Emploi pronom. S'abandonner au désespoir. À ces paroles, le duc de Bretagne commença à se désespérer; il voulait mourir; il pleurait à grands sanglots (Barante, Hist. ducs de Bourg.,t. 1, 1821-24, p. 364).Je me réconforte moi-même pour ne pas trop me désespérer (Flaub., 1reÉduc. sentim.,1845, p. 46). B.− Emploi trans. Contrarier vivement, affliger, tourmenter. 1. Désespérer qqn; désespérer les âmes. Quel étrange prêtre vous faites, qui désespérez les mourants au lieu de les consoler (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 360).Les pires malheurs ne purent nous désespérer (De Gaulle, Mém. guerre,1959, p. 594): 3. ... les sauvages (...) venaient jusqu'à la ville de la Nouvelle-Orléans harceler et désespérer les habitants par des attaques aussi brusques que multipliées.
Baudry des Lozières, Voyage à la Louisiane,1802, p. 14. − Rare. Désespérer qqc.Il désespère l'amitié comme il a désespéré l'amour (Balzac, Lettres Étr.,t. 1, 1850, p. 304). − Spéc. Mettre dans l'impossibilité de faire aussi bien. Des beautés à désespérer la peinture (Balzac, Splend. et mis.,1844, p. 51). 2. Désespérer que + subj.Je désespère qu'il (ne) vienne, qu'elle (ne) se décide. Ils font de la théologie à vingt ans, il n'y a pas à désespérer qu'ils ne commentent l'art d'aimer à cinquante (Sainte-Beuve, Cahiers,1869, p. 33). Rem. 1. Après ne pas désespérer que + subj., la particule ne est facultative. 2. On rencontre ds la docum. désespération, subst. fém., vieilli. Action de mettre au désespoir; son résultat. La désespération de ce vouloir, la colère de cet effort ne peut s'écrire (Goncourt, Journal, 1870, p. 559). Prononc. et Orth. : [dezεspeʀe], (je) désespère [dezεspε:ʀ]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. : devant syll. muette, change [e] fermé du rad. en [ε] ouvert écrit è accent grave sauf au fut. et au cond. je désespérerai(s). Étymol. et Hist. 1. Intrans. a) 1155 « perdre l'espoir » [ici inf. subst.] (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 9117); b) 1580 désespérer (de qqn ou de qqc.) « n'en rien attendre » (Montaigne, Essais, II, 12, éd. A. Thibaudet, p. 558); 2. trans. a) ca 1170 part. passé « plongé dans le désespoir » (Quatre livres des rois, éd. E. R. Curtius, p. 79 [II Sam. 12, 16]); ca 1175 « réduire au désespoir » (Chr. de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 5420); fin du xviies. part. prés. adj. (Bourdaloue, Exhortation. Charité envers les prisonniers, 2 ds DG); b) 1662 par exagération, part. passé adj. « irrité, contrarié » (Molière, École des femmes, IV, 1); 1707 part. prés. adj. « qui irrite, exaspère » (Lesage, Crispin rival de son maître, 58); c) 1690 « décourager » (Fur.); 3. part. passé adj. a) ca 1206 « qui ne laisse aucun espoir » (Guiot de Provins, Bible, éd. J. Orr, 2328 : C'est uns vices desespereis); b) 1558 « extrême » (Jodelle, Recueil des inscriptions... ds
Œuvres, éd. E. Balmas, II, 228 : labeur desespéré). Dér. de espérer*; préf. dé(s)-*. Fréq. abs. littér. : 1 459. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 898, b) 2 238; xxes. : a) 2 332, b) 1 982. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 431. − Ritter (E.). Les Quatre dict. fr. B. de l'Inst. nat. genevois. 1905, t. 36, pp. 399-400. |