| DÉROGER, verbe trans. indir. A.− Vx. Déroger à la noblesse. Exercer une profession incompatible avec elle ou contracter une union morganatique entraînant la perte de ses privilèges. − Emploi abs. Aucun d'eux [des patriciens] ne dérogerait en s'alliant à une famille plébéienne (Michelet, Hist. romaine,t. 1, 1831, p. 132): 1. Votre nom, le nom de mon gendre me défend de rentrer dans les affaires. (...) Quand on a l'honneur de tenir à une race de preux, il ne faut pas déroger. Que diraient les aïeux de votre fils, que diraient toutes ces figures vénérables qui nous regardent, qui nous écoutent, si le beau-père d'un La Rochelandier se mêlait de commerce ou d'industrie?
Sandeau, Sacs et parchemins,1851, p. 58. − P. ext., emploi abs. 1. S'abaisser indignement au-dessous de sa condition, manquer à son rang, à sa dignité. Ce qu'il en coûte à l'esprit pour se plier à des formes vulgaires, pour déroger, pour s'amoindrir (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 65). 2. [Avec une nuance d'iron.] S'abaisser jusqu'à condescendre. Il voulut bien déroger jusque là (Ac.1835-1932). Rem. On rencontre ds la docum. la constr. déroger de (cf. Péguy, Ève, 1913, p. 768). B.− Usuel. Manquer aux prescriptions d'une loi, d'une convention, s'écarter d'un principe directeur. Il m'arrive rarement de déroger à l'habitude que j'ai prise de dîner chez le restaurateur (Jouy, Hermite,t. 1, 1811, p. 131).On dérogeait en sa faveur à tous les usages, on forçait la lettre des statuts (Sand, Lélia,1839, p. 416): 2. ... et le Créateur lui-même législateur suprême de la société, ne déroge pas aux lois dont il a mis la nécessité dans la nature physique et morale de l'homme, et qu'il a posées comme le fondement de toute société.
Bonald, Essai analytique sur les lois naturelles de l'ordre soc.,1800, p. 102. − Emploi abs. Elle alternait, lisant dans l'un [de ses deux livres], un dimanche, et le dimanche suivant, dans l'autre, sans jamais déroger (Guèvremont, Survenant,1945, p. 58). − P. ext. Ne pas se conformer à quelque chose, lui porter atteinte. Circonstances accessoires qu'il serait impossible de mettre sur notre théâtre sans déroger à la dignité requise (Constant, Wallstein,1809, p. XVII).On ne peut déroger à la parole de Notre Seigneur Jésus-Christ (Lamennais, Religion,1826, p. 160): 3. Nancy 9 août (...) Place Stanislas et Cathédrale. J'admire l'unité de style de tout ce qui est bâtiment. Une seule chose y déroge, c'est la statue même de ce bon roi Stanislas...
Delacroix, Journal,1857, p. 115. Prononc. et Orth. : [deʀ
ɔ
ʒe], (je) déroge [deʀ
ɔ:ʒ]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. 1. 1370 « s'écarter de ce que stipule une loi, une convention » desroguer a droit naturel (Oresme, Eth., 182 ds Littré); 2. fin xves.-début xvies. « manquer à quelque chose, porter atteinte à (l'honneur, l'autorité, etc., de quelqu'un) » (A. de La Vigne, La Louenge des roys de France, fo45 ds Gdf. Compl.); av. 1524 (Lemaire de Belges, Schismes et Conciles, 2eprologue ds Hug.); ca 1535 (Sotties, III, 36 ibid. : Cela trop desrogue Noblesse; Noblesse s'acquiert par proesse); cf. 1606 acte derogeant à noblesse (Nicot). Empr. au lat. class. derogare de mêmes sens. Fréq. abs. littér. : 133. |