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DÉROBER, verbe trans.
I.− Emploi trans.
A.−
1. S'emparer furtivement de ce qui appartient à autrui en prenant soin de ne pas être aperçu (cf. subtiliser).
a) Vieilli. Dérober qqn.Aga Hashem s'aperçut un jour que son fils le dérobait (Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p. 342).
b) Dérober qqc. (à qqn).Dérober de l'argent, un bijou, une bourse, un livre, une montre, un vêtement. Dérober le pain d'autrui (Dupuis, Orig. cultes,1796, p. 555).Le gouvernement français a fait dérober des papiers confidentiels dans les ambassades (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 33):
1. ... les Allemands, ayant eu vent que de fausses cartes circulaient, changeaient les formats et le papier, et exigeaient l'apposition de la photo du détenteur, avec le sceau de la Kommandantur. Cette fois, Alain obtint une vraie carte, grâce au courage d'un employé de la mairie qui en dérobait aux Allemands. Van der Meersch, Invasion 14,1935, p. 47.
c) Emploi abs. Tu ne tueras point. Tu ne déroberas point (Bonald, Législ. primit.,t. 2, 1802, p. 57).
2. Soustraire quelqu'un ou quelque chose à (quelqu'un ou quelque chose), en le mettant à l'écart ou en le cachant à la vue. Dérober un criminel à la justice; dérober qqn au péril (Ac.1932).Inflexibles destins, (...) craignez-vous qu'un mortel ne dérobe sa tête (Chénier, Élégies,1794, p. 166).Dérober au châtiment qui lui est dû un de ces coupables qu'aucune classe de la société ne réclame (NodierJ. Sbogar,1818, p. 162):
2. Quand ce fut au tour de Rosa, il s'acharna à trouver sa bouche que celle-ci, riant derrière ses lèvres fermées, lui dérobait chaque fois par un rapide mouvement de côté. Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, La Maison Tellier, 1881, p. 1201.
3. En partic. Soustraire à la vue, dissimuler. Car, en s'en allant, il ne cherchait plus à dérober le bruit de ses pas (Stendhal, Abbesse Castro,1839, p. 155).
a) Vieilli :
3. Virgile nous assure (...) que Rhadamante contraint les coupables d'avouer les crimes qu'ils ont commis sur la terre, et dont ils s'étaient flattés de dérober la connaissance aux mortels. Dupuis, Abr. de l'org. de tous les cultes,1796, p. 511.
4. ... un peignoir du matin, qui dérobe les formes fines et gracieuses d'un corps de femme, les indique encore, et trahit leur souplesse. Bourget, Essais de psychol. contemp.,1883, p. 97.
[Le suj. désigne une armée] Dissimuler une sortie à l'ennemi. Dérober sa marche (Ac.1932).
Dérober à qqn que.Votre humilité vous dérobe que chacun vous connaît et que votre nom est une fleur durable (Sainte-Beuve, Corresp. gén.,t. 3, 1818-69, p. 238)
b) [En liaison avec le subst. vue]
Dérober la vue de qqc. à qqn. Un reste de brouillard m'en dérobait la vue (Dusaulx, Voy. Barège,t. 1, 1796, p. 240).
Dérober qqc. à la vue de qqn. Un voile dérobait la statue à nos regards (Ac.1932).
P. anal. Dérober un baiser. Embrasser par surprise :
5. Le taureau profita de ce que la vache tournait la tête pour lui lécher le cou, comme un homme peu aimé, qui a peur d'un rebut, attend que son amie se détourne pour dérober un baiser. Montherlant, Les Bestiaires,1926, p. 489.
B.− Au fig. S'approprier de façon illégitime ce qui est propre à autrui (cf. usurper). Dérober à qqn la gloire qui lui est due, le mérite d'une belle action (Ac. 1932); dérober un secret :
6. Et jetant avec dextérité dans le même temps qu'elle [Françoise] tournait la poignée de la croisée et prenait l'air, un coup d'œil désintéressé sur le fond de la cour, elle y dérobait furtivement la certitude que la duchesse n'était pas encore prête... Proust, Le Côté de Guermantes 1,1920, p. 17.
Dérober du temps (sur un temps qui est dû à autre chose ou à qqn d'autre). Passez au manège les heures que vous déroberez à l'étude (Adam, Enfant Aust.,1902, p. 417).
Dérober les idées, la pensée, les écrits d'un auteur. Plagier les idées, la pensée, les écrits d'un auteur :
7. L'impuissance sans nom d'Oreste devant Hermione, l'inexistence même d'Hermione devant Pyrrhus, c'est cela que le monde n'osait plus regarder en face, qu'il avait oublié depuis les grands anciens et que Racine dérobe à Euripide. Mauriac, La Vie de Jean Racine,1928, p. 110.
II.− Emploi pronom.
A.−
1. Se dérober à.Se soustraire à quelqu'un ou à quelque chose en se mettant à l'écart (cf. échapper à). Se dérober au monde; se dérober à la présence de qqn; se dérober aux yeux de, à la vue de, aux regards de; se dérober aux coups de qqn (Ac. 1932); se dérober à la surveillance de :
8. ... l'on voudrait, ainsi que dans un gros temps, fermer les sabords de sa maison et se dérober aux gens qui frappent à votre porte, aux lettres que le facteur dépose dans votre boîte. Goncourt, Journal,1879, p. 27.
Spéc., terme de man. [Le suj. désigne un cheval] S'échapper de dessous l'homme qui le monte :
9. Mon cheval alezan brûlé se dérobait sous moi. Les rênes brisées flottaient sur sa croupe en sueur, et il me fallut de grands efforts pour l'empêcher de se coucher à terre. Béguin, L'Âme romantique et le rêve,1939, p. 364.
2. Se retirer en essayant de passer aussi inaperçu que possible (cf. s'esquiver, s'éclipser; fam. filer). Auguste (...) rentrait dans le salon et se dérobait, rouge et penaud, derrière la belle Juive (Huysmans, À Rebours,1884, p. 96).Ernest ne pouvait plus se dérober. Il suivit son père de mauvaise grâce (Aymé, Jument,1933, p. 198):
10. N'avons-nous pas vu un jour (...), ce pommadin de sacristie, ce merlan gâteux qu'on nomme Auguste Roussel, congédiant, le mufle en l'air deux rétrogradants évêques pliés devant lui et se dérobant à reculons dans leur robe violette... Bloy, Le Désespéré,1886, p. 234.
P. ext., au fig. Éviter de manifester sa présence. Il se dérobe, il refuse de dire ce qu'il pense (Lemaitre, Contemp.,1885, p. 223).Les amis se dérobent dès qu'on a besoin d'eux (Romains, Hommes bonne vol.,1932, p. 124).
3. Se dérober (sous).Faire défaut, perdre sa consistance (cf. manquer; s'effondrer, s'écrouler, s'affaisser). La terre, le sol se dérobe :
11. Tout à coup, ses bras me désenlacèrent et retombèrent, inertes, sur le lit; ses lèvres se dérobèrent et abandonnèrent mes lèvres. Mirbeau, Le Journal d'une femme de chambre,1900, p. 150.
12. Nous continuions à descendre, ou plutôt le chemin continuait à se dérober, à s'ébouler sous nos pas. Romains, Les Hommes de bonne volonté,La Douceur de la vie, 1939, p. 144.
P. anal. [En parlant de membres inférieurs] Perdre leur force, refuser leurs services. Les genoux se dérobent sous lui (Ac.).
B.− Au fig.
1. [Le suj. désigne une pers.] Se soustraire à une obligation morale qui vous incombe ou à un danger qui vous menace. Se dérober à un devoir, à un travail, à une responsabilité, à une obligation; se dérober à un péril, à un obstacle; se dérober à une question. La bassesse de sa dialectique m'empêcha de me dérober à ma nouvelle tâche (Barrès, Jard. Bérén.,1891, p. 91).C'est ce problème devant lequel je ne me déroberai pas (Du Bos, Journal,1924, p. 156).
2. [Le suj. désigne une chose] Se retirer jusqu'à disparaître (cf. s'estomper, s'effacer). Son attention se dérobait, son regard heurtait la surface des pages (Martin du G., Devenir,1909, p. 100).Je sentais le temps se dérober sous moi (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 101).
Rem. 1. La plupart des dict. du xixes. ainsi que Quillet 1965 et Lar. encyclop. enregistrent le sens « dépouiller de sa première peau ou de son écorce ». Des fèves dérobées (Ac. 1835, 1878). Vous déroberez nos amandes, c'est-à-dire vous les mettrez dans une casserole avec de l'eau que vous ferez bouillir; vous verrez si la peau de l'amande s'en va (Viard, Cuisin. roy., 1831, p. 21). Prenez de grosses fèves, dérobez-les (Audot, Cuisin. campagne et ville, 1896, p. 174). 2. On rencontre ds la docum. l'adj. dérobable. Qui peut être dérobé. N'a-t-il [l'homme] pas le sens de la courte beauté dérobée et de l'accessible et longue beauté dérobable (Breton, Manif. Surréal., 1930, p. 183).
Prononc. et Orth. : [deʀ ɔbe], (je) dérobe [deʀ ɔb]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1160-70 « dépouiller, piller » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, appendice, 413 [t. 2, p. 321]); 2. a) ca 1360-70 « enlever par larcin ce qui appartient à autrui » (Baudoin de Sebourc, IX, 876 ds T.-L.); b) 1549 « prendre par surprise d'une façon adroite » loc. à la desrobee (Est.); 1588 victoire desrobee (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, livre 1, chap. 6); 3. 1534 pronom. équit. (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder, chap. 40, ligne 37 : le cheval se desrobe dessoubz luy); d'où 1677 se derober sous (ici, en parlant des genoux) (Racine, Phèdre, I, 3); 4. 1538 pronom. se desrober de/à « s'échapper de, se soustraire à quelque chose » (Est.); 5. 1636 trans. « soustraire habilement quelqu'un, quelque chose pour le préserver de ce qui le menace » (Corneille, Le Cid, III, 1); 6. 1549 « cacher, dissimuler aux regards » enfant desrobbé (Est.); 1603, 23 juin appartements derobés (Mémoires de Sully, t. IV, p. 355 ds Havard); cf. 1677 trans. (Racine, op. cit., V, 3). Dér. de l'a. fr. rober « piller, ici un pays » ca 1130 (Couronnement Louis, éd. E. Langlois, 2287) du germ. *raubôn « voler, dérober », cf. h. all. roubôn « id. » (Graff t. 2, p. 358), got. bi-raubôn (Feist), vies. raubaverit (Loi Salique, Pactus Legis Salicae, éd. K. A. Eckhardt, t. II, 1, p. 344, 4), all. rauben; préf. dé-* (lat. de-). Fréq. abs. littér. : 2 076. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 707, b) 2 183; xxes. : a) 2 423, b) 3 036. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 65, 321. − Tournemille (J.). Var. sur le mot robe. Déf. Lang. fr. 1968, no42, pp. 12-13. − Walt. 1885, p. 79.