| DÉRAISONNER, verbe intrans. Faire de faux jugements. Déraisonner sur ce que l'on ne comprend pas : Toutes ses démonstrations [de la géométrie] se terminent à l'évidence; or l'évidence est un sentiment; c'est la raison de la nature, et le nec plus ultra de la nôtre en harmonie avec la sienne. On ne peut raisonner au-delà sans déraisonner.
Bernardin de Saint-Pierre, Harmonies de la nature,1814, p. 281. − P. ext. Tenir des propos incohérents. Synon. divaguer.La colère, mon enfant, vous fait déraisonner (Mérimée, Théâtre C. Gazul,1825, p. 306).Mère, tu es absurde, tu déraisonnes. Vraiment, je ne te comprends pas. Où as-tu été chercher cette histoire de Le Loreur? (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1939, p. 122). − Ds le domaine de la pathol. Le père Parain tombe en enfance et par moment déraisonne complètement (Flaub., Corresp.,1853, p. 217). Rem. On rencontre ds la docum. a) Le part. prés. adj. déraisonnant, ante. [En parlant d'un acte ou d'un comportement] Qui atteint la folie. Une mèche, échappée du chignon bâclé de Rosita, devenait à mes yeux le symbole de la véhémence déraisonnante (Colette, Chambre d'hôtel, 1940, p. 191). Un monde de rêves insensés, d'affabulations, de raisons déraisonnantes (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 230). b) Le part. passé subst. déraisonné, ée. Personne mentalement aliénée. Au lieu de courir les bois comme une déraisonnée (Claudel, Violaine, 1901, III, p. 611). Madame, c'est la Fanchon qu'on ramène. Elle était partie comme une déraisonnée (Pourrat, Gaspard, 1925, p. 121). c) Le subst. masc. déraisonneur. Celui qui fait de faux jugements. Les jeunes Allemands déraisonnent à plaisir sur les pas de Steding de Munich, le grand déraisonneur à la mode en 1841 (Stendhal, Corresp., t. 3, 1800-42, p. 271). Sa manière calculatrice [de Tarasa] de raisonneur déraisonneur, d'anarchiste égotiste (Cendrars, Homme foudr., 1945, p. 31). Prononc. et Orth. : [deʀ
εzɔne], (je) déraisonne [deʀ
εzɔn]. Ds Ac. 1740-1932. Étymol. et Hist. 1. 1erquart du xiiies. « s'éloigner de la raison » pronom. (Reclus de Molliens, Carité, 136, 12 ds T.-L.); 2. 1740 « tenir des discours dénués de raison » (Ac.). Dér. de déraison*; dés. -er; cf. l'a. fr. deraisnier « expliquer, raconter » (xiies. ds T.-L.) dér. de l'a. fr. raisnier, v. raisonner, préf. de- (lat. de). Fréq. abs. littér. : 132 (déraisonnant : 4). DÉR. Déraisonnement, subst. masc.,rare. Action de déraisonner; résultat de cette action; faux raisonnement. Je veux que tout me soit expliqué ou rien. Et la raison est impuissante devant ce cri du cœur. L'esprit éveillé par cette exigence cherche et ne trouve que contradictions et déraisonnements (Camus, Sisyphe,1942, p. 44).− [deʀ
εzɔnmɑ
̃]. − 1reattest. av. 1755 (Saint-Simon, 427, 177 ds Littré); du rad. de déraisonner, suff. -ment1*; cf. l'a. fr. deraisnement « discours, sermon » (ca 1200 Dial. Grég., 197, 5 ds T.-L.) dér. de deraisnier, v. déraisonner; suff. -ment1*. − Fréq. abs. littér. : 3. BBG. − Gohin 1903, p. 241. |