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DÉPOUILLE1, subst. fém.
I.− [L'idée dominante est celle d'une chose qui couvrait et qui est ôtée]
A.− Peau d'animal.
1. Peau d'un animal sauvage mis à mort. Riche dépouille; dépouille d'un bœuf sauvage; voir la dépouille au Museum. Ce fut, d'ailleurs, la seule joie de la pièce, ce léopard; une carpette de 5Fr 95 au dos d'un canasson étique représentait la dépouille de ce fauve de façon cocassement piteuse (Colette, Cl. s'en va,1903, p. 290).Il a étendu peu à peu son commerce, joignant (...) les peaux de lapin et d'agneau à la « sauvagine », c'est-à-dire aux fourrures de renard et de fouine, aux dépouilles de sanglier ou de blaireau (Pesquidoux, Chez nous,1923, p. 219).
En partic. Peau d'animal, plumes d'oiseau, utilisé(es) à une certaine fin.
a) [Comme vêtement] Paré de la dépouille d'un ours. Mmede Battaincourt (...) rajustait devant la glace sa coiffure de Valkyrie, faite d'une dépouille de faisan doré (Martin du G., Thib.,Consult., 1928, p. 1080):
1. Les mèches plates de leurs longs cheveux [de paysans] s'unissaient si habituellement aux poils de la peau de chèvre et cachaient si complètement leurs visages baissés vers la terre, qu'on pouvait facilement (...) confondre (...) ces malheureux avec les animaux dont les dépouilles leur servaient de vêtement. Balzac, Les Chouans,1829, p. 4.
b) [Comme tapis] Harbert et Pencroff (...) restèrent quelques instants à contempler l'animal [le jaguar], étendu sur le sol, dont la magnifique dépouille ferait l'ornement de la grande salle de Granite-House (Verne, Île myst.,1874, p. 246).
2. Peau abandonnée par un animal vivant. La dépouille d'un serpent, d'un ver à soie (Ac.1798-1932).
P. anal. Christophe faisait peau neuve. Christophe faisait âme neuve. (...) il est des heures de crise, où tout se renouvelle d'un coup. L'ancienne dépouille tombe (Rolland, J.-Chr.,Adolesc., 1905, p. 263).
B.− P. anal.
1. Domaine végét.
a) Branches d'arbres coupées. Les rues étaient pleines d'enfants qui se partageaient la dépouille des palmiers (Nerval, Voy. Orient,t. 1, 1851, p. 170-171):
2. ... Des bannières du roi l'or, les lis et l'azur, Que paraient de nos bois les dépouilles fleuries, Courbaient autour du saint leurs nobles armoiries. Delavigne, Louis XI,1832, I, 5, p. 19.
b) Feuilles tombées d'un arbre. Arbres de la cité (...) Depuis combien d'hivers vos dépouilles fanées Se plaignent sous mes pas! (Moréas, Stances,1901, p. 64).Cette terre désolée recouverte de la dépouille du dernier été (G. Leroux, Mystère ch. jaune,1907, p. 76).
P. métaph. On apercevait, sur les rosiers, sur les lilas, sur les bancs et les pelouses, toute une jonchée de dépouilles légères : des voiles, des tuniques, des sandales, des ceintures dorées (Duhamel, Suzanne,1941, p. 257).
c) Ce qui reste de l'épi de maïs, quand on en a détaché les grains. Elles [les amies de la mariée] remplissent la paillasse de dépouilles de maïs, élastiques et bruissantes (Pesquidoux, Livre raison,1925, p. 29).
2. [En parlant de l'homme]
a) Vêtement d'une personne qui le quitte ou l'a quitté. Cadette délaissée, sa parure [de Lucile] ne se composait que de la dépouille de ses sœurs (Chateaubr., Mém.,t. 1, 1848, p. 33).Les dépouilles de mille femmes y pendent [au vestiaire] (Arnoux, Suite var.,1925, p. 94).
Vêtement qu'une personne porte sur elle :
3. Était-ce pour en être parée [de tissus] aux bras d'un autre, et si négligemment que suspendus autour de vous [Nermengarde] comme une vaine et magnifique dépouille ils n'y semblaient utiles qu'à rehausser l'éclat et la forme secrète de notre chair? Toulet, Comme une fantaisie,1918, p. 225.
b) Objets personnels qu'on abandonne. Quelques bijoux, mes épaulettes, mon sabre, les galons d'argent de mon uniforme, je pliai le tout dans mon manteau et j'allai chez le bijoutier de ma mère : il me donna trente-cinq louis de toute ma dépouille (Lamart., Raphaël,1849, p. 229).
C.− P. méton. et/ou p. ext. Cadavre.
1. Cadavre d'animal. Les animaux qui vivent dans la mer doivent nécessairement, après leur mort, laisser leurs dépouilles sur le fond (Lapparent, Abr. géol.,1886, p. 41).
En partic.
a) Cadavre offert en sacrifice. Croire que la dépouille d'un bœuf rend le ciel favorable à nos prières (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 302).
b) Fossile. S'il y a (...) quelque chose qui doive nous étonner, c'est de rencontrer parmi ces nombreuses dépouilles fossiles de corps qui ont été vivans, quelques-unes dont les analogues encore existans nous soient connus (Lamarck, Philos. zool.,t. 1, 1809, p. 79).
2. Corps d'homme mort. Les médecins chargés d'en chercher les traces [du mal] dans nos dépouilles, trouvent les parties du corps désorganisées (Latouche, L'Héritier, Lettres amans,1821, p. 101).La dépouille de la petite morte dont il avait touché la frêle poitrine écrasée (Peyré, Matterhorn,1939, p. 242):
4. On nous disait : « Ce corps mort, voilà la dépouille dernière de la personne »; nous répondons : « L'essentiel, ce qui est invisible, la personne qui survit, voilà ce qu'il vous faut reconnaître ». Vuillemin, Essai sur la signif. de la mort,1949, p. 156.
P. métaph. Il [Brunet] tient dans ses mains cette dépouille : un membre du Parti qui ne peut plus servir (Sartre, Mort ds âme,1949, p. 291).
En partic.
a) Ce corps en tant qu'objet de rites funéraires, etc. Honorer la dépouille de qqn; porter la dépouille de qqn à + nom de lieu. Là repose Fillan : Branno, dogue fidèle, N'a point abandonné sa dépouille mortelle; Près du jeune héros il languit attristé (Baour-Lormian, Ossian,1827, p. 203).J'éprouvais devant ce qui restait de Marie, tout ce que signifie le mot « dépouille ». J'avais le sentiment irrésistible d'un départ, d'une absence (Mauriac, Nœud vip.,1932, p. 140).
P. méton. Cercueil, monument représentant le défunt. La foule se pressait derrière la dépouille du chirurgien illustre (Bourget, Sens mort,1915, p. 313).Ce fut moi qui insistai pour qu'une messe fût dite sur sa dépouille (Green, Autre sommeil,1931, p. 168).
b) Corps de saint conservé dans un reliquaire. Saints, dont la dépouille est restée jusqu'à ce jour au sein du peuple fidèle (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 358).
c) Corps de l'homme envisagé comme mortel ou près de mourir. Si je pouvois laisser ma dépouille à la terre (Lamart., Médit.,1820, p. 15).Je suis réconcilié avec moi-même, avec cette pauvre dépouille. Il est plus facile que l'on croit de se haïr. La grâce est de s'oublier (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1258):
5. don balthazar. − Ce corps aux yeux de Rodrigue n'est-il que votre prison? dona prouhèze. − Ah! c'est une dépouille que l'on jette aux pieds de celui qu'on aime! Claudel, Le Soulier de satin,1944, 1rejournée, 5, p. 668.
Rem. Dans ce sens, on perçoit parfois l'emploi anal. de A 2. Comme si tu avois déjà déposé ta dépouille humaine (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 183).
d) P. anal. littér. Corps endormi ou engourdi. Je m'endors... Garde bien, ô feu, ma dépouille que la pensée va quitter (Colette, Dialog. bêtes,1905, p. 110).Je n'avais plus un ventre de jeune fille; je livrai à sa curiosité une dépouille qui n'avait ni froid ni chaud (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 74).
3. Rare. Corps animal ou végétal en décomposition. Chaque plante laisse sur le globe une dépouille solide et permanente, (...) c'est de la somme totale de ces débris de végétaux que le globe augmente annuellement sa circonférence (Bern. de St-P.,Harm. nat.,1814, p. 85).Le cadavre est à la lettre une dépouille. La chair se corrompt dès que l'esprit l'abandonne (Mauriac., Mém. intér.,1959, p. 91).
II.− [L'idée dominante est celle de biens appartenant ou ayant appartenu à une pers. défunte ou non]
A.− Choses restées après la mort.
1. Biens de toute nature laissés par une personne défunte et qui sont l'objet d'une appropriation, d'un partage. Synon. héritage.Celui-ci [Sancho] n'avait point agi pour son compte ni profité de la dépouille de mon frère, puisqu'il était resté valet comme auparavant (Sand, Beaux MM. Bois-Doré,t. 1, 1858, p. 272).Un pauvre veston, une casquette d'ouvrier, en drap brun, dépouille d'un malheureux exécuté à l'aube (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 253).
En partic., rare, vx. Dignité, fonction devenue vacante à la suite du décès de quelqu'un (d'apr. Ac. 1835). Quand il s'agit de renverser un cabinet et de partager ses dépouilles, les grands parlementaires donnent (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 384).
P. anal. ou P. métaph. Je promène avec moi les dépouilles glacées de mes illusions, charmantes trépassées dont je suis le linceul (Gautier, Comédie mort,1838, p. 46).
2. Ce qui (souvent trouvé par des fouilles) reste d'une civilisation, d'une institution, etc. disparue ou en voie de disparition. Profiter des dépouilles des peuples dégénérés (Delacroix, Journal,1854, p. 274).J'ai vu dans les vitrines du musée athénien la dépouille des sépulcres, les vases d'or et d'argent, les sphinx, les griffons, le beau lion d'or (Barrès, Voy. Sparte,1906, p. 156):
6. Nos usages les plus respectables, nos convictions les plus sacrées, nos ornements les plus dignes, tout était invité, par l'esprit érudit et ingénieux, à se placer dans une collection ethnographique, à se ranger avec les tabous, les talismans, les amulettes des tribus; parmi les oripeaux et les dépouilles des civilisations déjà surmontées et tombées au pouvoir de la curiosité. Valéry, Variété IV,1938, p. 37.
P. iron. Au milieu du salon, un laquais renfrogné achevait d'établir une grande table à manger, qu'il changea plus tard en table de travail, au moyen d'un immense tapis vert tout taché d'encre, dépouille de quelque ministère (Stendhal, Rouge et Noir,1830, p. 372).
3. Rare. Ce qui reste d'une épreuve ou d'une expérience physique ou morale passée. Ce chariot qu'elle [Marie] traînait victorieusement c'était comme la dépouille de son mal, l'enfer d'où la sainte Vierge l'avait tirée (Zola, Lourdes,1894, p. 146).Te suffit (...) d'accélérer le pendule des jours, pour voir de ta graine jaillir la flamme et de la flamme d'autres flammes et marcher ainsi l'incendie se dévêtant de ses dépouilles de bois consumé (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 907).
B.− Choses appartenant en propre à une personne (ou à un groupe de personnes) et prises à ou sur cette personne.
1. [Avec une idée de violence]
a) Butin de guerre pris sur l'ennemi. Les dépouilles de la victoire. Les cuirasses, les boucliers, les étendards, dépouilles glorieuses ravies aux François (Genlis, Chev. Cygne,t. 1, 1795, p. 189).Les camarades arboraient tous des dépouilles ennemies, des casques à leur ceinture, comme des scalps (Dorgelès, Croix bois,1919, p. 216):
7. Ce qui vient par la guerre s'en retournera par la guerre; toute dépouille sera reprise; tout butin sera dispersé; tous les vainqueurs seront vaincus, et toute ville pleine de proie sera saccagée à son tour. Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 381.
HIST. ROMAINE ANTIQUE. Dépouille(s) opime(s) ou p. ell. dépouille(s). Armes et armure d'un chef ennemi tué au combat par un chef romain et consacrées aux dieux. Ils [les républicains vainqueurs des Volsques et des Samnites] montent à ce Capitole qu'ils remplirent de dépouilles opimes (Chateaubr., Martyrs,t. 3, 1810, p. 7).La grandeur de ses armes [de Mithridate] étonna Pompée. Et ses armures (...) semblaient les dépouilles d'un Titan (A. France, Vie littér.,1892, p. 359).
P. anal. Les révolutionnaires de collectivisme ou d'anarchie préparent la révolution pour le jour où ils seront d'accord. (...) Après la victoire, on fera, comme il convient, la répartition des dépouilles opimes (Clemenceau, Iniquité,1899, p. 261).Des femmes idoles, couvertes des dépouilles opimes de l'ennemi vaincu (Cocteau, Lettre Amér.1949, p. 63).
b) Butin pris par brigandage ou vol :
8. Les paysans que j'avois comblés de bienfaits, ne calculoient plus que ce qu'ils pouvoient tirer de mes dépouilles; ils abattoient les bois, ils se partageoient des terrains qui, depuis des siècles, appartenoient à la famille de M. de Senneterre, en cherchant à se persuader qu'ils étoient communaux. Fiévée, La Dot de Suzette,1798, p. 80.
P. métaph. ou p. anal. La générosité dont on nous flatte ressembleroit trop à celle d'une société de brigands, qui se partagent des dépouilles (Robesp., Discours,Jug. Louis XVI, t. 9, 1792, p. 130).
c) Objets saisis par la force ou en vertu de la loi. Il [l'ambitieux] sema les divisions et les haines, promit au pauvre la dépouille du riche, au riche l'asservissement du pauvre (Volney, Ruines,1791, p. 67).Les plus puissants états (...) conviendront de se partager certaines dépouilles (Maurras, Kiel et Tanger,1914, p. 105):
9. Les commissaires entraient, ceinturés aux couleurs nantaises; un flot de regrattiers, de brocanteurs, de Juifs, d'étrangers, avides de se partager les dépouilles d'un ci-devant, entrait dans l'hôtel. Morand, Parfaite de Saligny,1947, p. 187.
En partic., domaine pol. et soc.Les factieux s'entendent sur la proie, presque jamais sur la dépouille (Chateaubr., Essai Révol.,t. 2, 1797, p. 91).Nobles et rois se sont enrichis des dépouilles de la liberté primitive (Guizot, Hist. civilisation,1828, leçon 3, p. 3).
d) P. anal. ou p. métaph. Il ne s'agit plus de l'entretenir, cette plèbe, des dépouilles des nations vaincues (Proudhon, Révol. soc.,1852, p. 188).
2. [Sans idée de violence] En partic. domaine intellectuel, esthétique, etc., souvent péj.
a) Emprunts littéraires, etc. faits à des disparus ou à des vivants. Ce fut (...) après avoir fouillé dans tous les recueils, après s'être enrichis des dépouilles de ses prédécesseurs et de ses contemporains, qu'Hippocrate se mit à observer lui-même (Cabanis, Rapp. phys. mor.,t. 1, 1808, p. 20):
10. ... je conseillerais de relire de temps en temps (...) cette éloquente plaidoirie [la Défense et Illustration de la Langue française de Du Bellay] pour notre idiome vulgaire, que l'on s'efforçait pour la première fois de rehausser et d'enrichir des dépouilles des Anciens. Sainte-Beuve, Nouveaux lundis,t. 13, 1863-69, p. 281.
b) Thèmes d'inspiration empruntés à la réalité. J'apporte dans mes vers les dépouilles d'un nouveau monde : des boucliers de peaux peints de couleurs violentes, des filles rouges, des canots de bois parfumés, des perroquets, des flèches empennées de vert, de bleu, de jaune (Larbaud, Barnabooth,1913, p. 67).
Rem. On rencontre parfois, chez les écrivains archaïsants, dépouille au sens de « action de dépouiller », synon. de dépouillement. D'imprudentes largesses, dont la source étoit dans la ruine des citoyens, et surtout dans la dépouille des fidèles, avoient renversé l'esprit de la foule. Toute licence étoit permise, et même commandée (Chateaubr., Martyrs, t. 3, 1810, p. 193). Les seigneurs (...) avaient profité de la dépouille des Armagnacs (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 3, 1821-24, p. 282).
Prononc. et Orth. : [depuj]. Ds Ac. 1694-1932. Étymol. et Hist. A. 1remoitié xiies. les despueilles « le butin, ce dont on a dépouillé l'ennemi » (Psautier de Cambridge, éd. F. Michel, LXVII, 13); ca 1170 despuille « ce dont on s'est dépouillé [vêtements] » (Marie de France, Le Lai du Bisclavret, éd. J. Rychner, p. 65, 124); 1550 depouille « cadavre » (P. de Ronsard, Œuvres complètes, éd. P. Laumonier, I, 76, 68); 1573 « peau enlevée à un animal » (N. Chesneau, Dict. latinograeco gallicum d'apr. FEW t. 12, p. 202 a). B. 1283 despueille « récolte » (Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 673). Déverbal de dépouiller*. Bbg. Quem. 2es. t. 4 1972. − Thomas (A.). Nouv. Essais 1904, pp. 321-322.