| DÉPLACER, verbe trans. I.− Emploi trans. dir. A.− 1. [L'obj. désigne une chose] a) Ôter quelque chose de la place qu'il occupait pour le mettre à une autre place ou pour mettre autre chose à sa place. Déplacer un objet, un meuble; déplacer une lettre, un mot, une virgule. Le père de la seconde retourna un trésor dans son pré en déplaçant une borne (Nodier, Fée Miettes,1831, p. 171).Là-bas on ne déplace jamais un bulletin de vote; ici, on les maquignonne (Vogüé, Morts,1899, p. 111).Un pas traîna derrière la porte, on déplaça un verrou (Daniel-Rops, Mort,1934, p. 214): 1. À travers [les barreaux d'une cage], on distinguait des formes humaines immobiles, dont la lampe agitée par le vent déplaçait les ombres fantastiques.
Loti, Le Mariage de Loti,1882, p. 108. ♦ Déplacer de l'argent. Le retirer d'un lieu où on l'avait placé pour en tirer des intérêts : 2. Rien ne l'obligerait à déplacer son argent placé. Elle aime mieux emprunter et payer des intérêts sur ses revenus.
Renard, Journal,1899, p. 524. − Locutions ♦ Sans déplacer. ,,Sans ôter les choses de leur place, sans les emporter`` (Ac.). Le procès-verbal sera fait sans déplacer. Nous terminâmes l'affaire sans déplacer (Ac.1835). ♦ Déplacer de l'air. Se donner de l'importance (avec ou sans raison). Tout homme arrivé, nourri de louanges quotidiennes, a l'exacte notion de l'air qu'il déplace, de la notoriété dont il dispose (Mauriac, Journal 1,1934, p. 182): 3. Quand un type porte un manteau tout neuf, un feutre souple, une chemise éblouissante, quand il déplace de l'air, il n'y a pas à s'y tromper, c'est quelqu'un du boulevard Maritime.
Sartre, La Nausée,1938, p. 49. ♦ Avoir une foi à déplacer des montagnes. [P. réf. à saint Paul, 1 Co 13, 2] Avoir une foi telle qu'elle rend possible ce qui était impossible. J'avais cette foi robuste qui, au dire de l'apôtre, peut déplacer les montagnes (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 17). − P. ext. Traîner à sa suite. Voyez la servante (...) elle déplaça un parfum d'office, de gousset et de savonnette (Arnoux, Gentilsh. ceinture,1928, p. 208). b) P. anal. Enlever ce qui était prévu pour un moment donné afin de le mettre à un autre moment. Déplacer un rendez-vous, une heure d'émission. Le doyen se ferait un plaisir de déplacer mon cours (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 416). 2. [L'obj. désigne une pers. ou un animal] a) Faire quitter à un être humain ou à un animal la place qu'il occupait pour le faire aller à une autre place ou pour faire venir quelqu'un d'autre à sa place. Mais un mouvement déplace le médecin et les femmes, penchés sur le lit (Martin du G., Devenir,1909, p. 200).Il n'eut qu'à dire un mot pour que l'ouvreuse déplaçât deux spectateurs (Radiguet, Bal,1923, p. 30): 4. ... les femmes vont de bête en bête jusqu'au bout de la longue file. Dès qu'elles ont fini d'en traire une, elles la déplacent, lui donnant à pâturer un bout de verdure intacte.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, L'Aveu, 1884, p. 159. ♦ Déplacer des populations. Les faire quitter leur territoire. − P. ext. ♦ Attirer quelqu'un à soi. De nous tous, Rostand est le seul qui ait la gloire, qui déplace les foules (Barrès, Cahiers,t. 9, 1911, p. 8). ♦ Entraîner quelqu'un à sa suite. Certains cardinaux jadis déplaçaient plus de cinq cents personnes avec eux (Zola, Rome,1896, p. 59). b) Ôter à quelqu'un sa place (ou son emploi) pour la donner à quelqu'un d'autre ou pour lui en donner une autre. On ne renvoie pas un maître d'école pour çà! − On peut le déplacer! (Flaub., Bouvard et Pécuchet,t. 2, 1880, p. 42). c) [L'obj. désigne une partie du corps] Mouvoir. Déplacer son regard, sa tête, ses bras, ses jambes, ses pieds : 5. ... cette capacité ou ce pouvoir que nous avons de remuer et de déplacer les différentes parties de notre corps, et d'exécuter une infinité de mouvemens tant internes qu'externes.
Destutt de Tracy, Éléments d'idéologie,Idéologie, 1801, p. 246. B.− Au fig. Faire porter sur un autre point. Déplacer la difficulté, le problème, la question, le débat. Je me livrais à tous les étourdissements qui pouvaient déplacer la douleur et substituer un nouveau remords au premier (Sainte-Beuve, Volupté,t. 2, 1834, p. 144): 6. ... je voudrais bien changer d'horizon, mais j'ai beau déplacer mon objectif, la vision gaie ne se présente pas.
Frapié, La Maternelle,1904, p. 227. C.− MAR. [Le suj. désigne un navire] Se substituer à un volume d'eau dont le poids est identique au sein. Déplacer des tonnes. Peser des tonnes : 7. ... ce paquebot peut être regardé comme un bâtiment considérable puisqu'il déplaçait 19 000 tonnes, mesurait 211 mètres de longueur et que pouvaient y trouver place 4 000 passagers et 6 000 tonnes de fret.
P. Rousseau, Hist. des techniques et des inventions,1967, p. 247. II.− Emploi pronom. A.− 1. Changer de place ou quitter sa place. Le gouvernail (...) se déplaçait (...) avec un grincement monotone, pareil à une voix ensommeillée (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 226): 8. Lokoti où nous déjeunons. Village qui veut se déplacer. Déjà l'on voit les squelettes des nouvelles huttes, toits non encore garnis, à quelque cent mètres de l'ancien village sur lequel on a jeté un sort.
Gide, Voyage au Congo,1927, p. 790. − P. ext. Se mouvoir, bouger. Le soleil, en tournant, se déplaçait (Zola, Rêve,1888, p. 54).Une fumée qui se déplaçait lourdement, par bancs horizontaux (Colette, Apprent.,1936, p. 76).Des yeux bleus qui se déplaçaient avec une grande mobilité (Nizan, Conspir.,1938, p. 60). 2. [Le suj. désigne un animé] Parcourir une distance donnée (entre deux endroits). MlleVerdure s'avançant, Isabelle se reculant, toutes deux se déplacèrent de quelques pas (Gide, Isabelle,1911, p. 658).On ne voit pas pourquoi il lui faudrait se déplacer [l'ecclésiastique] de Paris à Dijon (Butor, Modif.,1957, p. 73): 9. Pendant une partie de l'acte, l'auto se déplace. On part des abords d'une petite gare pour s'élever ensuite le long d'une route de montagne.
Romains, Knock,1923, I, p. 2. − P. ext. [Le suj. désigne une pers.] Effectuer un voyage. Tant que l'industrie des transports n'était pas constituée, chacun se déplaçait avec les moyens dont il disposait (Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 255): 10. D'ordinaire, nous nous déplaçons, pour être ailleurs, parce que la monotonie de nos habitudes nous lasse. Nous espérons rajeunir nos sensations, en abandonnant pour quelques semaines ou quelques mois un milieu qui ne nous suggère plus ni plaisirs aigus ni peines attachantes. Nous mettons notre existence de chaque jour en jachère, pour la retrouver plus féconde au retour.
Bourget, Essais psychol.,1883, p. 235. B.− Au fig. Changer de direction : 11. ... sa sensibilité se déplace : Des déplaisirs et des peines qu'il ne connaissait pas l'assiègent. Ce qui lui avait été indifférent lui devient un malaise.
Gaultier, Le Bovarysme,1902, p. 180. − P. ext. Se mettre en mouvement. La sieste où l'intelligence ne se déplace qu'au ralenti (Arnoux, Calendr. Fl.,1946, p. 178). Rem. On rencontre dans la docum. a) Déplaçant, ante, part. prés. adj. Ramener à l'écurie, aux allures les plus folles et les plus déplaçantes (...) ses bêtes en sueur, les flancs sifflant comme un soufflet troué (Morand, Fin siècle, 1957, p. 10). b) Déplaceur, euse, adj., subst. (Celui, celle) qui déplace (cf. supra A 1 a). On ne peut pas dire qu'elle soit voleuse : elle est déplaceuse. Elle prend un dé qu'elle sait qu'on cherche. Elle ne le rend pas tout de suite : elle laisse chercher (Renard, Journal, 1904, p. 876). Les princes de Juda sont devenus pareils à des déplaceurs de bornes (Théol. cath. t. 4, 1, 1920, p. 989). Prononc. et Orth. : [deplase], (je) déplace [deplas]. Ds Ac. 1694-1932. Conjug. Porte une cédille devant a et o : il déplaça, nous déplaçons. Étymol. et Hist. 1. 1404 « changer de place (quelque chose) » les avoient desplacé (Texte cité en note dans le journal de Nicolas de Baye, I, 96, Tuetey ds R. Hist. litt. Fr., t. 9, p. 484); spéc. 1890 phys. « en parlant d'un corps immergé » (DG); 2. 1752 fig. part. passé adj. « inconvenant » (Trév.); 1835 fig. déplacer le point de la question (Ac.); 3. 1863 « changer d'affectation quelqu'un » (Littré); 4. 1944-48 part. passé adj. personnes déplacées « personnes expatriées en temps de guerre ou pour raisons politiques » (Camus, Actuelles I, p. 260). Dér. de place*; préf. dé-*; dés. -er ou anton. de emplacer (v. emplacement), v. aussi les verbes aplacer, applacher, FEW t. 9, p. 41 a. Fréq. abs. littér. : 993. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 692, b) 817; xxes. : a) 1 342, b) 2 386. DÉR. Déplaçable, adj.Qui peut être déplacé. Le mot, fait pour aller d'une chose à une autre, est, en effet, essentiellement, déplaçable et libre (Bergson, Évol. créatr.,1907, p. 160).La même fumée familière l'embuait, aussi peu déplaçable qu'une concession à perpétuité (Malègue, Augustin,t. 2, 1933, p. 18).− 1reattest. 1907 (Bergson, loc. cit.); de déplacer, suff. -able*. |