| DÉPENSER, verbe trans. A.− Employer une certaine somme d'argent. Dépenser ses revenus. Il [M. de Trailles] dépense toujours environ cent mille francs par an sans qu'on lui connaisse une seule propriété (Balzac, Gobseck,1830, p. 406): 1. Le docteur avait jadis gagné beaucoup d'argent, et le dépensait en libéralités toujours très originales, un peu folles, qui ne restaient pas toujours secrètes et l'avaient fait soupçonner d'ambitions politiques.
Bernanos, Journal d'un curé de campagne,1936, p. 1119. ♦ Emploi pronom. passif. Cependant, l'argent se dépensait, et Angélique dit à La Corbinière : « Mais, que ferons-nous? Il n'y a tantôt plus d'argent! » (Nerval, Filles feu,Angélique, 1854, p. 550). − P. méton. [L'obj. désigne ce qu'on peut acheter contre une certaine somme d'argent] Il [Denoisel] allait se mettre au vert dans une auberge, à la campagne, à trois francs par jour, auprès d'une rivière, et ne dépensait que son tabac (Goncourt, R. Mauperin,1864, p. 217): 2. ... Carthage commençait une guerre comme une spéculation mercantile. Elle entreprenait des conquêtes, soit dans l'espoir de trouver de nouvelles mines à exploiter, soit pour ouvrir des débouchés à ses marchandises. Elle pouvait dépenser cinquante mille mercenaires dans telle entreprise, davantage dans telle autre. Si les rentrées étaient bonnes, on ne regrettait point la mise de fonds; on rachetait des hommes, et tout allait bien.
Michelet, Hist. romaine,t. 1, 1831, p. 189. − Absol. Faire une dépense. La fonction de dépenser sans gagner est pis qu'immorale; elle est absurde. L'argent y perd toute signification (Alain, Propos,1930, p. 963): 3. Elles [les femmes] trouvent légitime que nous dépensions sans compter pour d'absurdes fantaisies. Les plus exigeantes sont toujours celles qui avant le mariage crevaient de faim.
Mauriac, Génitrix,1923, p. 362. B.− Au fig. 1. Employer avec prodigalité. a) [L'obj. est un inanimé concr.] Dépenser les munitions. − Fam. Dépenser sa salive. Parler d'abondance. b) [L'obj. est un inanimé abstr.] Dépenser ses jeunes années. Je continuais à dépenser mon bonheur avec prodigalité et je ne voyais pas le fond de ma bourse (Duhamel, Confess. min.,1920, p. 61): 4. Elle [MmeCornu] n'aimait que les humbles et se plaisait à protéger les canailles. Aimable personne du reste, mais qui a gaspillé sa vie sottement dans un tas de tripotages et dépensé en pure perte des qualités intellectuelles précieuses.
Flaubert, Corresp.,1875, p. 254. 5. Il [Christophe] n'y tint plus, il eut un besoin furieux de sortir, de marcher, de dépenser sa force, de s'exténuer de fatigue, afin de ne plus penser.
Rolland, Jean-Christophe,La Révolte, 1907, p. 607. ♦ Emploi pronom. à sens passif : 6. ... le feu, c'est-à-dire la chaleur solaire, principe de l'énergie qui se dépensera en transformations de toutes sortes.
Lapparent, Abr. de géol.,1886, p. 12. c) Usuel, emploi pronom. réfl. Déployer une grande activité. Mais c'est la gloire de l'homme que de pouvoir se dépenser dans le vide (Valéry, Variété I,1924, p. 137): 7. Cependant, autour de la nappe, Marie-Ange se dépensait, se distribuait les rôles, faisait le suisse, faisait le prêtre, faisait la veuve, faisait tout.
Druon, Les Grandes familles,t. 2, 1948, p. 94. 2. P. ext. [Le suj. désigne un appareil, une machine; l'obj. désigne une matière, une quantité d'énergie] Consommer. Un radiateur dépense de l'électricité. − P. méton. : 8. David avait adossé au mur mitoyen de cette espèce de cuisine un fourneau à bassine en cuivre, sous prétexte de dépenser moins de charbon pour refondre ses rouleaux...
Balzac, Les Illusions perdues,1843, p. 553. Rem. On rencontre ds la docum. le part. prés. adj. dépensant, ante. Qui dépense. Les Saint-Chouette et les Trucmuche du Machin sont gens vivants et dépensants, mais ils sont d'un Paris aussi factice que les images cinématographiques (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 175). P. plaisant. [P. réf. à la formule de Pascal roseau pensant servant à définir l'homme] La femme est un roseau dépensant (Renard, Journal, 1904, p. 943). Prononc. et Orth. : [depɑ
̃se], (je) dépense [depɑ
̃:s]. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. despenser; ds Ac. 1740-1932 sous la forme moderne. Étymol. et Hist. 1. 1erquart xiiies. « utiliser, user de » ici de biens (Reclus de Molliens, Miserere, 55, 2 ds T.-L.); en partic. 1611 « utiliser de l'argent pour avoir quelque chose » (Cotgr.); 2. av. 1613 fig. « employer avec prodigalité » ici du temps (Régnier, Stances relig. ds Littré); en partic. 1832, 25 nov. pronom. « déployer une grande activité » (Balzac,
Œuvres div., t. 2, [1850], p. 569); 1836 trans. dépenser de l'énergie (Gozlan, Notaire, p. 195); 3. 1907 « utiliser pour son fonctionnement une certaine quantité d'énergie » (ici en parlant de l'organisme) (Bergson, Évol. créatr., p. 117). Dér. de dépense*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : Dépenser : 1 380. Dépensé : 554. Dépensant : 66. Fréq. rel. littér. : Dépenser : xixes. : a) 1 913, b) 2 222; xxes. : a) 2 318, b) 1 650. Dépensé : xixes. : a) 892, b) 857; xxes. : a) 932, b) 574. Bbg. Gottsch. Redens. 1930, p. 321. − Lindström (A.). Dispensare-distornare. In : [Mél. Wahlund (K.)]. Mâcon, 1896, pp. 282-286. − Quem. 2es. t. 1 1970. |