| DÉGRINGOLER, verbe. I.− Emploi trans. A.− [Le suj. désigne un nom de pers., le compl. d'obj. interne un nom de lieu] Descendre très rapidement en courant, en sautant. Dégringoler un escalier, des marches, quatre à quatre, derrière qqn; dégringoler une falaise, un talus. En dégringolant à pied les lacets inondés de la route (Amiel, Journal,1866, p. 402).À peine informée par Céleste, elle dégringolait la pente de toute la vitesse de ses longues jambes (Bernanos, Crime,1935, p. 743).Kéroual dégringola l'échelle (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 47). − P. métaph. Dégringoler jusqu'en bas la pente du médiocre (Zola, Nos aut. dram.,1881, p. 172). B.− Emploi factitif. [Le compl. désigne un nom de pers.] Faire dégringoler : 1. Au bout d'un moment, je me voyais en train de leur tirer dessus [aux spectateurs qui sortaient du Châtelet]. Je les dégringolais comme des pipes, ils tombaient les uns sur les autres et les survivants pris de panique refluaient dans le théâtre.
Sartre, Le Mur,1939, p. 78. II.− Emploi intrans. [Le suj. est un nom de pers., d'être animé ou de chose] A.− Se précipiter ou être précipité de haut en bas, généralement avec des rebonds successifs et incontrôlés. Dégringoler la tête en bas; pierres qui dégringolent; faire dégringoler qqn, qqc. Il se ressaisit juste à temps pour voir dégringoler carreaux et croisées (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 247).Je suis une mouche, je grimpe le long d'une vitre, je dégringole, je recommence à grimper (Sartre, Mots,1964, p. 75). Rem. L'auxil. de dégringoler est le verbe avoir. On rencontre ds la docum. la constr. avec être marquant le résultat de l'action. Elle est déjà dégringolée!... J'entends la porte en bas qui s'ouvre (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 327). − Spéc. [En parlant de coups] Synon. tomber.Et naturellement ça ne tarde pas à dégringoler, les gnons sur le coin de la gueule (Queneau, Pierrot,1942, p. 115). B.− [Constr. avec un compl. prép.] 1. [Avec à, de, dans] Dégringoler au fond d'un ravin; dégringoler à la cave, au fond d'une cave; dégringoler d'un mur, d'un escalier; dégringoler de plusieurs étages; dégringoler d'un échafaudage, d'un balcon, d'un perron, d'une tribune, de son siège. Il s'est tué en dégringolant d'un toit, un jour de ribote (Zola, Assommoir,1877, p. 786).Dégringoler de branche en branche, d'étage en étage, d'un rocher à l'autre; dégringoler dans l'escalier, dans une flaque, dans un fossé. On voit le troupeau dégringoler dans la pierraille (Ramuz, Derborence,1934, p. 50). Rem. (Se) dégringoler de (vx). Elle s'est dégringoler du haut en bas d'une espèce d'échelle (MmeDe Chateaubr., Mém. et lettres, 1847, p. 233). − P. métaph. Seul dans mon lit, je dégringole au fond d'un sommeil noir (Genevoix, Boue,1921, p. 248).On frappa. Il dégringola dans le réel. Délivré, mais ahuri (Malraux, Cond. hum.,1933, p. 373). 2. [Avec en, introduisant un compl. de manière] Dégringoler en spirale. L'eau dégringole en cataractes (Duhamel, Nuit St-Jean,1935, p. 99). 3. [Avec d'autres prép.] Dégringoler par l'escalier. D'un jour à l'autre, ça va te dégringoler sur la tête (Giono, Regain,1930, p. 15).Papa dégringolait sur les talons de sa victime (Duhamel, Notaire Havre,1933, p. 227).Repêcher (...) la brebis dégringolée par le trou de la citerne (Claudel, Poète regarde Croix,1938, p. 239). C.− P. anal. ou au fig. 1. [En parlant d'une chose] a) [En parlant d'une chose en pente] Donner l'impression visuelle de tomber en pente raide. Cheveux dégringolant à la débandade (Huysmans, Marthe,1876, p. 47).Plus à gauche on devinait toute la ville, dégringolant de la colline avec ses mille toits fumants (Ramuz, A. Pache,1911, p. 69): 2. Il me fit visiter la ravissante ville kabyle, une vraie cascade de maisons blanches dégringolant à la mer.
Maupassant, Contes et nouvelles,t. 1, Un Soir, 1889, p. 1130. b) Donner l'impression auditive de baisser ou descendre brusquement, souvent par paliers successifs. Une carillonnante musique de cloches, qui dégringolait en pluie argentine sur les toits (Van der Meersch, Empreinte dieu,1936, p. 81).Un accordéon d'aveugle trépigne dans l'aigu et dégringole dans le grave (H. Bazin, Mort pt cheval,1949, p. 130). c) [Dans le monde des affaires, de la Bourse] Synon. péricliter, s'effondrer.Les affaires dégringolent toujours et très rapidement (Chateaubr., Corresp. gén.,t. 3, 1789-1824, p. 352).Il s'agissait d'assignats qui dégringolaient (Stendhal, H. Brulard,t. 1, 1836, p. 180).Voilà le Suez qui dégringole (Zola, Argent,1891, p. 27). − Survenir malencontreusement, tomber. La mensualité de juin dégringolait le 26 mai (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 369). 2. [En parlant d'une pers.] a) [Aspect imperfectif] Déchoir moralement, socialement. Tu me regardes, tu te dis : « Comme elle a vieilli, comme elle dégringole, jusqu'où tombera-t-elle? » (Vailland, Drôle de jeu,1945, p. 32).De nouveau tout se relâche, vous recommencez à être insolent, chahuteur, menteur, à dégringoler avec une monstrueuse insouciance (Montherl., Ville dont prince,1951, I, 1, p. 858).Elle a eu un bref succès de surprise parce qu'elle était belle; mais elle a dégringolé tout de suite (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 183). b) [Aspect perfectif] Mourir. Ah! dit-il [le gardien du Père-Lachaise] (...) voici le convoi du Colonel de Maulincour (...) Il a suivi de près sa grand'mère. Il y a des familles où ils dégringolent comme par gageure (Balzac, Ferragus,1833, p. 141). Prononc. et Orth. : [degʀ
ε
̃gɔle], (je) dégringole [degʀ
ε
̃gɔl]. Ds Ac. 1718-1932. Étymol. et Hist. 1595 desgringueler intrans. « faire une chute » (Voyage du Seigneur de Villament ds Hug.); 1662 dégringoler (Richer, L'Ovide bouffon ds Brunot t. 3, 1, p. 224). Du m. néerl. crinkelen « friser, boucler (de cheveux) », faisant lui-même partie d'une famille germ. occidentale krink (krank, krunk) ayant le sens gén. de « tourner », cf. m. h. all. krinc, kringe « cercle, anneau » (Lexer), kringel « cercle » (ibid.), m. b. all. krink « anneau, cercle » (Lübben), kringel « id. » (ibid.), m. néerl. crinc, néerl. kring « cercle » (Verdam). La personne ou l'objet qui dégringole semble décrire des cercles successifs, contrairement à celui ou celle qui tombe en chute libre, d'où l'emploi fig. en fr. Cf. encore m. fr. gringoller « dégringoler » (1583, Cl. Gauchet, Le Plaisir des champs, p. 226 ds Gdf.), prob. dér. régr. de dégringoler. Dé- indique ici le point de départ. Fréq. abs. littér. : 299. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 73, b) 427; xxes. : a) 565, b) 637. Bbg. Martin (E.) Si le part. dégringolé est invariable. Courrier (Le) de Vaugelas. 1874-75, t. 5, p. 60. − Quem. 2es. t. 3 1972. − Sain. Lang. par. 1920, p. 215. − Sainéan (L.). Notes d'étymol. rom. Z. rom. Philol. 1906, t. 30, pp. 308-309. |