| DÉFIER1, verbe trans. A.− 1. HISTOIRE a) Terme de féod. Signifier à (un suzerain) que l'on abandonne la foi jurée, que l'on devient son adversaire : 1. ... il s'excusait sur les alliances qu'il avait jurées : « Vous voulez me déshonorer, disait-il; je ne puis maintenant devenir l'ami du roi de France que j'ai défié, et l'ennemi du roi d'Angleterre qui a ma parole et mon sceau... etc. »
Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 1, 1821-24, p. 393. b) P. ext. Provoquer (quelqu'un) au combat.
α) Déclarer la guerre à (quelqu'un). Défier son ennemi; envoyer défier son ennemi par un héraut. Il [Darius] les [ses ennemis] envoya défier au combat par une vaine forfanterie (Chateaubr., Essai Révol.,t. 1, 1797, p. 284).Voir un simple seigneur défier en son nom, un roi et lui faire la guerre (Barante, Hist. des ducs de Bourgogne,t. 2, 1821-24, p. 322).
β) Provoquer (quelqu'un) à un combat singulier. Être défié en duel. Ah! poursuivit tout bas Andréa, tu m'a défié à la lutte, frère (Ponson du Terr., Rocambole, t. 1, 1859, p. 146).Lorsque deux guerriers crow prétendaient avoir droit à un même honneur, l'un défiait l'autre à une ordalie (Lowie, Anthropol. cult.,1936, p. 317). ♦ P. méton. du suj. [le sujet désignant le moyen utilisé pour signifier la provocation] :
2. ... et comme chevalier,
Comme pair, comme prince, en combat singulier,
Au jugement du ciel pour ses droits se confie :
Sur quoi, voici son gage, et ce gant vous défie!
Delavigne, Louis XI,1832, II, 11, p. 76. 2. Mod. Défier qqn à + subst. ou inf.Provoquer (quelqu'un) à se mesurer à soi comme adversaire, à un duel, à un jeu, à une compétition. Défier quelqu'un à la paume, aux échecs, à boire, à qui boira le plus (Ac.1835-1932).Mulrady, qui eût défié à la boxe Tom Sayers lui-même (Verne, Enf. cap. Grant,t. 1, 1868, p. 88).Des toreros à cheval défiaient des taureaux furieux (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 87).En 1651, le prince d'Harcourt (et son cheval) défièrent le duc de Joyeuse (Jeux et sp.,1968, p. 468). − Emploi pronom. réciproque. Ils sortirent du salon en adversaires qui se sont défiés (Péladan, Vice supr.,1884, p. 115). B.− Usuel. Affronter quelqu'un ou quelque chose. 1. [L'obj. désigne une forme du pouvoir ou une force naturelle ou spirituelle] a) [Le suj. désigne une pers.] Mettre en cause, s'opposer ouvertement à (un pouvoir, une autorité, une institution). Synon. affronter, braver, contester.Défier les juges (Verlaine,
Œuvres compl.,t. 1, Jadis, 1884, p. 385).Mais Ricarda, se mettant à rire d'une façon sauvage comme s'il défiait le diable lancé à ses trousses, courut vers le promontoire (Abellio, Pacifiques,1946, p. 399).Je défiais allégrement les convenances et l'autorité (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 270). − P. méton. du suj. [le sujet désignant un courant de pensée, une institution, etc.] Dans sa source vive, le romantisme défie d'abord la loi morale et divine (Camus, Homme rév.,1951, p. 71). − Emploi abs. Le révolté défie plus qu'il ne nie (Camus, Homme rév.,1951p. 41). b) [Le suj. désigne une chose] − [Chose concr.; le compl. d'obj. désigne une loi, un phénomène] Ces cabanes dont l'une, à louer, s'affirmait en double-bois, toute penchée, et défiant la perspective (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 335). − [Chose faisant l'obj. d'une activité hum.] Le génie défie toute prévision (Bergson, Deux sources,1932, p. 56).Ces races, ces nations, ces états, dont l'enchevêtrement défie la sagacité des anatomistes et de l'ethnologie (Teilhard de Ch., Phénom. hum.,1955, p. 195): 3. En y regardant d'un peu plus près, on trouverait sans doute que notre esprit est défié par tout ce qui naît, se reproduit et meurt sur la planète, parce qu'il est rigoureusement borné, dans sa représentation des choses, par la conscience qu'il a de ses moyens d'action extérieure, et du mode dont cette action procède de lui sans qu'il ait besoin d'en connaître le mécanisme.
Valéry, Variété V,1944, p. 28. Rem. On rencontre ds la docum. a) L'adj. défiant, ante, rare, homon. du part. prés. de défier (se)2. Qui adresse, manifeste un défi. Elle [Gladie] me regardait avec une si défiante expression de triomphe (Toulet, Mar. Don Quichotte, 1902, p. 190). b) Défié, ée, part. passé et adj. Qui est l'objet d'un défi. Et Dieu blasphémé tous les jours, défié, crucifié dans son église (Verlaine,
Œuvres posth., t. 2, Voy. en Fr. par un Fr., 1896, p. 44). 2. [L'obj. désigne un danger phys. ou moral] a) [Le suj. désigne une pers.] Ne pas craindre d'affronter quelque chose. Défier un danger; défier le sort, la mauvaise fortune. Synon. braver.Repoussant du pied le granit qui ne recula pas, j'ai défié la mort et la vengeance divine par une huée suprême (Lautréam., Chants Maldoror,1869, p. 217).Et j'ai connu des jeunes gens qui superbement défiaient la mort (Saint-Exup., Citad.,1944, p. 903). − [Le suj. (nom de chose) désigne une expr., une attitude de l'homme] Ce sourire folâtre qui défiait le malheur (Janin, Âne mort,1829, p. 33).Le visage auguste des mères de famille dont la vie sans reproche défie les coups du Destin, mais qu'il a pris pour but de ses flèches (Balzac, Modeste Mignon,1844, p. 15). b) [Le suj. désigne une chose concr.] Résister à (une force capable de détruire : temps, etc.). Ce minaret peut aujourd'hui défier les âges (Reybaud, J. Paturot,1842, p. 30).Ces mêmes murs de pierres sèches sans ciment qui défient les averses et les années (Brunhes, Géogr. hum.,1942, p. 260).Elle [l'île de Sein] défiait les éléments, cette petite chose plate, ce récif maigre et venteux (Queffélec, Recteur,1944, p. 52). − [Le suj. désigne une pers.] Littér. : 4. Le général comte Ignatiev, qui avait été, à Paris, attaché militaire du tsar, puis, pendant longtemps, une des têtes de l'émigration, se trouvait parmi les convives, défiant les années, portant l'uniforme à ravir et prodiguant les grandes manières, mais gêné de son personnage.
De Gaulle, Mémoires de guerre,1959, p. 64. Rem. On rencontre ds des dict. gén. ou spéc. (Jal 1848, Bonn.-Paris 1971 [1859], Soé-Dup. 1906), une acception maritime. Conjurer un danger au moyen d'une manœuvre appropriée. Défier l'abordage, le bord, la lame, la terre. [À l'impér., dans les commandements au timonier] Défie du vent, de l'arrière, de l'arrivée. 3. [L'obj. désigne un obj. qui est matière à compétition] Affronter pour soutenir la comparaison, pour rivaliser avec quelqu'un, quelque chose. a) Défier qqc. − [Le suj. désigne un attribut de l'homme] Et sur le sommet de la montagne, tes pas auroient défié l'élan le plus léger à la course (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 267).Son érudition sur cette matière aurait défié celle de tous les Dorante et de tous les Clainville du monde (Jouy, Hermite,t. 4, 1813, p. 166).Une sociétaire aux nobles mamelles et dont la voix défie le rapide du Havre (Arnoux, Paris,1939, p. 66). − [Le suj. désigne une chose, l'attribut d'une chose] Les merveilles de l'escalier [de l'hôtel Laginski], blanc comme le bras d'une femme, défiaient celles de l'hôtel de Rothschild (Balzac, Fausse maîtr.,1841, p. 10).Ce dévergondage de décors contient en son faste éperdu une vérité considérable qui défie les délicatesses de la beauté et du goût par le spectacle de l'opulence républicaine (De Vilmorin, Lettre taxi,1958, pp. 132-133). b) Défier qqn.Inciter (quelqu'un) à faire une chose, tout en pariant qu'il n'osera pas la faire ou en sera incapable. Cf. mettre au défi de + inf.
α) Défier qqn de + inf.Personne ne savait son âge, et j'aurais bien défié de me le dire le plus fameux marchand d'esclaves (Flaub., 1reÉduc. sent.,1845, p. 26).Que de fois, (...) j'ai défié le monde entier de procurer à qui que ce soit des joies plus pures que celles que je trouvais dans l'exercice calme et désintéressé de ma pensée (Renan, Avenir sc.,1890, p. 450).Les partisans du quatre temps défient les réalisateurs du deux temps de construire une voiture rentable en cylindrée moyenne (Chapelain, Techn. automob.,1956, p. 261): 5. Au point de vue intellectuel il s'agissait, il s'agit encore d'éprouver par tous les moyens et de faire reconnaître à tout prix le caractère factice des vieilles antinomies destinées hypocritement à prévenir toute agitation insolite de la part de l'homme, ne serait-ce qu'en lui donnant une idée indigente de ses moyens, qu'en le défiant d'échapper dans une mesure valable à la contrainte universelle.
Breton, Les Manifestes du Surréalisme,2eManifeste, 1930, p. 91. ♦ Emploi abs., proverbe. Il ne faut jamais défier un fou (de faire des folies). − Vx. Défier à qqn de + inf.Je défie bien à un moineau de passer (Zola, Faute Abbé Mouret,1875, p. 1386).
β) Défier que + subj.Si la simultanéité pouvait présenter un caractère inverse, ce dont je défie qu'on puisse indiquer un seul exemple réel (Comte, Philos. posit., t. 4, 1839-42, p. 566).Quant à ces grimauds, je les défie seulement qu'ils s'élèvent jusqu'à la plate correction (Veuillot, Odeurs de Paris,1866, p. 39). − Parier. J'accepte que des vers merveilleux aient cette absurdité, je défie qu'elle les prive de leur pouvoir poétique (Bremond, Poésie pure,1926, p. 101). Prononc. et Orth. : [defje], (je) défie [defi]. Ds Ac. 1694 et 1718, s.v. deffier (cf. dé-1); ds Ac. 1740-1932 sous la forme mod. Homon. formes du verbe défaire, défis, défit. Étymol. et Hist. Cf. défier2. |